Cher Ariel Sharon 1
Nous voilà, enfin, sur une voie ouverte où chacun des deux peuples qui se battent pour la même terre pourra trouver, il faut l’espérer, le courage et la patience, l’inventivité et la confiance nécessaires pour faire de ce sol commun et partagé une terre de promesses et d’avenir.
Vous avez trouvé les mots justes pour reconnaître la nécessité d’ « abandonner les rêves irréalistes » et donc l’urgence du dialogue. Le chemin aura été long et meurtrier, mais – je le reconnais volontiers – il vous a fallu du temps et une résolution profonde pour conduire la politique israélienne hors de son dialogue interne et la mettre face à la réalité.
Les droits légitimes d’un peuple ne peuvent se maintenir sans la reconnaissance de la légitimité des droits d’un autre peuple et, particulièrement, de ceux de ses voisins.
Qu’il y ait des heurts et des contradictions entre ces droits est évident, et la nécessité s’impose, alors, d’aller au-delà vers la recherche de solutions qui ne soient pas des abandons consentis par force et dont le regret ne cesserait alors d’alimenter de futurs conflits.
Mais comment faire ? Je ne suis pas en possession de formules magiques et je suis bien persuadé qu’elles seraient inefficaces.
Peut-être y a-t-il une voie ? Celle qui me paraît ouverte serait de mettre en commun ce qui ne peut être partagé, de réaliser ensemble ce qu’aucune des deux parties ne voudrait laisser entièrement entre les mains de l’autre.
Pourquoi ne pas prendre en compte et créer une dynamique commune autour du sentiment si profond dans les deux populations d’un lien avec l’ensemble de ce territoire appelé par les uns la Palestine et par nous Eretz Israel ?
Bien sûr, la solution d’un seul Etat ne conviendrait ni aux Israéliens ni aux Palestiniens ; le passage par un Etat national est nécessaire, au-delà même de la notion de nationalité, par la raison supérieure de deux cultures différentes et des traditions de l’un et l’autre des deux peuples.
Mais la géographie de cette région – sans doute sur les deux rives du Jourdain – doit nous inciter à construire et à développer ensemble les infrastructures essentielles ; nous avons la chance – et donc aussi le devoir – d’être complémentaires dans de nombreux domaines et même, peut-être, aujourd’hui, essentiels les uns aux autres.
Bâtir l’avenir, le bâtir dans la liberté de la démocratie et dans l’intelligence du développement des moyens les plus efficaces, dans le souci, aussi, de les perfectionner assez rapidement pour participer aux échanges internationaux, n’est-ce pas là un domaine où Palestiniens et Israéliens pourraient trouver un épanouissement commun ?
Bien sûr, je le reconnais volontiers, les mots sont faciles à tracer d’une plume enthousiaste alors que la mise en oeuvre d’un instrument de coopération élargie est délicate et nécessite une préparation vigilante et rigoureuse.
La paix, cependant, ne se gagne pas dans la seule liquidation des contentieux alors que chacun s’enferme dans la revendication et la méfiance. La lutte a été trop longue, trop acharnée, trop meurtrière ; les esprits ont appris la haine plus que la patience et l’ouverture à l’autre.
Si nous voulons gagner le simple droit de vivre dans la dignité et la sécurité des nôtres, nous devons construire ensemble une société qui crée les conditions d’un respect mutuel.
Trop de mots balisent la route du conflit ; trop de malheurs, de douleurs, hantent les esprits. Nous nous sommes fait trop de mal les uns aux autres, parfois simplement pour défendre les nôtres ; nous avons laissé le mépris et l’injure prendre le relais du respect et de la compréhension. Nous nous sentons, les uns comme les autres, justifiés dans notre désir de liberté et d’indépendance, convaincus de nos droits comme de notre profonde légitimité.
Il ne s’agit pas de renier le passé, mais cependant de reconnaître fortement les torts et les douleurs causés à l’autre peuple, et d’en exprimer le regret sincère. Il faut bâtir pour l’avenir ce que nous n’avons pas su préserver dans le passé.
Acceptons de reconnaître nos erreurs et la vanité de certains de nos rêves ; acceptons d’exprimer nos regrets.
Je voudrais que l’Israélien reconnaisse sa douleur dans le visage douloureux de la mère palestinienne et que le Palestinien reconnaisse dans le visage de l’Israélien le regard d’amour qu’il porte sur cette terre commune.
Je n’ai cessé de vous appeler à cette révolution des esprits car je pensais que vous étiez, dans le temps présent et dans la politique israélienne, le seul capable d’entreprendre et de réussir à briser les barrières de la violence pour rechercher la solution politique, « la seule possible », m’aviez-vous dit la veille de votre première élection en février 2001.
Nous y sommes, peut-être, enfin… il est temps.
par Théo Klein