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Hommage à Josette et Maurice Audin
au cimetière du Père-Lachaise à Paris
Intervention de Pierre Mansat,
président de l’Association Maurice Audin
Qu’il est long le temps de la vérité dans notre pays !
Plus exactement qu’il est long le temps de la reconnaissance de la vérité dans notre pays, surtout quand cette vérité est celle de la réalité des crimes d’État ou des crimes de la France coloniale.
Pour Maurice Audin, une vérité connue dès 1957.
N’est-ce pas Michèle, Pierre et vous toutes et tous, chère famille Audin, qu’il est long le temps de la reconnaissance de la vérité !
Qu’il a été long le chemin de Josette Audin !
Qu’il a été long le chemin de Josette: 61 ans 7 mois et 3 semaines, pour, comme l’a dit Pierre Audin dans l’Humanité pendant lesquelles « elle a lutté pour Maurice Audin, souvent seule ou peu accompagnée, d’abord pour essayer de le retrouver, ensuite pour faire condamner les coupables, et finalement, seulement pour savoir et faire savoir la vérité »
Il a fallu plus de 61 années pour que l’État français par la voix de son président de la République reconnaisse que Maurice Audin a été enlevé, torturé, assassiné par des militaires français qui ont fait disparaître son corps et on mis au point un mensonge, devenu mensonge d’Etat.
Plus de 61 années pour que l’État français reconnaisse que cet assassinat a été possible parce que tous les pouvoirs avaient été donnés à l’armée par l’Assemblée nationale française, et que la torture était un système généralisé, accepté, assumé, justifié par les plus hautes autorités de l’État.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, jour anniversaire de son enlèvement par les parachutistes, nous nous retrouvons pour rendre hommage à Maurice Audin, le militant de l’indépendance de l’Algérie, membre du parti communiste algérien auquel il avait adhéré en 1951, suivant en cela Josette qui avait rejoint le PCA en 1950. Maurice qui comme le résume Michèle dans son livre bouleversant, Une vie brève, « diffusait la presse communiste, s’occupait de la sécurité des militants passés à la clandestinité, leur procurant des faux papier, les transportant d’une planque à l’autre… ». « Son terrain d’action était « politique et propagande »
Et indissociablement hommage à Josette Audin.
C’est une formule sans doute un peu convenue, Josette dont le courage, la détermination forcent l’admiration générale. Je pense à l’ovation qui a marquée sa participation a la dernière fête de l’Humanité. Josette dont on sait que, alors qu’elle était à la recherche de Maurice, elle apportait son soutien aux familles de prisonniers.
Josette au sourire si doux qui n’a jamais renoncé.
Et cette cérémonie permet d’évoquer ceux qui ont refusé le mensonge d’État et qui pendant des décennies ont porté, avec plus ou moins d’intensité, ce combat.
D’où l’importance de les nommer en ce lieu, qu’ils soient disparus ou parmi nous. Une nécessité car cette histoire récente a laissé peu de traces.
Dés 1957 les intellectuels du Comité Audin, avec cette singularité, en pleine guerre froide, de la rencontre de personnes d’opinions politiques très différentes : Laurent Schwartz, Albert Chatelet, Pierre Vidal-Naquet, mais aussi Madeleine Rebérioux, Marianne Debouzy…
François Mauriac assistera à la soutenance de thèse organisée à la Sorbonne.
Les membres du jury qui décernèrent le prix Maurice Audin de mathématiques à plusieurs reprises.
Les avocats Jules Borker, Pierre Braun, Nicole Dreyfus, Arnaud Lyon-Caen, Roland Rappaport, Claire Hocquet.
Les journalistes, journaux et médias : Madeleine Riffaud, André Maurois, Jean Daniel, Florence Beaugé, Charles Silvestre, Nathalie Funès, Maud Vergnol, Rosa Moussaoui, Hassan Zérouki. Et donc l’Humanité, La Télé Libre, France 24, l’Obs, Le Monde, Mediapart, Politis…
Les éditeurs: Jérôme Lindon, Nils Andersson et les créateurs : Ernest Pignon-Ernest, François Demerliac.
Les historiennes/historiens: Sylvie Thénault, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora, Gilles Manceron…
Les « Douze » de l’appel pour la dénonciation de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie publié dans L’Humanité en octobre 2000, dont ceux que je n’ai pas encore cité, aux cotés de Josette : Henri Alleg bien sûr, Simone de Bollardière, Noël Favrelière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant.
Les moins connus, les élus de 25 communes de France qui ont donné le nom de Maurice Audin à des espaces publics, rues, places, espaces verts, esplanades, écoles.
Deux mathématiciens : François Nadiras, et Gérard Tronel, qui a cofondé l’association et qui a relancé avec une formidable énergie un prix Audin de mathématiques, partagé entre Algériens et Français. Les membres du jury et les Sociétés savantes qui l’ont soutenu SMF et SMAI. L’institut Poincaré, Michel Broué et Sylvie Benzoni.
Les Algériens Hafid Aourag, Hacène Belbachir, Abdelkader Bouyakoub.
Les députés Sebastien Jumel et Cédric Villani — qui fut président du jury.
Des militants politiques, syndicaux, associatifs. Ceux du PCF, du MRAP, de la LDH, du Secours populaire….
Egalement Sylvain Fort et Sophie Wallon, collaborateurs du Président de la République.
C’est ainsi qu’après la dispersion de cendres de Josette nous inaugurons ce cénotaphe dédié à Maurice Audin.
Un geste d’une formidable puissance symbolique.
Privé de sépulture, Maurice Audin a ainsi un monument, pour toujours dans la mémoire des hommes.
Dans cette division 76 du Père-Lachaise ou reposent tant d’héroïnes et de héros des combats pour la liberté.
Près du Mur des Fédérés, des monuments aux déportés des camps d’extermination nazis, du monument aux FTP-MOI, des tombes de Paul Eluard, de Jean-Baptiste Clément, l’auteur du « Temps des Cerises ».
Un monument sur lequel la vérité est gravée dans le marbre et qui résonne comme un appel, une injonction à poursuivre les combats de la liberté et de la fraternité. Le combat contre toutes les oppressions et pour la liberté des peuples.
Une vérité inscrite dans la carte de l’Algérie, le pays pour l’indépendance duquel Maurice Audin est mort.
La mairie de Paris a repris notre proposition d’ériger une stèle commémorative au cimetière en nous faisant la suggestion de réaliser un cénotaphe.
Cette décision a été voté à l’unanimité du Conseil de Paris, et je veux en remercier la municipalité, les élus parisiens qui inscrivent ainsi pour la seconde fois Maurice Audin dans la mémoire parisienne.
Merci également aux conservatrices du cimetière qui ont proposé cet emplacement.
En inaugurant ce monument, comment ne pas penser au mouvement populaire algérien pour qui la place Maurice Audin à Alger est devenue la place de la liberté.
Comment ne pas chavirer d’émotion en voyant le visage de Maurice Audin, sur la fresque qui lui est dédiée, encadré de centaines de post-it ou s’inscrivent les exigences populaires.
L’association s’appuyant sur ce geste symbolique très fort s’engage à poursuivre l’action pour connaître les conditions concrètes de l’assassinat de Maurice Audin et le lieu où il a été enterré — même si c’est très difficile — à contribuer à activer l’appel aux témoignages et à l’ouverture des archives personnelles lancé par le président.
S’engage à poursuivre son action pour la reconnaissance des crimes de la puissance coloniale, et la vérité pour des milliers d’autres Algériens disparus dans les mêmes conditions.
Elle le fait à travers la création du site « 1000 autres.org », une initiative conjointe avec le site « histoirecoloniale.net », qui a un retentissement certain en Algérie.
Et je l’évoquais au début de cette allocution, également dans le cadre du collectif « Secret défense ». Un Secret qui sert bien à camoufler les crimes d’État (je pense par exemple à Medhi Ben Barka). Un combat d’actualité comme le prouve la convocation par la police de journalistes au nom de ce même « secret défense »
Ce monument concrétise une avancée importante sur le chemin de la vérité.
Des initiatives et des actions fleurissent : le nom de Josette et Maurice va être attribué à un collège de Vitry, un espace vert sera inauguré le 6 juillet à Aubervilliers, une campagne commence à Bagnolet et Toulouse. Un ouvrage collectif est en préparation à la Fondation Varenne.
Mais nous ne sommes pas au bout du combat, une porte s’est entrouverte, il faut maintenant donner un coup d’épaule pour l’ouvrir en grand.
Alors rejoignez nous pour le mener ensemble.
Je vous remercie.
Intervention de Pierre Audin
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Bonjour à tous, célèbres et moins célèbres. Je ne connais pas les règles du protocole, je ne sais pas les respecter, faites comme si j’avais su.
Ma mère, Josette Audin, était reconnaissante à Pierre Mansat et Catherine Gégout, et à Bertrand Delanoë, pour l’action de la Mairie de Paris qui avait créé la place Maurice Audin dans le Vème arrondissement. Elle était satisfaite que la Mairie de Paris prolonge son intérêt pour Maurice Audin avec ce cénotaphe. Après la déclaration du président de la République, elle avait été à la fête de l’Huma puis à la remise du prix Audin en décembre, j’espérais qu’elle assisterait à cette inauguration et à celle du collège de Vitry-sur-Seine, qui portera en septembre le nom de Josette et Maurice Audin, grâce à Jean-Claude Kennedy et Christian Favier. Elle n’a pas su qu’Aubervilliers donnera aussi le 6 juillet le nom de Josette et Maurice Audin à un espace vert en bord de canal. Ni que Toulouse a refusé de donner le nom de Maurice Audin à une place.
Comme dit ma sœur Michèle, il n’y aurait pas eu d’Affaire Audin sans Josette Audin. Sans quelques autres aussi, comme Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz, bien sûr. Mais c’est bien elle qui les a entraînés dans cette affaire. Mes parents ont milité ensemble, ils ont participé à la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Les paras ont torturé et assassiné Maurice Audin, et ils ont brisé la vie de Josette Audin. Il me plaît que la cérémonie d’aujourd’hui soit l’occasion de leur rendre hommage à tous les deux, et il me plaît que la place Maurice Audin d’Alger soit l’un des lieux de la révolution actuelle du peuple algérien, aujourd’hui encore. Vous aurez une autre occasion de vous retrouver ici, ce sera pour saluer le travail que mène actuellement l’artiste Kader Attia pour compléter ce cénotaphe.
Je voudrais citer quelques personnes qui ont accompagné le combat de ma mère pour mon père, je vais en oublier forcément, mais Pierre Mansat en a déjà cité plusieurs.
Mes grands-parents paternels, Louis et Alphonsine Audin, pas du tout communistes eux, mais qui ont soutenu ma mère dès le début, en particulier dans les aspects pratiques concernant les « trois petits diables » dont elle avait seule la charge : ma sœur Michèle, mon frère Louis et moi. Pour les mêmes raisons, Charlye et Christian Buono, mes oncle et tante, et Lucette et Guy Grau, mes autres oncle et tante.
Henri Alleg, qui a subi les mêmes tortionnaires que mon père, et qui en a témoigné toute sa vie. Il avait été pris dans la souricière installée chez mes parents. André Moine avait rendez-vous avec mon père, mais ils avaient jugé ça trop dangereux et c’est Henri Alleg qui a été à ce rendez-vous. C’était effectivement dangereux. C’était bien André Moine que les paras cherchaient.
Marcel Guigon, un rare copain militaire de mon père, qui a manifesté sa solidarité à un moment où c’était risqué pour lui, dès l’été 1957. Christophe Guillou, marin communiste français qui a aidé mon père à exfiltrer Larbi Bouali vers la Chine. Les avocats, je citerai seulement Roland Rappaport. Une semaine avant sa mort, j’étais avec lui pour rédiger une lettre au président de la République sur le thème : vous avez téléphoné à Josette Audin pour lui dire que vous feriez tout pour lui apporter les réponses qu’elle attend, voilà les questions. A l’Elysée, Sylvain Fort et Sophie Walon ont découvert l’affaire Audin, dont tout le poids leur est tombé sur les épaules, et ils ont écrit avec l’historienne Sylvie Thénault cette déclaration qu’Emmanuel Macron a porté à ma mère.
Les journalistes de l’Huma. Ces dernières années, Maud Vergnol. Mais aussi, bien sûr, Nathalie Funès de l’Obs. Et pour les médias, le documentariste François Demerliac, et aussi Narimène Laouadi de France24.
Les mathématiciens Laurent Schwartz et René de Possel. Mais aussi Cédric Villani, François Nadiras dont le site web est devenu « histoirecoloniale.net » et surtout Gérard Tronel. Il était tenace et décidé. Jusqu’à son dernier souffle en 2017, il cherchait ce qu’il faudrait faire pour obtenir la reconnaissance du crime d’Etat par le président de la République.
Dans ceux que j’ai oubliés, il y a Sadek Hadjerès, ancien militant de la même cellule du PCA que mes parents, ancien dirigeant du PCA, qui devait être présent aujourd’hui mais qui est à l’hôpital, suite à une chute. Je vais donc vous lire son message.
Message de Sadek Hadjerès, compagnon de lutte de Maurice et Josette Audin lors de la guerre d’Algérie,
qui a été lu par Pierre Audin
En ce jour où les cendres de Josette Audin ont été dispersées au Jardin du souvenir du cimetière du Père-Lachaise, et où nous inaugurons le cénotaphe en l’honneur de Maurice Audin, je voudrais évoquer deux souvenirs précis, qui me restent gravés dans la mémoire, de mes rencontres avec Maurice et Josette Audin.
Tous deux étaient membres du parti communiste algérien, dont j’étais l’un des responsables, et qui avait décidé en mars 1955 de participer à la lutte d’indépendance nationale du peuple algérien déclenchée par le FLN, tout en gardant ses propres formes de lutte politique et militaire.
Le premier souvenir concerne ma visite, le 13 septembre 1955, le jour même où le PCA a été interdit en raison de cette orientation, à Maurice Audin, à Alger, dans leur appartement où Josette était aussi présente. Il y avait aussi Claude Duclerc, le secrétaire de la section du Plateau à laquelle appartenait la cellule dont Maurice et Josette étaient membres. Ma visite se situait dans le cadre d’une tournée auprès de quelques responsables du parti pour leur expliquer cette orientation et la forme de militantisme que chacun devait adopter. J’ai mis Maurice Audin au courant des choix politiques du parti, y compris de l’existence de sa branche armée, les Combattants de la Libération, les CDL, et j’ai discuté avec lui de ses propres activités dans ce contexte.
Je m’en souviens très bien — d’autant que… le 13 septembre était en même temps le jour de mon anniversaire… Maurice Audin était pleinement d’accord avec la position du parti de participer à la lutte armée déclenchée par le FLN, mais il fallait éviter les interférences entre les différents secteurs d’activité et nous avons convenu qu’il devait poursuivre son travail politique auprès des lycéens, étudiants et enseignants du secondaire et du supérieur, parmi lesquels beaucoup d’entre eux, d’origine algérienne ou européenne, dénonçaient la répression et demandaient une solution politique à l’insurrection qui venait d’être déclenchée. C’était un travail où il était très à l’aise. Il était très souvent au Foyer des étudiants musulmans, il y avait beaucoup d’amis, il se considérait comme algérien comme eux et participait à toutes les conférences et manifestations anticolonialistes.
Je me souviens très bien de cette rencontre dans leur appartement. Josette et lui avaient déjà un enfant, et je revois l’image, avant de les quitter, de Maurice et Josette qui était enceinte, montrant le berceau de leur enfant à naître et le voile de tulle qui le recouvrait [Pierre Audin a ajouté : « mon frère Louis »]. C’était une image vraiment touchante. Je n’imaginais pas que vingt mois plus tard, ce bébé deviendrait orphelin
J’ai revu Josette une deuxième fois durant la guerre, en 1958. Malgré le malheur qui l’avait durement frappée, elle n’avait pas baissé les bras et coordonnait la solidarité aux familles des prisonniers politiques internés à la prison de Barberousse, en liaison étroite avec Djamila Briki, la femme de Yahia Briki, auteur de plusieurs attentats organisés par les CDL, qui y était incarcéré après avoir été condamné à mort. Djamila Briki était supposée travailler chez Josette Audin comme femme de ménage, ce qui légitimait leurs contacts, et, tous les jours, elle se rendait devant la prison pour organiser les protestations des femmes de détenus. Nous avions décidé que ma rencontre avec Josette à ce sujet ait lieu dans un de nos locaux les plus clandestins qui servait aussi d’imprimerie. Elle y était arrivée après un parcours de sécurité compliqué et épuisant, sous un soleil de plomb et portant dans ses bras son dernier né que Maurice n’avait pas connu [Pierre Audin a ajouté : « moi »]. On y montait par un immense escalier et elle était arrivée tout essoufflée et congestionnée, mais elle avait ensuite discuté avec moi avec le plus grand calme du développement de l’action avec les familles de détenus, qu’ils soient membres du FLN ou bien des CDL comme Yahia Briki, le mari de Djamila.
Ces deux moments avec Maurice et Josette Audin restent à jamais gravés dans ma mémoire. Et aujourd’hui le fait que la place Maurice Audin à Alger représente un symbole pour les manifestations démocratiques actuelles m’émeut particulièrement.
Que leur souvenir reste à l’esprit du peuple algérien, épris, aujourd’hui comme hier, de justice, de démocratie et de liberté !
Sadek Hadjerès.
Intervention au nom de la Ville de Paris
de Marie-Christine Lemardeley, adjointe à la Maire de Paris chargée de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la vie étudiante. Conseillère du 5ème arrondissement.Mesdames et Messieurs les élus, Chers collègues, Chers amis, Mesdames et Messieurs,
Maurice Audin, c’est l’histoire d’un jeune homme plein de convictions et d’idéaux.
C’est l’amour passionné pour un pays malmené, l’Algérie.
C’est l’histoire d’un mathématicien talentueux, d’un mari aimant, du père de trois jeunes enfants dont la vie a été interrompue brutalement.
C’est l’histoire d’une famille à laquelle on a menti pendant des décennies.
C’est enfin l’histoire d’une femme, Josette Audin, qui n’a eu de cesse de se battre pour que la vérité soit reconnue.
C’est l’histoire d’une vie bouleversée.
Cette histoire commence à Alger, le 11 juin 1957. À cette époque, on ne parle pas de guerre mais des « événements » d’Algérie. Des « événements » au cours desquels l’armée française réprime violemment les soulèvements et arrête ceux qui les soutiennent.
Maurice Audin a 25 ans. Il travaille comme assistant de mathématiques à l’université d’Alger. C’est là qu’il a rencontré Josette au début des années 1950.
Ils sont tous les deux membres du parti communiste algérien et militent pour l’indépendance.
C’est parce que Maurice Audin était épris de liberté et d’égalité que le 11 juin 1957 des parachutistes français viennent l’arrêter à son domicile, rue Gustave Flaubert.
Il ne reverra plus jamais sa femme ni leurs trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, 18 mois, et Pierre, 1 mois.
Il y a, si c’est possible, pire que la mort pour la famille de Maurice Audin. C’est le mensonge qui sera inlassablement répété pendant des années, le mensonge de l’État qui veut faire croire en dépit du bon sens que le jeune père se serait évadé.
Comme je l’ai dit, cette histoire est aussi celle d’une femme : Josette. C’est grâce à son courage, à sa détermination que la vérité a fini par advenir.
J’ai une pensée émue pour cette femme qui s’est battue toute sa vie pour son mari et qui nous a quittés quelques mois après avoir obtenu la vérité qu’elle attendait depuis si longtemps. Ses cendres ont été répandues aujourd’hui par ses enfants dans le Jardin du Souvenir du Père Lachaise, auprès du cénotaphe de son époux. Ils seront enfin symboliquement réunis.
On ne connaît toujours pas aujourd’hui les circonstances exactes de la mort de Maurice Audin. La seule certitude, désormais reconnue par toutes et tous, c’est que Maurice Audin a été torturé et assassiné. Derrière la mort de Maurice Audin, c’est tout un système qui est accusé. Un système qui pratiquait la torture. Celle-ci n’était certes pas légale, mais courante et impunie, « rendue possible par un système légalement institué d’ « arrestation-détention » mis en place grâce au vote par l’Assemblée nationale des pouvoirs spéciaux qui confièrent à l’armée tous les pouvoirs de police à Alger ».
Je lis les mots gravés sur ce cénotaphe. Les mots qui reconnaissent et inscrivent à jamais enfin la vérité.
On ne peut réparer le passé. On ne peut rendre un père à sa famille, un homme à sa jeunesse, une vie à sa liberté. Mais on peut, on doit rétablir la vérité. Ce n’est pas simplement rendre justice à un mort. Non. Dire la vérité, c’est clamer ce que nous refusons et affirmer ce que nous sommes.
La France n’a pas toujours su affronter le visage des tortionnaires. Mais notre France, c’est celle qui porte le visage de ceux qui se sont levés et qui ont refusé d’être leurs complices.
Tous ces visages de la France, nous devons en garder la mémoire.
Comme Henri Alleg avant moi, je veux citer Romain Rolland : « En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends ». J’ose ajouter qu’en dévoilant un système qui fut pervers, c’est la France que nous défendons.
Le chemin pour la vérité fut long, beaucoup trop long.
Dans le silence et souvent dans l’indifférence, il y eut cependant des voix fortes, des existences exemplaires et dignes d’admiration, des combattants tenaces.
Ce sont des femmes et des hommes ordinaires, enseignants, journalistes, militants syndicaux et politiques, qui n’ont jamais cessé de lutter.
C’est bien sûr d’abord le cas du journal L’Humanité et de l’association et du comité Maurice Audin, qui ont toujours soutenu Josette Audin. Je pense au mathématicien Laurent Schwartz qui a présidé ce comité, à l’historien Pierre Vidal-Naquet qui a enquêté tout au long de sa vie pour prouver la vérité.
Plus près de nous encore, certains responsables politiques ont su avoir des gestes qui ont compté.
Pierre Mansat, élu communiste au conseil de Paris, adjoint de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris qui a été à l’initiative de la plaque qui porte le nom du mathématicien près du Collège de France dans le 5e arrondissement en 2004.
Le Président Hollande qui s’est recueilli sur la Place Maurice-Audin à Alger en 2012 et a rendu visite à sa famille en 2014.
Il a fallu cependant attendre 2018 pour que le Président de la République reconnaisse la vérité pleine et entière. Je remercie Cédric Villani, touché par le destin de son illustre collègue, qui a pris sa part dans ce travail de reconnaissance.
L’inauguration de ce cénotaphe, que nous devons à l’engagement de la Maire de Paris et à son adjointe chargée de la mémoire, Catherine Vieu-Charier, dans ce cimetière du Père-Lachaise où nous sommes réunis est une nouvelle étape pour rappeler l’histoire de Maurice Audin.
Maurice Audin aurait sans doute aimé la proximité des Fédérés, ces communards assassinés et jetés dans une fosse commune par une autre armée régulière, en une autre époque.
Les contours de l’Algérie gravés sur ce cénotaphe montrent que cette histoire dépasse celle de Maurice Audin. Des milliers d’autres algériens ont connu le même sort mais n’ont trouvé personne pour porter leurs voix. Certains de leurs descendants vivent désormais à Paris.
Reconnaître la vérité, c’est aussi tisser un nouveau lien entre nos deux pays, entre nos deux villes : Paris où fut votée la loi qui permit la mort et Alger où furent commis les crimes. Ce lien unit désormais nos mémoires, comme la figure de Maurice Audin pourra unir encore davantage nos pays, depuis la célèbre place qui porte son nom au cœur de la ville d’Alger jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, en passant par le 5ème arrondissement de Paris.
Le jeune homme qui, depuis longtemps, est un héros dans la mémoire algérienne n’est désormais plus tabou dans celle de la France.
Pour finir, je voudrais citer à nouveau Henri Alleg qui fut l’ami de Maurice Audin et le dernier à l’avoir vu en prison. Ce cénotaphe, 62 ans après la mort de celui dont le corps a disparu, c’est une reconnaissance que nous devons « à tous ceux qui chaque jour, meurent pour la liberté de leur pays ».