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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Un projet pédagogique
autour du 17 octobre 1961

Au lycée des métiers René Cassin à Rive-de-Gier (Loire), une équipe pédagogique a impulsé pour les élèves de bac pro et de CAP un travail autour de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Une importante documentation a été rassemblée, films, livres et photographies. Sur cette base, les élèves ont réalisé un montage de photos et de textes et préparé de nombreuses questions destinées à une rencontre avec deux auteurs venus échanger avec eux, dont Marie-Odile Terrenoire, fille du ministre Louis Terrenoire, alors porte-parole du général de Gaulle au moment des faits.

Le travail des élèves du lycée René Cassin à Rive-de-Gier
sur la manifestation du 17 octobre 1961 et son occultation

Dans le cadre d’un projet pédagogique comportant la préparation d’une conférence-débat, le 14 mars 2019, les élèves de première année bac pro et de première année CAP du lycée des métiers René Cassin à Rive-de-Gier, près de Saint-Etienne, ont préparé un montage de photos et de textes portant sur le déroulement et sur la mémoire de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. 1-56.jpg

Cliquer sur l’icône ci-dessous pour télécharger et visionner le diaporama

le devoir de memoire a travers le 17 octobre 1961 version finale

Pour construire ce projet pédagogique, Mesdames Nadjima Daouadji et Saïda Ousmaal, enseignantes lettres-histoire géographie dans cet établissement, se sont appuyées sur l’ouvrage de Marie-Odile Terrenoire, fille du ministre Louis Terrenoire, alors porte-parole du général de Gaulle au moment des faits. L’auteure y évoque ses lectures et ses recherches sur la manifestation du 17 octobre 1961, dans une démarche personnelle pour comprendre l’enchaînement des circonstances qui ont conduit à ce massacre à Paris, car elle avait été soudain interpellée par la qualification de « crime d’Etat » formulée par un collectif d’associations à l’égard de la répression de cette manifestation, alors qu’elle savait que son père, ancien Résistant et déporté et partisan de l’indépendance algérienne, siégeait alors au gouvernement. 2-40.jpg

Les enseignantes ont découvert cet ouvrage à la médiathèque de Rive-de-Gier et ont d’abord été intéressées par son titre, « Voyage intime au milieu de mémoires à vif », car elles savent que de nombreuses mémoires intimes, souvent à vif, sont enfouies dans le vécu des familles de leurs élèves, chez ceux dont les grand-pères sont des hommes nés dans la région qui ont été envoyés faire la guerre en Algérie, comme chez ceux qui descendent d’immigrés algériens confrontés, à l’époque, au mouvement indépendantiste algérien ou qui ont été impliqués en son sein.

Considérant que le travail de recueil et de confrontation des mémoires est central dans leur enseignement de l’histoire, les deux professeures ont fait en sorte que leurs élèves soient acteurs du projet. Ceux-ci ont travaillé sur diverses sources et travaux historiques pour comprendre le contexte de cet événement. Ils ont vu, en particulier, le documentaire réalisé en 2017 par Jean-Paul Julliand intitulé « Ils ne savaient pas que c’était une guerre », consacré à la manière dont les appelés originaires de la Loire ont vécu la guerre d’Algérie.

Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! Bande-annonce VF

C’est en se réappropriant ce moment de l’histoire, que les lycéens ont organisé une conférence sur cet épisode historique. Certains de ces élèves ont été intéressés au point de passer une partie de leurs congés à la médiathèque de la ville pour y poursuivre leurs recherches. Avec l’aide d’un formateur bénévole dans le domaine de l’audiovisuel, Guy Dardelet, de la MJC de Rive-de-Gier, qui les a aidés dans la réalisation technique de ce travail, les élèves ont construit ce diaporama-photos qui leur a servi de support pour animer la première partie de la conférence. Puis, en prenant successivement la parole, les élèves ont commenté les étapes de ce drame pour ensuite, questionner les deux auteurs venus les rencontrer dans leur lycée à la demande de leurs professeurs : Marie-Odile Terrenoire et l’historien Gilles Manceron, spécialiste de l’histoire coloniale.

Gilles Manceron a publié Le 17 octobre des Algériens, texte inédit (1962) de Marcel et Paulette Péju, suivi de La triple occultation d’un massacre, La Découverte, 2011. Voir aussi sur ce sujet : • Du nouveau sur le 17 octobre 1961. Un livre récent éclaire le rôle de Michel Debré, par Gilles Manceron.Des documents et témoignages nouveaux sur Michel Debré et le 17 octobre 1961.

Ils ont profité de cette rencontre pour leur poser les nombreuses questions qu’ils avaient préparées, notamment sur les responsabilités des différents acteurs de l’époque qui se trouvaient au cœur du pouvoir et qui étaient divisés sur la question de l’indépendance de l’Algérie. Quel rôle a joué le Premier ministre d’alors, Michel Debré ? Quelle était la préoccupation du chef de l’Etat, le général de Gaulle, telle que l’un de ses proches, le ministre Louis Terrenoire, en a noté les propos ? 3-25.jpg Louis Terrenoire, De Gaulle en conseil des ministres, Eurocibles, 2018.

Marie-Odile Terrenoire a notamment évoqué le Journal tenu par son père, Louis Terrenoire, et les notes que celui-ci a été chargé de prendre au conseil des ministres, deux documents inédits qu’elle vient, avec ses frères, de décider de publier. Comment de Gaulle a-t-il pu, malgré le déchirement de l’opinion, conduire le pays à la décolonisation de l’Algérie ? Ce livre présente sur ce point des documents inédits et de première main. Il retrace, dans l’intimité des confidences livrées par de Gaulle à Louis Terrenoire, la progression du processus de paix. Chaque semaine, en effet, durant les vingt-six mois qui ont précédé les accords d’Evian, Louis Terrenoire consignait tout ce qui s’échangeait au Conseil des ministres. Plusieurs centaines de pages manuscrites : des annotations prises sur le vif qui ont d’autant plus d’intérêt qu’elles n’étaient pas destinées à être lues. A partir de ces notes, Louis Terrenoire rédigeait, en plus de ces notes, un journal plus personnel.

Les notes prises par Louis Terrenoire pendant les conseils des ministres n’ont pas été consultées avant cette publication. Un extrait : « Après le Conseil, le Général m’appelle auprès de lui, avec Debré et Joxe pour mettre au point les termes du communiqué. J’en prends note sous la dictée du Général. Puis celui-ci tourné vers Debré s’exclame : “En vérité, il est miraculeux que nous soyons arrivés à un accord. Car, songez-y, depuis cent trente ans, “ils” n’ont cessé d’être dominés, trompés, dépouillés, humiliés.”…» (21 février 1962). Ces documents font notamment apparaitre l’ampleur des divergences sur la question algérienne entre le général de Gaulle et Michel Debré.

A travers ce projet pédagogique, il s’agissait de confronter les élèves à l’analyse d’un événement historique qui fait l’objet de diverses mémoires antagonistes. Il s’agissait aussi de construire aujourd’hui avec eux, au-delà de celles-ci, une mémoire collective autour de valeurs partagées et de contribuer ainsi à un sentiment d’appartenance commune, à un vivre ensemble où chacun a le sentiment d’avoir sa place.

Voici le ressenti de l’une des personnes invitées à cette conférence, Marie-Odile Terrenoire : « Je voudrais rendre hommage à l’enseignante férue d’histoire à l’origine de ce projet qui, par choix, consacre son énergie et son érudition à mener dans un lycée professionnel un travail de mémoire propre à donner aux élèves des repères pour comprendre l’histoire douloureuse de leurs ascendants ainsi qu’une ouverture d’esprit pour aborder la société française. C’est avec beaucoup d’élan, d’énergie et de talent que les élèves de Mme Ousmaal et de Mme Daouadji, professeures de lettres-histoire au lycée des métiers René Cassin ont travaillé sur un sujet douloureux : la mémoire du massacre du 17 octobre 1961. Leur exposé était limpide, le choix des photos très pertinent, leur élocution claire et les questions qu’ils ont posées très judicieuses. Cet excellent travail a été tellement apprécié de leurs camarades que l’on a pu remarquer l’écoute très attentive de toute la salle qui réunissait une bonne cinquantaine d’élèves. Il me semble que ce travail très abouti peut déboucher sur une prise de conscience plus générale, sur le passé colonial de la France mais aussi sur la complexité de l’enchaînement des faits historiques ».

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