Zineb Sedira : « L’espace d’un instant »
Le Jeu de Paume présente une exposition personnelle de Zineb Sedira : elle couvre une période allant de 1998 à aujourd’hui et montre des formes aussi diverses que la vidéo, le film, l’installation et la photographie. Les œuvres choisies témoignent de l’intérêt de l’artiste pour les histoires orales, leur collecte, leur enregistrement et leur transmission, mais elles révèlent aussi son intérêt profond pour l’histoire postcoloniale et pour les problèmes liés à la destruction écologique globale due à la surproduction et à la circulation universelle des personnes et des biens.
Depuis 2005, Sedira a réalisé plusieurs œuvres (vidéos, sculptures et photographies) consacrées au voyage, maritime en particulier. Son intérêt pour les navires et les déplacements de populations est souvent rattaché à son histoire et à la géographie de l’Algérie, frontière nord d’une partie de la côte du Sud méditerranéen. Ce leitmotiv se retrouve symboliquement dans Lighthouse in the Sea of Time (2011), installation vidéo (en trois parties) consistant en quatre projections et deux écrans.
Laughter in Hell (2014-2018) est une installation dans laquelle Sedira présente son impressionnante collection de caricatures et de dessins politiques publiés dans la presse algérienne au cours des années 1990. La « décennie noire » a vu mourir environ deux cent mille civils algériens, pris dans une guerre interne entre les groupes islamistes armés et l’État. Cette œuvre met en lumière la part active de l’humour dans la critique du régime politique et la forme de résistance qui s’exprime à travers la presse.
D’autres œuvres de Sedira explorent l’idée de restauration ou de conservation des traces et de la mémoire par des formes archivistiques. Elle a réalisé quatre œuvres portant sur les archives photographiques, dont une est présentée dans cette exposition : Transmettre en abyme (2012). La première partie est un diptyque vidéo montrant, à gauche, des archives photographiques en noir et blanc, et, à droite, un entretien en couleurs avec la responsable des archives, Hélène Detaille. La seconde partie consiste en une description visuelle de ses photographies montrées successivement, tandis que l’artiste, en voix off, nomme chaque bateau correspondant à l’image présentée.
Le diptyque vidéo The End of the Road (2010) montre une casse automobile. La destruction mécanisée de pneus, la compression de voitures, le bris de fenêtres, l’empilement de pièces détachées sont quelques-unes des actions qui se déroulent tandis que l’artiste, en voix-off, décrit « l’univers de la circulation » et le « sentiment de désordre » que suscitent ces véhicules abandonnés. En insistant sur la « dévastation symbolique » et sur le fait que le pétrole est nécessaire à la majeure partie des moyens de transport, elle amène le regardeur à comprendre le point de vue critique qu’elle porte sur « les implications sociales, culturelles et économiques » de l’industrie automobile.
Zineb Sedira produira une nouvelle œuvre pour cette exposition grâce au soutien du Jeu de Paume, de l’Institut Valenciá d’Art Modern (IVAM), du musée Calouste Gulbenkian (Lisbonne) et du Bildmuseet (Suède. En 2019-2020). Standing Here Wondering Which Way to Go (2019) résulte de sa réflexion sur l’époque utopique des années 1960 et en particulier sur le rôle que l’état Algérien a joué, suite à son indépendance en 1962, dans les mouvements de libération des pays du continent africain. La partie centrale de l’œuvre, For a Brief Instant the World Was on Fire II, est un diorama : une maquette échelle 1 du salon de l’artiste dont l’environnement reflète son héritage africain.
Commissaires : Zineb Sedira et Pia Viewing
Exposition produite par le Jeu de Paume.
Avec le soutien de Fluxus Art Projects.
Partenaires média : Les inrockuptibles, Libération, Radio Nova et Arte
L’EXPOSITION ZINEB SEDIRA EN 7 MIN
Programmation cinéma
Échos & souffles des résistances algériennes
proposée par Olivier Hadouchi
du 10 janvier au 12 janvier 2020
Jeu de Paume, Paris
PRÉSENTATION par le Jeu de Paume
Durant les années 1960 et 1970, Alger est considéré comme la capitale des mouvements de la libération, comme une sorte d’équivalent de La Havane pour l’Afrique : Ernesto Che Guevara y a séjourné plusieurs fois, et c’est dans cette ville qu’il prononça l’un de ses célèbres discours en 1965. L’Algérie accueillait alors des responsables ou des militants de mouvements de libération (d’Angola, du Mozambique, de Guinée Bissau et du Cap Vert, du Vietnam, des Palestiniens, des membres de l’ANC luttant contre l’apartheid en Afrique du Sud…), des révolutionnaires, tels que les Blacks Panthers nord-américains, des résistants contre les dictatures d’Europe (Grèce , Espagne et Portugal) ou d’Amérique latine (du Brésil puis du Chili). En 1969, la ville a accueilli le Premier Festival Culturel Panafricain, qui a été filmé par William Klein et plusieurs équipes de cinéastes qui surent capter l’intensité et la portée de l’événement. Ainsi, le cinéma a joué un rôle auprès de cette constellation anticolonialiste et anti-impérialiste, qui accompagnait les luttes de libération tricontinentales (en rapport avec les trois continents qu’on appelait alors le « tiers-monde ». Déjà, durant la guerre d’indépendance, le FLN (Front de Libération nationale) avait utilisé la caméra comme une arme (avec Djamel Chanderli, Mohamed Lakhdar-Hamina, Mohand Ali-Yahia, Ahmed Rachedi, Cécile Decugis, Yann Le Masson & Olga Poliakoff, René Vautier, Pierre Clément…) pour promouvoir son combat en cherchant très vite à internationaliser la question algérienne, afin de recueillir des soutiens à l’échelle planétaire, dans le contexte de la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique et de l’émergence du tiers-monde sur la scène mondiale. Et on ne s’étonnera pas de voir que l’usage de l’image fixe ou animée durant la guerre d’indépendance algérienne a servi de modèle et de matrice à bien d’autres guerres d’indépendance, notamment dans les pays d’Afrique colonisés par le Portugal, comme la Guinée-Bissau, le Mozambique ou l’Angola.
Nous montrerons des films, parfois rares et méconnus, tels que Die Frage, la première adaptation cinématographique de La Question – le fameux récit d’Henri Alleg dénonçant la torture – tournée par Mohand Ali-Yahia, un Algérien ayant étudié le cinéma et tourné ce court-métrage à Berlin Est en 1961, ou Eldridge & Kathleen Cleaver de Claudia Von Alemann, qui recueille la parole du couple de Black Panthers alors en exil à Alger. L’internationalisme est présent dans Le Glas de René Vautier (1969, sous le pseudonyme de Ferid Dendenni), conçu pour soutenir le mouvement de libération du ZAPU (Zimbabwe), tandis que Monagambée de Sarah Maldoror, qui vivait à Alger avec son compagnon Mario Pinto de Andrade (un responsable du MPLA) et ses enfants, met en scène le malentendu colonial et la résistance des Angolais. Sans oublier Boubaker Adjali, une autre figure importante ayant soutenu les luttes des peuples et des mouvements d’indépendance ou anti-apartheid du Sud, avec sa plume, son appareil photo et sa caméra : The Rising Tide & East Timor : Isle of Fear, Island of Hope. Adjali est aussi l’auteur d’une photographie prise en Angola, qui a beaucoup circulé dans des affiches ou des documents militants, à l’image d’une autre photo prise par Augusta Conchiglia, du combattant angolais au sourire et aux cartouches, que l’on retrouve notamment dans Festival Panafricain d’Alger ou dans Monagambée.
Pour sa part, Assia Djebar se réapproprie, déconstruit et remet en perspective des archives coloniales tournées au Maghreb du début du XXe siècle jusqu’aux années 1940, avec un regard critique et un montage moderne et audacieux, avec La Zerda ou les Chants de L’Oubli (1982). Nahla (1978) de Farouk Beloufa nous présente un journaliste algérien envoyé à Beyrouth, dans une ville au bord de l’implosion. Il donnait ainsi la parole à des personnages de femmes, libanaises, tandis qu’Ahmed Lallem tendait sa caméra et son micro à des lycéennes dans Elles, tourné à Alger en 1966. Le cinéma avait été utilisé, parfois même « mobilisé » en quelque sorte, pour accompagner les résistances et promouvoir l’idée d’indépendance, de libération, d’internationalisme et de changement social.
Des années plus tard, après de nouvelles séquences historiques et d’autres soubresauts, à l’heure actuelle, où de nouvelles mobilisations se produisent en Algérie et dans d’autres lieux, on peut se poser la question suivante, même si les enjeux d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier : que reste-t-il des échos et des souffles des résistances algériennes des années 1960 et 1970, de ces rêves inaccomplis et de tous ces immenses espoirs ?
Le programmateur
Olivier Hadouchi a conçu des cycles ou des soirées spéciales, notamment pour le BAL (« Éclats & soubresauts d’Amérique latine »), le Musée Reina Sofía (« La Tricontinentale. Cinéma, Utopie et Internationalisme »), Bandits-Mages, la galerie ZdB à Lisbonne (« Cinéma & Libération tricontinentale »), pour le Festival d’Amiens ou Bandits-Mages (« Images & Voix du Sud », « Souffles planétaires de 68 »). Par ailleurs, il a collaboré à des revues, des ouvrages collectifs (sur l’essai, sur Chris Marker, les cinémas d’Algérie, du Liban, d’Amérique latine…), est intervenu dans les colloques, des centres d’arts, des Cinémathèques ou des musées internationaux (de Paris, Belgrade, Ljubljana, Lisbonne, Alger, Tanger, Beyrouth, Santiago du Chili & Valparaíso, St Denis à la Réunion…) et des festivals (DocLisboa, Rencontres Cinématographiques de Béjaïa, Amiens, Belfort, DocumentaMadrid, 3 Continents à Nantes…).
PROGRAMME
Vendredi 10 janvier, 18h
« Alger, capitale du Sud insurgé »
Festival Panafricain d’Alger de William Klein (1970, 105’, 35 mm, version intégrale)
Avec Olivier Hadouchi, Augusta Conchiglia et William Klein (sous réserve)
Samedi 11 janvier, 14h30
« Résistances anti-coloniales »
La distribution de pain (ex-Réfugié algériens) de Cécile Decugis, (Algérie/Tunisie/France, 1957-2011, 35mm, noir et blanc, 14’, VFr)
J’ai huit ans de Yann Le Masson et Olga Poliakoff (France, 1961, 16mm, couleur, 9’, VFr)
La Question (Die Frague) de Mohand Ali-Yahia (Allemagne, 1961, 35mm, noir et blanc, 14’, VO st Fr)
Le Glas de René Vautier (France, 1969, 16mm, couleur, 9’, VFr)
The Rising Tide de Boubaker Adjali (Algérie/Sénégal, 1977, 35mm, noir et blanc, 45’, VAng)
En présence d’Olivier Hadouchi et Chaouki Adjali.
Samedi 11 janvier, 17h
« Re-visiter les Archives & Décoloniser l’Histoire »
La Zerda ou les Chants de l’Oubli d’Assia Djebar et Malek Alloula (Algérie, 1982, 16mm, noir et blanc, 60’, VO st Ang et All)
Territories d’Isaac Julien (France/Royaume-Uni, 1984, 16mm, couleur, 25’, VAng)
Avec Olivier Hadouchi et Zineb Sedira
Dimanche 12 janvier, 14h30
« Portrait d’une ville au bord de l’implosion »
Nahla de Farouk Beloufa (Algérie, 1979, 35mm, couleur, 110’, VO st Fr)
Avec Olivier Hadouchi
Dimanche 12 janvier, 17h
« Entre répressions et souffles libérateurs »
Monagambée de Sarah Maldoror (Angola/Algérie, 1969, 16mm, noir et blanc, 19’, VO st Fr)
Kathleen & Eldridge Cleaver de Claudia Von Alemann (Allemagne, 1970, 16mm, noir et blanc, 24’, VAng)
Elles de Ahmed Lallem (Algérie, 1966, 16mm, noir et blanc, 21’, VFr)
East Timor, Island of Hope de Boubaker Adjali (USA, 1976, 35mm, noir et blanc, 20’, VAng)
Avec Olivier Hadouchi, Claudia Von Alemann et Annouchka De Andrade
INFOS
Tarifs des séances : 5 € (tarif réduit : 3,5 €)
Accès sans réservation
Renseignements :