Crimes coloniaux oubliés au Niger
par Nils Andersson
Dans leur livre, Kamerun, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa et Thomas Deltombe1 révèlent la guerre secrète menée de 1955 à 1971 au Cameroun pour maintenir l’ordre néocolonial, et la Françafrique sous l’égide de Jacques Foccart, une guerre longtemps ignorée par la mémoire collective en France. L’adversaire à combattre et à exterminer était l’UPC et ses dirigeants, parmi lesquels Ruben Um Nyobé, Félix Moumié et Ernest Ouandié. Les morts de cette guerre qui permit d’installer au pouvoir le dictateur Ahidjo, fidèle servant de la Françafrique, se comptent par dizaines de milliers. Mais dans le même moment, dans un pays au nord du Cameroun, le Niger, se sont déroulé des évènements d’une même gravité à l’encontre du parti Sawaba, mais, absence de documents, manque de références, défaut de témoignages, le silence n’a pas été brisé sur cette répression.
Le Mémorandum aux chefs d’États africains du Parti Sawaba du Niger, adressé en septembre 1964, rappelle qu’en 1957 le parti de l’indépendance (Sawaba) avait obtenu, dans le cadre de la loi-cadre, 42 sièges sur 60 au parlement. L’année suivante, en 1958, le parti Sawaba s’est prononcé pour le « non » au référendum, mais le Niger représentait un intérêt stratégique particulier pour la France, notamment en raison de sa longue frontière avec le Sahara que Paris pensait toujours pouvoir séparer de l’Algérie lors des négociations avec le FLN. Jacques Foccart et ses réseaux sont entrés en action. Une intense campagne a été menée par le gouvernement français, usant de pressions et de la corruption pour que le « oui », c’est-à-dire le maintien de liens privilégiés avec la France, l’emporte. Des renforts de troupes aéroportés sont envoyés au Niger. Le gouverneur Colombani dirigeait les opérations afin d’assurer la victoire du « oui » au référendum. Il « a vite compris que pour réussir, il fallait nécessairement anéantir le Conseil de gouvernement », dirigé par parti Sawaba et ce même « au risque de violer la légalité2.
Le « oui » l’ayant emporté, Hamani Diori a été installé au pouvoir et l’illégalité va aller jusqu’à « démissionner » le gouvernement légalement constitué et à dissoudre l’Assemblée nigérienne au sein de laquelle le parti Sawaba est largement majoritaire. Les conditions sont alors remplies pour proclamer l’indépendance formelle du Niger au sein de la « communauté française ». Hamani Diori devient Premier ministre, une coalition s’appuyant sur les fonctionnaires liés au régime colonial et sur la féodalité nigérienne est installée au pouvoir avec une Assemblée nationale où ne siègent que des béni-oui-oui du parti unique, le PPN-RDA3. Sous la tutelle des autorités françaises, est décidée également la dissolution des municipalités et des administrations à caractère démocratique, des partis, syndicats et associations4. Les « comités ouvriers » spontanément créés contre les syndicats officiels sont interdits.
En 1960, Hamani Diori est porté par ses maîtres à la présidence de la République. Dès lors, au Niger, le champ est libre pour que le système de la Françafrique fonctionne sans entraves5. Mais il ne suffit pas au pouvoir colonial de bafouer la loi, d’ignorer l’expression du peuple, de mépriser les institutions démocratiques, d’établir la « démocratie du parti unique », un état d’exception est créé : toute revendication indépendantiste doit être réprimée, comme l’UPC au Cameroun, le parti Sawaba, qui maintient une claire volonté d’indépendance nationale doit être éradiqué. Dans son ouvrage Le Niger du président Diori6, François Martin rapporte : « Malheur à ceux qui contestent la toute-puissance du RDA ! (le parti unique au pouvoir). La répression qui s’abat sur eux est féroce ».
Foccart met en place les structures du maintien de Hamani Diori au pouvoir. Pierre Bat, conservateur du fonds Foccart, évoque le dispositif pour combattre l’influence du parti Sawaba et ses actions armées : « officiellement, il s’agit d’un service de sûreté nigérien. Mais en regardant la composition des effectifs, on voit que chaque niveau hiérarchique (le bureau central comme au niveau des antennes régionales) est dirigé ou conseillé par un officier de police français personnellement recruté par Colombani qui fait appel à ses hommes de confiance7. »
Le parti Sawaba et son dirigeant Djibo Bakary, qui bénéficient notamment de l’appui de Kwame Nkrumah et du Ghana, sont dans la ligne de mire de cette répression. On peut lire dans le Mémorandum aux chefs d’États africains qu’en 1964 : « il n’existe pas un seul village nigérien qui ne déplore des dizaines de victimes de l’arbitraire gouvernemental ». Le peuple connaît la terrible banalité de l’ordre colonial et des basses œuvres de ses sbires : arrestations massives, tortures, assassinats, exécutions publiques… La maigre élite est poursuivie par une répression aveugle.
Un exemple des pratiques ayant cours : le 28 mai 1964, vingt-et-un détenus politiques sont étranglés dans la prison de Maradi sur l’ordre du gouvernement néocolonial, en présence de « l’éminence grise »8 de Hamani Diori, Boubou Hama, président de l’Assemblée nigérienne, qui sera ultérieurement l’auteur d’un Essai d’analyse de l’éducation africaine, et de Diamballa Yansambou, qui fut, quatorze ans durant, jusqu’au renversement de Diori, un inamovible ministre de l’intérieur.
Corruptions et prévarications, dans les zones rurales, les gens du pouvoir ont recours au pillage systématique des récoltes et à leur confiscation, le bétail est réquisitionné au bénéfice des ministres et de leurs agents, les champs confisqués par les fratries dominantes. François Martin, dans l’ouvrage déjà cité, écrit : « Les classes populaires nigériennes reprochent à Diori Hamani… d’avoir érigé le népotisme en système ». Dans les zones urbaines, les licenciements arbitraires augmentent la masse des chômeurs, ceux que l’on qualifie de « meneurs » syndicaux sont arrêtés.
Il n’y eut pas au Niger, contrairement à l’Algérie, de Lettres de Jean Muller et de témoignages comparables à ceux de Robert Bonnaud pour décrire « La paix des Nementchas », ni de Djamila Bouhired ou d’Henri Alleg pour dénoncer et révéler à l’opinion publique française les crimes commis dans la brousse nigérienne entre Maradi et Madoua. Mais, trente ans après, des Nigériens qui avaient vécu cette répression en étaient encore terrorisés au point de craindre encore d’en parler ont parlé. D’importants travaux ont été effectués sur les massacres coloniaux au Niger dans le cadre de la mise en place de la Françafrique. Sur le mouvement Sawaba, l’ouvrage essentiel, publié en anglais en 2013, est celui de l’historien néerlandais Klaas van Walraven, The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger9. Sa traduction française est parue en 2017 sous le titre Le désir de calme, Histoire du mouvement Sawaba au Niger10. Mais le Niger reste une source non exploitée de travaux pour les historiens. C’est l’histoire du peuple nigérien, c’est aussi notre histoire, à connaître et à assumer.
Mardi 18 juin 2019 à 20h
Au Maltais rouge, 40 rue de Malte Paris 11e – Métro République
de Amina Abdoulaye Mamani (2018)
Mamani Abdoulaye fut un des dirigeants du parti Sawaba, le rédacteur en chef du journal du parti qui constitua, en 1957, le premier gouvernement autonome du Niger.
En 1958, le parti Sawaba revendiquant l’indépendance est interdit, ses militants engagent une lutte de guérilla, ils sont réprimés, exterminés. Le oui à la « Françafrique » l’ayant emporté, la « démocratie du parti unique » est instaurée au Niger ! Malaye, son nom de clandestinité, échappe à la répression et gagne Alger où il poursuit la lutte. Ce film, c’est sa voix, celle de ses compagnons et camarades, il a été un de ces militants qui n’ont jamais cédé et ont écrit l’histoire de la décolonisation de l’Afrique.
Si l’homme politique semble avoir aujourd’hui disparu de l’histoire officielle du Niger, l’homme de lettres, lui, continue à survivre par les écrits qu’il a laissés ainsi qu’il le confiait : « Vous savez que le bon écrivain n’écrit que dans la douleur. Les grands écrivains quand ils écrivent ou bien ils sont dans une situation particulière qui provoque l’inspiration ou alors ils écrivent, mais sont interdits. Et quand c’est interdit, évidemment, le public veut toujours savoir ce qui est interdit et pourquoi on l’interdit. »
avec la participation de Nils Andersson, militant anticolonialiste
qui fut un camarade
de Mamani Abdoulaye
- Thomas Deltombe, Jacob Tatsitsa et Manuel Domergue, La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique, La Découverte, 2016.
- Mammoudou Djibio, Les transformations politiques au Niger à la veille de l’indépendance, L’Harmattan, 2001. »
- Parti progressiste nigérien – Rassemblement démocratique africain.
- Le parti Sawaba est dissous par décret le 12 octobre 1959.
- Le RDA de Hamani Diori au Niger, de Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire et de Maurice Yaméogo en Haute-Volta, sont des piliers de la mise en place du système Foccart.
- François Martin, Le Niger du président Diori, L’Harmattan.
- NIGER (HTTP://WWW.RFI.FR/AFRIQUE/TAG/NIGER/)|
FRANCE (HTTP://WWW.RFI.FR/AFRIQUE/TAG/FRANCE/) - Samuel Decalo, Coups and Army Rule in Africa, Yale University Press (1990).
- The Yearning for Relief : A History of the Sawaba Movement in Niger, Brill, 2013.
- Klaas van Walraven, Le désir de calme, Histoire du mouvement Sawaba au Niger, Presses Universitaire de Rennes, 2017.