La fin d’un long silence
L’Assemblée nationale a débattu, jeudi 25 juin, d’un projet de loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le texte était attendu depuis longtemps : l’ensemble des orateurs ont tenu à souligner le travail mené sur ce dossier par les associations de victimes, des parlementaires de tous bords, ainsi que le médiateur de la République. Depuis 2002, pas moins de 18 propositions de loi émanant de la majorité comme de l’opposition ont été déposées, sans qu’aucune ne parvienne à franchir le stade de l’examen. Le projet de loi, qui doit être voté en première lecture mardi 30 juin, met fin à ce long silence législatif sur la responsabilité de l’Etat français.
Le texte présenté jeudi par le ministre de la défense, Hervé Morin, vise à reconnaître les conséquences sanitaires des essais nucléaires français et à indemniser les victimes ou leurs ayants droit. Le 13 février 1960 avait lieu, dans le désert algérien, sur une zone classée terrain militaire située à 50 kilomètres de Reggane, l’opération « Gerboise bleue ». Avec cette première explosion atmosphérique d’une bombe atomique d’une puissance de 60 à 70 kilotonnes, la France intégrait le club des puissances nucléaires. Les vents ont porté les retombées radioactives sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres.
210 essais entre 1960 et 1996
Entre 1960 et 1996, date de la fin des essais nucléaires dans le Pacifique, la France en a mené 210. Jusqu’en 1966, 17 essais ont été réalisés au Sahara. Les 13 derniers tirs étaient souterrains. Cependant, 4 essais n’ont pas été totalement confinés. Lors de l’essai Béryl, le 1er mai 1962, entre 5 % et 10 % de la radioactivité s’échappe, provoquant une retombée radioactive sur une bande de 150 kilomètres. Le démantèlement des sites d’expérimentation au Sahara a pris fin le 31 décembre 1967.
Les expérimentations se sont poursuivies, à partir de 1966, en Polynésie, sur les atolls de Mururoa et Fangataufa : 193 essais (46 essais atmosphériques et 147 souterrains) y ont été effectués ; 10 d’entre eux ont donné lieu à des retombées radioactives « significatives ».
Selon l’étude d’impact jointe au projet, 150 000 travailleurs (civils et militaires) ont été présents sur les sites d’expérimentation : 70 000 d’entre eux sont susceptibles d’avoir été exposés à des rayonnements. En outre, environ 2 000 personnes, dont 600 enfants de moins de 15 ans, résidaient pendant les essais aériens en Polynésie dans le secteur ayant subi des retombées radioactives.
Le projet de loi d’indemnisation prend en compte toutes les victimes, militaires et civiles. Le comité d’indemnisation, présidé par un magistrat et composé d’experts, aura accès aux documents classifiés. Le ministre s’est engagé à «ouvrir tous les placards, tous les tiroirs, tous les coffres». Le demandeur devra justifier qu’il est atteint d’une des maladies radio-induites figurant sur une liste fixée par décret et qu’il a séjourné dans les zones concernées pendant la période des essais.
Les associations de victimes, relayées par plusieurs députés, auraient souhaité que soit inscrit dans la loi le principe de «présomption du lien de causalité». Elles saluent néanmoins le «pas en avant» que constitue ce texte.
Le texte adopté en commission
Le projet de loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été « très largement approuvé » mercredi par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale après avoir été sensiblement amendé, a annoncé le ministère de la Défense.
« Ce projet de loi (…) a été très largement approuvé par la commission de la Défense à l’exception de quelques parlementaires socialistes et communistes qui se sont abstenus », a-t-il déclaré dans un communiqué. Il doit être débattu le 25 juin en première lecture par l’Assemblée.
Quelque 150.000 travailleurs civils et militaires ont participé de 1960 à 1996 aux 210 essais menés par la France dans le Sahara algérien puis en Polynésie française, deux sites dont les populations sont également concernées par le projet de loi.
Le ministre de la Défense, Hervé Morin, a estimé à «quelques centaines» le nombre de personnes qui, victimes d’irradiations, ont pu développer un cancer.
Selon le ministère, l’examen en commission a permis «d’enrichir» le texte par des «amendements adoptés à l’unanimité».
Dans l’entourage de M. Morin, on précise que l’un des amendements porte sur la création d’un comité de suivi où siégeront notamment des représentants des associations de vétérans ainsi que du gouvernement et de l’assemblée de Polynésie française.
Ce comité sera consulté sur la liste des pathologies liées aux essais qui pourra être étendue au gré de l’évolution des connaissances scientifiques.
Il s’agissait de l’une des revendications des associations qui n’ont, en revanche, pas obtenu la création d’un fonds d’indemnisation sur le modèle de celui ouvert pour les victimes de l’amiante.
Un autre amendement vise à garantir le principe d’un examen contradictoire des dossiers, précise-t-on de même source.
D’autres encore fixent des délais contraignants, le ministre disposant par exemple de deux mois maximum pour rendre sa décision lorsque le comité d’indemnisation aura émis sa recommandation sur un dossier.
Concernant la Polynésie, un amendement gouvernemental prévoit d’étendre les zones considérées comme susceptibles d’avoir été contaminées à une partie de la presqu’île de Taravao et de l’atoll de Hao. Celui-ci servait de « base-arrière » lors des essais.
Par ailleurs, le texte relatif à l’origine « à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français » porte désormais le titre plus explicite de « relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français ».
Le président de l’assemblée de Polynésie française, Philippe Schyle, s’était félicité un peu plus tôt mercredi que le gouvernement ait pris en compte «un bon nombre» des recommandations des élus polynésiens.
Le plan d’indemnisation des victimes sera doté d’une première enveloppe de 10 millions d’euros pour 2009 «complétée en tant que de besoin», avait précisé M. Morin fin mai.
Pour le ministre de la Défense, cité mercredi soir par le communiqué de ses services, «ce projet de loi juste et vigoureux permet à la France de tourner une page de son histoire et d’être ainsi en paix avec elle-même».
Hervé Morin : « Pour l’Algérie, il s’agit d’un dispositif particulier »
A la faveur de la conférence de presse qu’il a donnée hier à l’issue de la présentation en Conseil des ministres de son projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie, le ministre de la Défense, Hervé Morin, répond à El Watan.
« Pour l’Algérie, il s’agit d’un dispositif particulier, l’Algérie étant un Etat souverain et indépendant. Nous comptons considérer tous les travailleurs qui ont participé aux essais nucléaires français au Sahara entre 1960 et 1967. Toutes les victimes seront indemnisées selon des règles identiques. Sur les 13 tirs en galeries, 4 ont connu des incidents dont un majeur. Les fuites de radioactivité ont été mineures sauf pour le site de Berryl. Nous sommes en train de préciser les choses. La zone interdite durant les tirs est immense, elle est de 350 km par 450 km, selon les documents dons nous disposons, c’était une zone inhabitée qui a fait l’objet d’une surveillance stricte assurée par des hélicoptères. »
Quant au groupe d’experts algériens et français, mis en place fin 2007, le ministre s’est contenté de dire que « cela fait partie des relations avec la France ». Rappelons que le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, Marcel Jurien de la Gravière, affirmait la semaine dernière (El Watan du 19 mai) que l’application de la future loi française devra, pour pouvoir être appliquée aux Algériens, passer par un accord bilatéral. Le ministère de la Défense évalue le personnel qui a travaillé pour les essais nucléaires français en Algérie au Centre d’expérimentations militaires (région de Reggane) et au Centre d’expérimentations militaires des oasis (In Nekker) à 27 000 dont environ 3000 travailleurs algériens employés localement. Quant aux populations de la région de Reggane, elles avaient été estimées à 50 000 personnes en 1957.
Les victimes algériennes d’essais nucléaires seront indemnisées
Cinquante ans après, la France s’est enfin décidée à indemniser les victimes des essais nucléaires qu’elle a effectués de 1960 à 1996 dans le Sahara algérien et en Polynésie. Le ministre français de la Défense Hervé Morin a présenté hier en Conseil des ministres un projet de loi pour l’indemnisation des victimes.
«Le gouvernement a décidé de faciliter l’indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française», est-il indiqué dans le communiqué du Conseil des ministres français, cité par l’AFP. Cette indemnisation «doit assurer la réparation intégrale des préjudices subis», est-il encore précisé. L’accès à ce régime est ouvert aux personnes (qu’il s’agisse des personnes ayant participé aux essais ou des populations locales) justifiant avoir résidé ou séjourné dans les zones des essais, durant les périodes fixées par la loi, et atteintes d’une pathologie figurant sur une liste arrêtée par décret en Conseil d’Etat. L’indemnisation sera versée sous forme de capital. Les indemnisations antérieurement perçues par le demandeur au titre des mêmes préjudices en seront déduites, est-il également indiqué.
Au mois de mars, M. Morin avait annoncé le déblocage d’une première enveloppe de 10 millions d’euros en 2009 pour indemniser les victimes. Le ministre avait alors précisé que «quelques centaines» de personnes avaient pu développer depuis un cancer, victimes de radiations liées à ces essais nucléaires. Il avait également reconnu quatre «problèmes de confinement» lors des tirs effectués dans le Sahara et dix épisodes «de retombées radioactives significatives, sur des zones circonscrites» lors des essais aériens en Polynésie. Il est à rappeler que la France a effectué son premier test en Algérie le 13 février 1960 à Reggane sous le nom de code Gerboise (bleue, rouge, blanche et verte). L’explosion de la bombe atomique – qui était quatre fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima, selon des rapports français – a entraîné ce jour-là des pluies noires au Portugal et au Japon. Treize autres essais souterrains dans la montagne de Tan Afella à In Ecker, ont fait beaucoup de dégâts à cause des fuites. Selon d’autres versions, des expériences ont eu lieu clandestinement. On parle d’au moins une quarantaine sur le site de Hamoudia près de Reggane.
Officiellement, la France reconnaît 210 essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966 puis en Polynésie française, sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, entre 1966 et 1996. Au cours de quarante-cinq d’entre eux, des populations ont été irradiées.
En Algérie, les victimes de ces essais sont estimées à plus de 27 000 personnes. L’Association algérienne des victimes des essais nucléaires avance le chiffre de 30 000 victimes. Pour l’instant, les officiels français s’arrêtent à 20 000. En fait, le nombre exact des victimes civiles algériennes reste toujours imprécis. A ce jour, aucun bilan détaillé n’a été établi.
Il faut préciser par ailleurs que, pendant de nombreuses années, le ministère de la Défense français avait refusé d’ouvrir le dossier des victimes des essais nucléaires. Un dossier qui a empoisonné les relations bilatérales entre la France et l’Algérie pendant longtemps, suscitant même le courroux du gouvernement algérien qui, en l’absence de toute indication sur les graves conséquences sanitaires et écologiques de ces tirs, avait exigé de Paris l’ouverture des archives de l’armée française, en vue de connaître la vérité sur la question.
A Cordoue, en Espagne, où il a participé en avril dernier, à la réunion des 5 + 5, M. Mourad Medelci, le ministre des Affaires étrangère, avait évoqué la question avec le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères français, Pierre Sellal. Il avait alors dit que ce dossier devait être traité d’«une manière plus diligentée». La France a décidé de prendre en charge le dossier mais pas uniquement pour répondre à la demande algérienne. Cette décision est le fruit d’une bataille très longue engagée par de nombreuses associations, dont l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), le Comité de soutien vérité et justice, l’Association polynésienne des victimes des essais nucléaires et, pour ce qui concerne les victimes algériennes, l’Association algérienne des victimes des essais nucléaires.
Mais ce que semble omettre le gouvernement français, c’est que le nombre de victimes justifiant avoir résidé ou séjourné dans les zones des essais, durant les périodes fixées par la loi, est loin d’être le nombre réel des personnes irradiées. A ce nombre devront s’ajouter les générations qui ont souffert des effets des radiations, des années plus tard, à cause de la présence encore aujourd’hui, sur les lieux, des équipements ayant servi aux essais, enfouis après le départ des Français, mais qui ont réapparu, au gré de l’érosion, et constituent des sources de radiation importantes. Un chercheur en génie nucléaire avait affirmé en 2007 que, contrairement aux idées reçues, les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais se trouvent aussi très loin avec des possibilités de contamination à plus de 700 kilomètres des régions des essais. Certains spécialistes disent qu’ils ne disparaîtraient pas de sitôt. Pas avant 240 000 ans. Les effets dévastateurs de ces essais ravagent la santé de la population locale et affectent l’écosystème. Fausses couches, malformations des nouveau-nés, cancers et autres maladies rares sont très répandues dans ces régions, allant de Reggane au Hoggar. Plusieurs chercheurs ont établi un lien direct entre ces maladies et les rayonnements radioactifs. Un rapport établi par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005 relève 4 zones contaminées, autour des essais Gerboise blanche et bleue, de manière faible et localisée, et au sortir des tunnels des essais Béryl et Améthyste dans le massif Tan Afella. C’est là que la radioactivité résiduelle est la plus forte. Même le rapport annuel du Commissariat à l’énergie atomique (organisme public de recherche scientifique français dans les domaines de l’énergie, de la défense, des technologies de l’information et de la santé) de 1960 montrait l’existence d’une zone contaminée de 150 km de long environ. Mais il n’est nullement dans l’intention du gouvernement français d’indemniser cette génération d’irradiés.
La décision française a pour principal objectif de calmer ses propres troupes. D’ailleurs, et c’est le plus important, la France officielle qui a décidé l’indemnisation n’a pour l’instant pas présenté officiellement des excuses solennelles pour les expérimentations effectuées.
- Repris du site http://www.romandie.com.