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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Un jeune auteur algérien fait l’objet d’une enquête pour blasphème

Le 28 février 2017, Anouar Rahmani, étudiant en droit de 25 ans, a été convoqué par les autorités de Tipaza, à 70 kilomètres d'Alger, pour une enquête sur le roman La ville des ombres blanches, qu'il avait publié sur internet en août 2016. Dans un communiqué diffusé le 8 mars, l'ONG Human Rights Watch (HRW) a appelé la justice à abandonner l'enquête : « il n'appartient pas à la police d'interroger des écrivains au sujet de leurs croyances religieuses ». HRW demande aux autorités algériennes d'abolir les « lois qui pénalisent la “diffamation” de la religion », rappelant qu'elles vont à l'encontre des conventions internationales sur les droits de l'homme, signées par l'Algérie, et de sa propre Constitution qui garantit la liberté de pensée et de conscience. L'organisation rappelle qu'en septembre 2016 la cour d'appel de Sétif a condamné Slimane Bouhafs, un chrétien converti, à trois ans de prison pour des posts sur Facebook portant « atteinte à l'islam ». Ci-dessous un article du site HRW 1 daté du 8 mars 2017. Il est suivi du communiqué commun de l'Observatoire de la liberté de création et de la Société des Gens de Lettres (SGDL) qui apportent leur soutien à Anouar Rahmani. [Première mise en ligne le 11 mars 2017 -- mise à jour le 20]

HRW demande l’abandon des poursuites pour blasphème contre le jeune romancier

Le bureau du procureur de la République d’Algérie devrait abandonner l’enquête criminelle pour blasphème qu’il a ouverte à l’encontre d’un écrivain pour un roman publié en 2016, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui [8 mars 2017]. Les autorités algériennes devraient protéger la liberté d’expression et prendre immédiatement des mesures pour abolir la loi sur le blasphème.

La police judiciaire de Tipaza, ville située à 70 kilomètres d’Alger, a interrogé Anouar Rahmani, un étudiant en droit et romancier de 25 ans, le 28 février 2017. Les policiers lui ont dit que le procureur général avait ouvert une enquête sur La ville des ombres blanches, un roman qu’il avait publié sur internet en août 2016. Ils ont rédigé un procès-verbal dans lequel ils l’accusent d’avoir insulté l’islam dans ce roman. Rahmani a été laissé en liberté en attendant la décision du procureur de l’inculper ou non.

  • « Il n’appartient pas à la police d’interroger des écrivains au sujet de leurs croyances religieuses », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Rahmani a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait reçu à son domicile une convocation de la police le 27 février 2017. Quand il s’est rendu le lendemain au poste de police de Tipaza, sept agents de police l’ont interrogé au sujet de son roman. Dans un chapitre de ce roman, un enfant a une conversation avec un homme sans domicile fixe qui se fait appeler « Dieu » et affirme avoir créé le ciel à partir de chewing gum. Le roman dépeint également une relation homosexuelle entre un combattant pour l’indépendance et un colon français pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie.

Rahmani a déclaré que les policiers lui avaient posé des questions comme « Est-ce que vous priez ? », « Pourquoi avez-vous insulté Dieu ? », « Pourquoi avez-vous écrit un tel roman ? ». Selon les dires des policiers, le ton ironique du roman constitue une insulte à l’égard de l’Islam et son vocabulaire à tonalité sexuelle contrevient aux bonnes mœurs.

Rahmani a affirmé qu’au bout de dix heures d’interrogatoire, il avait signé un procès-verbal de police indiquant qu’il faisait l’objet d’une enquête aux termes de l’article 144 bis du code pénal, qui prévoit une peine de prison de trois à cinq ans et une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 dinars (914 dollars) pour quiconque « offense le prophète » et « dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam. » Le procureur doit maintenant décider s’il inculpe Rahmani ou non.

Rahmani a affirmé avoir fait l’objet de menaces et de campagnes de dénigrement sur internet et dans les médias algériens pour avoir défendu la communauté LGBT, critiqué le recours à la religion pour restreindre les droits humains et pris la défense des minorités religieuses sur son blog, le Journal d’un Algérien atypique (Journal of an Atypical Algerian). Le 2 juin 2016, l’organisation non gouvernementale internationale Frontline Defenders a dénoncé les accusations de blasphème et d’apostasie proférées contre Rahmani sur les pages des étudiants de son université sur les réseaux sociaux, ainsi que dans un quotidien algérien.

  • « Le plus grand blasphème, c’est de croire que Dieu puisse être offensé par un roman, et qu’il est si faible qu’il a besoin d’être défendu par la police », a déclaré Rahmani à Human Rights Watch.

Les lois qui pénalisent la « diffamation » de la religion ou des organisations religieuses sont incompatibles avec les normes internationales de la liberté d’expression, a affirmé Human Rights Watch. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans son commentaire général sur l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a ratifié, a affirmé qu’il n’est pas acceptable que « les interdictions des manifestations de manque de respect pour une religion ou pour tout autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème (…) soient utilisées afin d’empêcher les critiques de dirigeants religieux ou les commentaires sur une doctrine religieuse et les préceptes de la foi, ou afin de punir leurs auteurs. »

L’article 42 de la Constitution algérienne garantit la liberté de pensée et de conscience.

L’article 44 protège la liberté « de création artistique ».

En septembre 2016, la Cour d’appel de Sétif a condamné Slimane Bouhafs, un chrétien converti, a trois ans de prison pour des posts sur Facebook portant « atteinte à l’Islam », aux termes du même article du code pénal. Bouhafs purge actuellement sa peine.

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Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création et de la Société des Gens de Lettres (SGDL)

Un étudiant en droit et romancier algérien de 25 ans, Anouar Rahmani, a été longuement interrogé le 28 février 2017 par la police judiciaire de Tipaza. Il a appris qu’une enquête avait été ouverte sur un de ses romans, publié en août dernier sur Internet, La Ville des ombres blanches. Il risque donc d’être inculpé par le procureur de la République pour offense au prophète et insulte à l’islam. Aucune source policière ou judiciaire n’a confirmé cette information, mais la Société des Gens de Lettres (SGDL) et l’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des droits de l’Homme (France) s’inquiètent vivement des suites qui pourraient être données à cette affaire. L’article 144 bis du Code pénal, contesté par la société civile algérienne, menace de trois à cinq ans de prison et d’une amende de cent mille dinars « quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen ».

Anouar Rahmani a déjà subi des menaces, des accusations de blasphème et d’apostasie et des campagnes de dénigrement, en particulier pour les positions qu’il a prises sur son blog pour défendre la communauté LGTB ou les minorités religieuses.

En l’espèce, c’est un roman qui est visé. L’Algérie est officiellement une république démocratique, qui a ratifié, en 1989, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU. Elle garantit, par sa Constitution, la liberté de conscience et la liberté d’opinion (art. 42), ainsi que la « liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique » (art. 44).

Les questions des policiers – « Pourquoi avez-vous écrit un tel roman ? », « Pourquoi avez-vous insulté Dieu ? » – visent la liberté de création, garantie à l’auteur par la Constitution de son pays.

Le passage incriminé du roman met en scène un vagabond fou qui prétend être Dieu, descendu parmi ses créatures pour les éprouver. Dans son délire, il dit avoir créé le ciel avec du chewing-gum. Blasphème ? Si c’est le cas, il est attribué à un personnage, dont le narrateur (qui, lui-même, ne peut être identifié à l’auteur) désapprouve explicitement les propos et la conduite.

Human Rights Watch, contactée par le romancier, a demandé au procureur de la République d’Algérie d’abandonner les poursuites. La SGDL et l’Observatoire de la liberté de création s’associent pleinement à cette demande.

Paris, le 20 mars 2017

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