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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
Travailleurs forcés originaires d'Indochine (Cnhi).

un camp de travailleurs coloniaux forcés à Toulon

Par le plus grand des hasards, Alexandre Briano met la main, en 2006, sur le plan d'un campement de travailleurs coloniaux de 1940 situé au Mourillon. Après deux années de longues recherches, il en résultera un ouvrage, «Les travailleurs coloniaux. Les oubliés de l'Histoire », où Alexandre Briano évoque ce camp de travailleurs forcés qui a fonctionné au coeur de Toulon jusqu'à la fin 19423. Une histoire que les Français ont oubliée, celle des travailleurs coloniaux, arrachés par milliers à leurs familles, réquisitionnés, en 1914, puis en 1940, pour participer à l'effort de guerre, et que l'on a parqués dans des camps, un peu partout en France, dont un se trouvait à Toulon, au Mourillon.
Travailleurs forcés originaires d'Indochine (Cnhi).
Travailleurs forcés originaires d’Indochine (Cnhi).

Durant le premier conflit mondial, 90 000 Indochinois sont amenés en France dont plus de la moitié en qualité de travailleurs.

Ces arrivées ne répondent pas à un plan pré-établi mais à l’émergence régulière de besoins en main d’oeuvre. Un premier groupe de 40 ouvriers spécialisés arrive au printemps 1915, à l’initiative du Directeur de l’Aéronautique. Ils sont suivis par des contingents de plus en plus nombreux d’ouvriers non spécialisés, surtout en 1916 et 1917.

Dépendant du Ministère de la Guerre, le Service des Travailleurs Coloniaux, créé en décembre 1915, va introduire en métropole un peu plus de 220 000 ouvriers en provenance des colonies dont 49 000 Annamites selon l’expression de l’époque.

Ces travailleurs sont organisés en groupements qui correspondent au lieu et au type de travaux qu’ils effectuent. Ils seront tout d’abord affectés à des industries de guerre et des compagnies de chemins de fer puis à des travaux de creusement de tranchées et de « nettoyage » du champ de bataille.

Concernant la seconde guerre mondiale, 20 000 « Travailleurs Indochinois » venus en France en 1939/1940 pour suppléer, dans les usines de guerre, la main d’oeuvre mobilisée.

Pour la plupart ils resteront bloqués en Métropole durant de longues années et verront s’installer, entre leur pays et celui pour lequel ils servaient, une guerre de décolonisation qui ne s’achèvera qu’en 1954. D’un statut de supplétifs, ils deviendront alors des hôtes à surveiller, voire pour certains à neutraliser1.

Le campement du Mourillon en 1946 (Archives de la Marine nationale)
Le campement du Mourillon en 1946 (Archives de la Marine nationale)

Ces oubliés de l’histoire coloniale parqués à Toulon

par Ambre Mingaz, Var-Matin, le 14 décembre 2008 [extraits]

En août 2006, Alexandre Briano chine sur un vide-greniers et tombe, par hasard, sur un document intitulé : « Plan d’ensemble pour un campement de travailleurs coloniaux », daté du 1er mai 1940.

Le document représente un camp de deux hectares situé entre l’avenue de la Tour Royale (ex-route des Torpilles, face à l’arsenal du Mourillon) et le boulevard Cunéo. Composé de dortoirs pouvant contenir 50 personnes chacun, de lavabos douches, d’une cuisine, d’une infirmerie, de potagers et de locaux disciplinaires, ce camp, qui prévoit même un passage pour les habitants du Mourillon, abritera des travailleurs coloniaux jusqu’à la fin 1942.

Qui étaient-ils ?

Alexandre Briano s’est penché sur la question. Soit dix-huit mois de recherches et de témoignages récoltés au fil de ses investigations historiques.

«Ça a été vraisemblablement caché, car ce plan est numéroté 20 et je n’ai trouvé nulle part les 19 autres. » Selon Alexandre Briano : « C’est une idée du ministre de la Guerre Joseph Gallieni. C’est le premier à faire venir des gens d’Indochine, du Maghreb, de Madagascar en 1914 pour remplacer les Français partis pour le front. A l’origine, on a fait appel à des volontaires, mais comme ils n’étaient pas assez nombreux, on les a ramassés dans les villages, emmenés de force pour les faire travailler en métropole, des jeunes hommes de 18 à 25 ans. » 240 000 « indigènes » coloniaux ont ainsi été déportés entre 1914 et 1918.

25 000 personnes débarquées à Marseille

Le ministre des Colonies, Mandel, réitère en 1939 en réclamant 300 000 travailleurs pour l’effort de guerre. «Ce sont surtout des habitants d’Indochine, du Tonkin, de l’Annam, du Laos, du Cambodge, et un peu de Cochinchine. »

D’après les documents retrouvés par Alexandre Briano, de 1939 à 1940, une quinzaine de navires débarqueront ainsi 25 000 personnes à Marseille, logées temporairement à la prison de la cité phocéenne, avant d’être envoyées dans les différents camps du sud de la France.

Dans le Var, ces travailleurs seront affectés comme ouvriers non spécialisés (ONS) dans les usines d’armement travaillant pour la Défense nationale, les fabriques d’obus, d’armes, de poudre, de munitions et à l’usine de torpilles de Toulon… Les habitants feront aussi appel à eux pour la cueillette du raisin au moment des vendanges, les réparations diverses, la ligne de chemin de fer de La Londe-les-Maures.

Le camp du Mourillon abrite environ 200 personnes. Une association récolte les salaires et leur reverse un petit pécule, se doit de les nourrir et de les vêtir. A la façon de prisonniers, les rares promenades des travailleurs coloniaux sont encadrées par des militaires.

D’après les témoignages obtenus par Alexandre Briano, les Mourillonais sont très peu en contact avec ces personnes. « Les enfants jouaient parfois. au ballon avec eux, mais les parents leur défendaient de les approcher sous prétexte qu’ils ne parlaient pas français. Certains ont toutefois sympathisé. Des habitants faisaient passer des fruits à travers les grillages. »

Ambre Mingaz

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Sommes-nous prisonniers, déportés ?

Une lettre, datée du 23 novembre 1946, adressée au chef du gouvernement de la République française, s/c le préfet de l’Ardèche2 :

Objet : résolution de la manifestation des travailleurs Viet-namiens le 23 II à Privas contre la lenteur de rapatriement des Viet-namiens venus en France pour la guerre

La guerre a été déclarée contre l’Allemagne le 2 septembre 1939 et nous, travailleurs Viet-namiens, sommes venus en France depuis le début de 1940 afin de contribuer nos efforts à la guerre contre l’hitlérisme et le fascisme.

Sept dures et longues années se sont écoulées et nous avons abominablement vécu tant dans la misère que dans les agressions.
Des milliers de nos compatriotes sont tombés aux champs de bataille et dans les camps de concentration. Des milliers d’autres ont succombé dans les hôpitaux par suite de la tuberculose et d’autres maladies. Il nous reste encore environ 20 000 Vietnamiens qui sont encore retenus en France, loin de leur famille. La guerre est pourtant finie, et nous sommes encore là. Pourquoi ? Faute de bateaux ? Non. 100 000 légionnaires français et S.S. ont déjà mis le pied sur la terre d’Indochine depuis la Libération. Par quels moyens peuvent-ils y venir? D’autre part, nos malades qui attendent à Marseille le rapatriement devaient s’embarquer le 16/11/1946 sur le “Moncay”, mais au contraire, toutes les places qui leur étaient réservées, revenaient aux voyageurs étrangers.

Sept ans se sont écoulés sans que nous ayons des nouvelles de notre famille. Sommes-nous des prisonniers? Des déportés? Des exilés? La guerre est finie. Nous voulons revoir les nôtres.

Nous demandons que le rapatriement de tous les Vietnamiens venus en France pour la guerre soit accéléré.

Les Travailleurs Viet-namiens du groupe de Privas

Le Délégué ONG TOANG

  1. Référence : le site http://www.travailleurs-indochinois.org/ qui s’attache à retracer l’odyssée des 20 000 « Travailleurs Indochinois » venus en France en 1939/1940.
  2. Référence : archives nationales d’Outre-mer. Aix-en-Provence.
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