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Édition du 1er au 15 décembre 2024

un ouvrage consacré à Boubaker Adjali,
révolutionnaire anticolonialiste
injustement oublié, par Sonia Combe

Les éditions Otium ont publié en 2023 dans leur collection « Argentiques » un livre consacré à un personnage peu connu de l'histoire des luttes anticolonialistes : Boubaker Adjali (1939-2007). Algérien, militant révolutionnaire, photographe et documentariste, « mi-Capa, mi-Curiel », selon la formule de l'historien Nedjib Sidi Moussa dans sa préface. Le livre Boubaker Adjali l'Africain. Un regard tricontinental comprend 162 photos de Boubaker Adjali, presque toutes inédites. Nous publions sa recension dans En attendant Nadeau par Sonia Combe, ainsi qu'une vidéo des Archives du cinéma numérique algérien et une présentation de Boubaker Adjali par Chaouki Adjali et aussi son portrait par le plasticien Mustapha Boutadjine.

Boubaker Adjali, un révolutionnaire anticolonialiste

par Sonia Combe, publié par En attendant Nadeau, le 25 avril 2023.
Source

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Boubaker Adjali l’Africain. Un regard tricontinental. Otium, coll. « Argentique ». 280 p., 162 photos, 46 €.

Les éditions Otium nous ont habitués à un travail soigné, réalisé par des amoureux des livres. Mais cette fois, avec l’hommage rendu à Boubaker Adjali, « révolutionnaire et anticolonialiste […], mi-Capa, mi-Curiel », elles se surpassent. Cet authentique beau livre rend justice à un militant indépendantiste algérien « sans affiliation ni chapelle » qui mit sa formation de photographe et de documentariste acquise à l’école de Prague au service de tous les mouvements de libération. Né en 1937 et exilé de son pays après le coup d’État de Boumédiène, Boubaker Adjali est mort à New York en 2007.

« Comment, s’interroge Nedjib Sidi Moussa dans sa préface intitulée « Portrait d’un décolonisé », avons-nous pu, collectivement, à commencer par les intellectuels, les artistes ou les militants, passer en pleine conscience à côté d’un tel personnage ? » La tentation est grande en effet de rapprocher Boubaker Adjali d’Albert Memmi, auteur du Portrait du colonisé, tant ces deux anticolonialistes se retrouvent dans leur critique de l’intégrisme et du despotisme, ou encore dans leur plaidoyer en faveur de la laïcité et de la solidarité.

Sans parler d’une improbable reproduction sociale, bien entendu, Boubaker est né dans une famille qui accordait du prix à l’étude, pour les garçons comme pour les filles. Il fera partie des 10 % d’enfants algériens qui fréquentent en 1945 l’école française. Il ne se mélangera pas pour autant aux enfants européens et suivra le « programme B » avec les enfants musulmans et juifs de Constantine. Éloigné du monde rural de son enfance pour aller étudier dans la grande ville, il acquiert très jeune une liberté de mouvement qui, les développements historiques aidant, ne l’abandonnera jamais.

Il sera très tôt à bonne école avec des cousins plus âgés que lui, engagés dans l’organisation nationaliste la plus radicale, celle de Messali Hadj, puis dans le FLN. À l’âge de dix-sept ans, il part à Paris pour, officiellement, y faire des études. Une action commando, au cours de laquelle il tire sur le commissariat de police du XVIIIème arrondissement et sera blessé, orientera sa destinée. Il est pris en charge par un réseau du FLN, qui l’extrade vers la Belgique, puis l’envoie étudier le cinéma en Tchécoslovaquie. Le FLN a compris l’importance du septième art pour internationaliser sa cause, aidé en cela par les pays socialistes. Boubaker intègre la célèbre école de cinéma pragoise, la FAMU, où le jeune Milan Kundera donne des cours de littérature mondiale.

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En 1962, c’est le retour dans une Algérie désormais indépendante. Il y forme « les futurs commissaires politiques aux méthodes audiovisuelles », participe à la « guerre des images » pour contrer la machine médiatique française. L’Algérie dispose de peu de moyens, mais un cadre comme Boubaker, qui sait manier la caméra et maitrise le langage visuel, est précieux. Alger est alors la Mecque du mouvement anticolonialiste et panafricaniste. Boubaker est de toutes les initiatives ; celles-ci prendront fin brutalement en 1965 avec le coup d’État du colonel Boumédiène. Un cahier de ses photos de l’époque en dit long sur les réalisations de la jeune Algérie indépendante dont bien des fondateurs se sentiront dépossédés par le revirement de l’Histoire.

Après plusieurs années de vache maigre et de crainte de la répression, Boubaker quitte l’Algérie. Il part avec sa compagne, Mia, une jeune Norvégienne née en Algérie de parents méthodistes, qui va l’aider à prendre pied à New York. À côté de sa carrière de cinéaste indépendant, il devient journaliste et sera le correspondant du bimensuel AfricAsia. Ses reportages photographiques sont saisissants : ce sont surtout les regards qu’il capte, bien moins les paysages, les regards des enfants comme des combattants. Il est de toutes les luttes, en Asie ou en Afrique, au Vietnam, en Angola, au Mozambique, à Timor – un regard tricontinental. « L’image au poing », dira l’historien du cinéma Olivier Hadouchi. La caméra aussi, puisque Boubaker a pu créer sa propre société de production à New York où il devient également consultant auprès de l’ONU pour le Conseil pour le développement de la recherche économique et sociale en Afrique, une organisation non gouvernementale. S’inspirant de l’économiste égyptien Samir Amin, le conseil entreprend d’aider les jeunes États qui ont accédé à l’indépendance, tout en luttant contre les régimes autoritaires, y compris socialistes. Au cours des années 1980, Boubaker participe, aux côtés de l’ambassadeur de Cuba, aux réunions du mouvement des non-alignés à New York. À titre quasiment privé, si ce n’est en coulisse, comme une sorte d’éminence grise.

En conclusion, lit-on à la fin d’un livre où d’époustouflants reportages photographiques rivalisent avec les textes, Boubaker fait partie de ces personnages dont les destinées sont aujourd’hui « semi-englouties ». Agir leur importait bien davantage que paraître et, vivant aussi intensément, le temps leur manquait pour se raconter. On peut le regretter, mesurant la distance avec notre époque où on aime à se raconter ; nous sommes d’autant plus heureux de les voir sorties de l’oubli.

Boubaker a donc bien plus filmé, photographié et parlé qu’écrit. Mais sa réflexion sur les liens entre journalisme et engagement mériterait d’être lue et étudiée dans toutes les écoles de journalisme. Il fait preuve de lucidité sans se renier. Revenant sur son passé, il dit certes constater aujourd’hui « avec un mélange d’effroi et d’amusement », qu’il lui arrivait, au lieu de faire du journalisme, de se livrer à de la pure propagande. Mais « j’avais, écrit-il, une cause à défendre et rien en moi n’est venu altérer ni les raisons ni la foi de cet engagement, sinon que je ne défendrais pas de la même façon [aujourd’hui] tous les hauts responsables qui étaient à la tête de ces mouvements de libération ! » On le sut très tôt : il n’y eut pas que des Patrice Lumumba et des Thomas Sankara, ces martyrs de l’anticolonialisme progressistes. D’autres ont mal tourné.


Une vidéo publiée par Archives numériques du cinéma algérien :
« Boubaker Adjali l’Africain : un regard tricontinental »



Avec les contributions de Marie Chominot, Nejib Sidi-Moussa, Sohir Belabbas-Bendaoud, Olivier Hadouchi, Constantin Katsakioris et Luísa Semedo.
Montage : Nabil Djedouani
Musique : Bonga « Mona Ki Ngi Xica »


Un Africain citoyen du monde



par Chaouki Adjali, publié sur le site de Mustapha Boutadjine.
Source

Boubaker Adjali par Mustapha Boutadjine, Paris 2014 – Graphisme-collage, 130 x 95 cm.
Boubaker Adjali par Mustapha Boutadjine, Paris 2014 – Graphisme-collage, 130 x 95 cm.

Boubaker Adjali (Kapiaça en Angola, Nicolaus Husseini au Mozambique) est né en 1939 à Meskiana, petit village de l’Est algérien. Très jeune, il rejoint le FLN à l’intérieur puis dans la fédération de France. Il fait des études en électricité à Paris et de cinéma à Prague puis rejoint l’Armée de libération nationale (ALN).

Polyglotte, de sensibilité marxiste, Boubaker Adjali commence alors une vie de soutien engagé aux côtés des mouvements de libération d’Afrique et d’Asie. C’est ainsi qu’il écrit et/ou réalise des documentaires : Nous existons, sur la lutte du peuple palestinien (FDPLP) ; Le 23e Cessez-le-feu, sur la guerre au Liban ; île de la crainte, île d’espoir, sur l’invasion de Timor par l’Indonésie et la lutte du Fretilin (Timor Est) ; La Marée se lève, sur l’ANC (Afrique du Sud), choisi par les Nations unies pour circuler à travers le monde durant l’Année contre l’apartheid (1978-1979) ; ainsi que des documentaires sur le Fplog (Oman) et les mouvements de libération africains : le MPLA (Angola), le Frelimo (Mozambique) et le Paigc (Guinée-Bissau). Il réalisera aussi De la terre à la lune !, sur le nouvel ordre économique et les matières premières du tiers-monde (Algérie) et enfin Indépendance et unité, pour le dixième anniversaire de l’OUA.

Parti en 1970 en mission pour le MPLA en Angola, il fut le premier à entrer dans une région jamais encore ouverte aux journalistes avant lui et se retrouva au maquis avec les Angolais en lutte contre l’occupation portugaise. Son livre Va dire à Neto, va leur dire… relate son périple.

Il dira en évaluant le chemin parcouru : « Mon soutien aux luttes de libération a été total, engagé et désintéressé. Il ne provenait pas d’un choix débonnaire ou romantique. Je ne suis pas allé le chercher. Je ne l’ai pas construit. Et s’il fut un choix, conscient et réfléchi, il émanait directement de mon histoire antérieure et d’abord de notre propre guerre de libération où mes engagements s’étaient forgés. Oui, aujourd’hui encore, j’offrirais sans aucune entrave et de la même façon mon plein engagement. Je ne me livre donc pas ici à un examen de conscience, l’esprit trituré par d’éventuels remords. Seul m’anime le désir de laisser la trace de cette expérience et d’inscrire mon regard dans cette histoire africaine, douloureuse, passionnante et si souvent entachée de mensonges, de préjugés, de racisme et d’oubli. »

Boubaker Adjali décède le 14 décembre 2007 à New York. Il est enterré dans le Massachusetts.

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