Une Marche contre les racismes, l’islamophobie et pour la protection des enfants a eu lieu dans les rues de Paris le 21 avril 2024. Nous reproduisons ci-dessous le discours qu’a prononcé Yessa Belkhodja, en tant que maman et initiatrice du collectif de défense des jeunes du Mantois, au terme de cette Marche.
Dans le combat essentiel contre les racismes, l’islamophobie et la multiplication des atteintes aux libertés publiques – interdictions de manifester, convocations d’étudiants ou de personnalités accusés d’apologie du terrorisme pour des déclarations favorables aux droits des Palestiniens –, il est important de souligner que l’État autoritaire qui s’abat aujourd’hui sur l’ensemble du mouvement social, s’est d’abord fait les dents sur le groupe social le plus vulnérable et le moins organisé, le plus pauvre et le moins défendu, le plus contrôlé et le moins considéré comme légitime, à savoir l’immigration post-coloniale.
« Notre malheur collectif, c’est que nous avons désormais des esprits habitués »
Discours de clôture de Yessa Belkhodja, Marche contre les racismes, l’islamophobie et pour la protection des enfants, Paris 21 avril 2024, publié dans Mediapart.
« Le monde observe la dégringolade du “pays des droits de l’homme” avec stupéfaction. Ce pays que nous chérissons, la France, et que nous voulons laisser à nos enfants, nous trahit et trahit son passé. Je parle ici en tant que maman de quartiers, en tant qu’initiatrice du collectif de défense des jeunes du Mantois ». Discours de clôture de Yessa Belkhodja, lors de la marche du 21 avril 2024.
Dans l’appel à cette marche contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection des enfants, Amal Bentounsi et moi-même faisions le constat suivant :
« Le monde observe la dégringolade du “pays des droits de l’homme” avec stupéfaction. Ce pays que nous chérissons, la France, et que nous voulons laisser à nos enfants, nous trahit et trahit son passé. »
Nous étions en deçà de la réalité. En effet, depuis le 7 octobre, une frénésie autoritaire s’est emparée du pouvoir. Outre les interdictions de manifester qui sont autant d’atteintes aux libertés publiques, de nombreuses personnalités sont ciblées et convoquées par la police antiterroriste. Parmi lesquelles Jean-Paul Delescaut, secrétaire générale de la CGT du Nord qui vient d’être condamné à un an de sursis, et avant lui le militant décolonial Abdel Wahab qui a écopé de la même peine, des étudiants de l’EHESS, Rima Hassan, candidate LFI eux européennes, Anasse Kazib, porte parole de Révolution Permanente, ou Sihame Assbague, journaliste. Cette situation est extrêmement grave et je n’ai pas peur ici de dire que nous basculons tous les jours dans un régime fascisant.
Mais, il y a un grand MAIS. Je parle ici en tant que maman de quartiers, je parle ici en tant que « première concernée » par les violences d’Etat, je parle ici en tant qu’initiatrice du collectif de défense des jeunes du Mantois et j’attire l’attention de tous sur le silence qui a entouré un événement majeur, lourd de conséquences, dans les jours qui ont suivi le 7 octobre et qui brise les maigres principes qui soutiennent encore cette république agonisante : le fait que le 18 octobre 2023, au Canet-en-Roussillon, un enfant de 10 ans a été convoqué par la gendarmerie pour « apologie du terrorisme ».
Je répète : un enfant de 10 ans a été convoqué pour apologie de terrorisme et ce dans l’indifférence générale. Cet enfant était un « musulman d’apparence » ou pour le dire dans des mots simples : un enfant arabe.
Si la police de Macron a jugé qu’elle pouvait se permettre un tel excès, c’est que cette police sait qu’elle peut compter sur l’indifférence de la société, voire parfois sa complaisance. Si la police de Macron a jugé qu’elle pouvait voler l’innocence de cet enfant, c’est qu’elle sait que l’opinion donnera sont blanc seing.
Aussi je pose une première question :
1/ pourquoi s’étonner que des adultes, des syndicalistes aguerris, des militants politiques ou associatifs connus et respectés tombent dans l’arbitraire de la répression de l’Etat quand même des enfants le sont ?
2/ Je pose une deuxième question : quand comprendra-t-on que l’Etat autoritaire qui s’abat aujourd’hui sur l’ensemble du mouvement social, des gilets jaunes jusqu’aux parlementaires de la FI démocratiquement élus, s’est fait les dents sur le corps social le plus vulnérable et le moins organisé, le plus pauvre et le moins défendu, le plus contrôlé et le moins légitime, à savoir l’immigration post-coloniale.
3/ Je pose enfin ma troisième question : quand comprendra-t-on que l’islamophobie est la pièce maitresse du dispositif répressif et autoritaire et que c’est à travers ce racisme spécifique que l’Etat a réussi à ramollir la conscience de gauche ? Quand comprendra-t-on que c’est à travers l’islamophobie et une laïcité instrumentalisée et détournée de sa fonction première qu’on persécute des jeunes femmes pour leurs tenues vestimentaires violant ainsi les libertés individuelles, qu’on ferme des écoles musulmanes et des mosquées violant la liberté de culte et de conscience, qu’on persécute et expulse des imams ou qu’on agite la menace antiterroriste à des fins racistes, antisociales ou pour museler toute contestation politique.
Notre malheur collectif, c’est que nous avons désormais des esprits habitués. Habitués à supporter la misère sociale, le racisme, les flics et l’armée dans les rues, la militarisation du quotidien, la guerre partout.
Mais il y a pire que le malheur collectif. C’est le déshonneur collectif. Depuis le 7 octobre, nous avons prouvé collectivement notre capacité à tolérer le massacre des enfants de Gaza. Ils sont aujourd’hui près de 15 000 à avoir été tués par l’armée israélienne. Ils sont peut-être le double sous les décombres. De cela, notre humanité ne sortira pas indemne.
C’est parce que nous refusons ce déshonneur qu’Amal Bentounsi et moi-même avons initié cette marche contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection des enfants. Parce que nous sommes mamans d’enfants arabes et musulmans susceptibles d’être convoqués pour apologie du terrorisme,
Parce que nous avons vu nos enfants de Mantes-La-Jolie agenouillés par dizaines devant les caméras du monde entier,
Parce que nous avons pleuré la mort prématurée de notre frère Amine Bentounsi, dont nous fêtons le triste anniversaire aujourd’hui,
Parce que nous pleurons tous les morts qui ont précédé Amine et qui lui ont succédés du petit Nahel, mort à 17 ans en juin dernier à Wanys, mort en mars dernier.
Enfin, parce que nous sommes dévastées par le nettoyage ethnique à Gaza dont les enfants sont les premières victimes.
Malgré tout, Amal Bentounsi et moi sommes fières de cette marche, fières d’avoir défié la préfecture qui s’est acharnée à l’interdire, fières d’avoir bataillé au sein de notre famille, l’antiracisme politique, avec nos alliés, le NPA, la FI, ATTAC, qui se sont joints au référé pour la faire autoriser. Nous sommes fières d’avoir accompli notre devoir de mamans, de militantes, de citoyennes. Mais nous devons aller plus loin.
Cette marche n’est qu’un jalon parmi d’autres. Demain, la répression reprendra de plus belle. Nous n’avons aucune solution miracle à proposer si ce n’est celle à moyen termes de soutenir tous les projets politiques qui défendent les intérêts des habitants des quartiers, des Noirs, des Musulmans, des migrants, qui sont solidaires des peuples du sud qui se battent pour leur liberté et leur dignité et qui se rangent fermement du côté des Palestiniens, c’est à dire des opprimés.
Mais à très court terme, étant donné la répression qui s’abat sur toute voix solidaire de la Palestine au prétexte de l’antiterrorisme, et en solidarité avec ceux qui sont poursuivis, voici ce que nous disons à la police de ce pays : accusez-nous tous, convoquez-nous tous et poursuivez-nous tous. Nous sommes tous coupables d’avoir des convictions antiracistes et antiimpérialistes. Et si pour vous, la solidarité et la fraternité avec les peuples du monde constituent un crime alors réjouissez-vous de nous voir nous livrer nous-mêmes par milliers à cette inquisition des consciences.