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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Une victoire pour la liberté d’expression des chercheurs : confirmation de la relaxe de J.-P. Chrétien et J.-F. Dupaquier

Deux spécialistes reconnus de l’histoire rwandaise, l'historien Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, témoins-experts auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda en 2002, étaient poursuivis pour diffamation par un ancien ambassadeur du Rwanda en France de 1990 à 1994, qui leur reprochait d'avoir critiqué, dans un courrier privé, ses propos et écrits sur le génocide des Tutsi en 1994, en particulier sa thèse d’un « double génocide ». La Cour d’appel de Rouen a confirmé le 2 mai 2013 la relaxe prononcée en février 2012 par le tribunal correctionnel. Plusieurs associations dont la Ligue des droits de l'Homme avaient dénoncé ce qu'elles considèrent comme une tentative d’intimidation et apporté leur soutien aux deux chercheurs. Cette victoire est celle de la vérité, de la justice et de la liberté. Vous trouverez sur ce site :
[Première mise en ligne le 25 octobre 2011, mise à jour le 30 mai 2013]


FRANCE-RWANDA

Ndagijimana perd une nouvelle fois son procès pour diffamation

[Reprise d’un article de AfrikArabia.com du 21 mai 2013]

L’historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier, étaient poursuivis depuis 2010 pour diffamation et injures par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France Jean-Marie Vianney Ndagijimana. Tous deux avaient critiqué, dans un courrier privé, ses propos et écrits sur le génocide des Tutsi en 1994, en particulier sa thèse d’un « double génocide ». Leur relaxe devant le tribunal correctionnel de Rouen (France) le 14 février 2012 vient d’être confirmée par la Cour d’Appel le 2 mai 20131.

Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avaient été mis en examen à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation et injure déposée par Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris (ayant acquis par la suite la nationalité française). Rappelons que l’ambassadeur avait été démis de ses fonctions le 27 avril 1994 pour des motifs qui n’ont jamais été éclaircis. Il avait quelques jours plus tard dénoncé le génocide en cours.

En cause dans sa plainte : une lettre adressée par l’historien et le journaliste au pasteur adventiste Jean-Guy Presles, président d’un Collectif organisateur de conférences qui s’étaient tenues en septembre 2009 à Rouen sur « le dialogue et la réconciliation entre Rwandais » où le mot « génocide » était significativement absent de l’intitulé des quatre conférences.

Dans ce courrier, ils estimaient que les organisateurs avait été trompés et que les quatre orateurs, dont l’ancien ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana, défendaient tous la même thèse, celle du « double génocide » dont auraient été victimes simultanément les Hutus et les Tutsis. Ils soutenaient que les orateurs avaient rejoint ainsi « les réseaux européens des négationnistes du génocide des Tutsis ».

Débouté devant le tribunal correctionnel, Jean-Marie Vianney Ndagijimana ayant fait appel, la Cour d’Appel de Rouen vient de confirmer le premier jugement « en toutes ses dispositions ».

Lors de l’audience en appel le 9 janvier 2013, Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avec leurs avocats, Me Antoine Comte et Me Gilles Paruelle, avaient une nouvelle fois souligné la légitimité du courrier qu’ils avaient adressé à l’époque aux organisateurs de la série de conférences, dont ils estimaient que leur bonne foi avait été abusée.

Lors de l’audience, l’ancien diplomate avait rejeté avec force l’accusation de négationnisme. « Je refuse cette équation diffamatoire », avait-il dit en affirmant « qu’il appartenait aux deux communautés, étant tutsi par sa mère et hutu par son père. »

Dans l’intervention que la Cour lui demanda à la fin du procès, l’historien Jean-Pierre Chrétien rappela fortement que le génocide de 1994 n’a pas été une guerre interethnique avec des victimes réparties également entre deux camps « naturellement » antagonistes, mais la perpétration d’un projet d’extermination raciste qui a littéralement déchiré la société rwandaise, jusqu’au niveau le plus intime, à tel point que des familles peuvent compter en leur sein à la fois des victimes et des bourreaux.

De son côté Jean-François Dupaquier a demandé au Tribunal de rappeler le droit à la liberté d’expression. Aucune « loi mémorielle » ne sanctionnant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qualifier de « négationnistes » des propos provocateurs s’inscrivant dans la phraséologie par laquelle des responsables du génocide cherchent à minimiser leur responsabilité, n’est ni une injure ni une diffamation, mais bien au contraire un devoir de vérité et une incitation à la réflexion critique. Il a noté que Jean-Marie Vianney Ndagijimana refuse de dire par quel moyen il s’est procuré un courrier confidentiel et que ce refus pose la question d’une violation de correspondance.

Interrogé, Jean-Pierre Chrétien « observe que la Cour d’appel, avec la même sagesse que le tribunal de première instance, a refusé de s’engager dans la réécriture de l’Histoire qui lui était demandée, mais qu’elle a fait respecter la liberté d’expression et de recherche dans notre pays ». Il rappelle à nouveau que « la réconciliation nationale nécessaire au Rwanda ne sera possible que sur la base d’une reconnaissance claire de la réalité du génocide des Tutsi et de la responsabilité de la politique raciste qui y a conduit. »

Lui-même et Jean-François Dupaquier remercient les soutiens qu’ils ont trouvés dans une épreuve qui leur a été ainsi indûment infligée. Notamment auprès de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire (CVUH), de l’Association des chercheurs de Politique africaine (ACPA) et auprès de centaines de chercheurs, d’intellectuels et de défenseurs de la liberté de pensée et d’expression.

Communiqué LDH

Paris, le 25 octobre 2011

Pour la liberté d’expression des chercheurs

Deux spécialistes reconnus de l’histoire rwandaise, Jean-Pierre Chrétien, historien, directeur de recherches émérite au CNRS, et Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, auteurs de Rwanda. Les médias du génocide, témoins-experts auprès du TPIR en 2002, sont poursuivis pour diffamation par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France de 1990 à 1994. Sous couvert de cette poursuite, ce qui leur est en fait reproché c’est d’avoir critiqué, dans un courrier adressé à des responsables associatifs de Rouen, le caractère univoque d’un cycle de conférences consacrées en principe à la « réconciliation » au Rwanda, dont ils expliquaient qu’elles avaient été confiées, en fait, à des orateurs déniant la réalité historique du génocide des Tutsi et du massacre des Hutu démocrates en 1994 au profit de la thèse du « double génocide ».

Comme l’indique la pétition d’historiens et de chercheurs diffusée par le Centre d’études des mondes africains et l’Association des chercheurs de politique africaine, que soutient la Ligue des droits de l’Homme, il s’agit une nouvelle fois d’une tentative d’intimidation des chercheurs pour mettre l’histoire au service d’ambitions politiciennes. La Ligue des droits de l’Homme réaffirme son attachement à la liberté d’expression des chercheurs, au droit de ces derniers à faire bénéficier la société des acquis de leur travail, surtout concernant des questions aussi graves que celles liées à un génocide. Elle s’indigne que les controverses sur le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates au Rwanda en 1994 puissent être considérées comme relevant d’un tribunal correctionnel.

La pétition d’historiens et chercheurs :

Une nouvelle fois, un acteur politique cherche à obtenir de la justice
qu’elle sanctionne le travail et la liberté d’expression des chercheurs

L’ancien ambassadeur du Rwanda en France de 1990 à 1994 a porté plainte pour diffamation contre deux éminents spécialistes de l’histoire rwandaise : Jean-Pierre Chrétien, historien, directeur de recherches émérite au CNRS, et Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain. Il leur reproche d’avoir critiqué, dans un courrier adressé à des responsables associatifs de Rouen, le caractère univoque d’un cycle de conférences consacrées en principe à la « réconciliation » au Rwanda, mais confiées exclusivement à des orateurs déniant la réalité historique du génocide des Tutsi et du massacre des Hutu démocrates en 1994. Le courrier signé des deux accusés soulignait que l’ancien ambassadeur, un des conférenciers invités, venait de publier un ouvrage défendant, entre autres, la thèse dite d’un « double génocide » entre Hutu et Tutsi, un argumentaire habituel des réseaux négationnistes.

Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier travaillent sur cette région d’Afrique depuis les années 1960-1970. Ils avaient dénoncé en son temps le génocide des Hutu commis au Burundi en 1972. Ils ont publié de nombreuses études sur le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, sur sa préparation, son organisation et ses séquelles. Ils ont tenté de mettre en garde l’opinion publique française sur ce danger dès le début des années 1990. Ils ont publié en 1995, avec le soutien de l’Unesco, un ouvrage crucial sur Les médias du génocide. Ils ont été témoins-experts auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda en 2002.

La plainte pour diffamation vise à dénier à deux spécialistes reconnus du Rwanda le droit d’informer des responsables d’associations bernés, en septembre 2009, au point d’accepter des conférenciers très orientés dans le cadre d’une manifestation internationale pour la paix. Elle a aussi pour but de faire interdire par la justice le droit de qualifier de « négationnistes » les réseaux qui propagent la thèse d’un double génocide en 1994 au Rwanda. Plus généralement, il s’agit une nouvelle fois d’une tentative d’intimidation des chercheurs pour mettre l’Histoire au service d’ambitions politiciennes.

Solidaires de Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, nous nous indignons que les controverses sur le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates en 1994 au Rwanda soient considérées comme relevant du tribunal correctionnel.

Non, l’Histoire ne se fait pas dans les prétoires !

  • Le Centre d’études des mondes africains (CEMAf, UMR 8171 du CNRS)
  • L’association des chercheurs de Politique africaine


Une liste des premiers signataires : http://www.ldh-france.org/IMG/pdf/Pour_la_liberte_d_expression_des_chercheurs.pdf

Signatures à envoyer à : ">

  1. L’arrêt de la Cour d’appel de Rouen est consultable ici.
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