L’histoire commence à Londres
Des parents, étonnés de voir l’album de Hergé1 Tintin au Congo vendu dans les rayons pour enfants des librairies du Royaume-Uni, s’en inquiètent auprès de la Commission britannique pour l’égalité raciale (CRE).
C’est un verdict sans appel que la CRE prononce le 12 juillet dernier. « Ce livre contient des images et des mots aux préjugés racistes abominables, où les “sauvages” apparaissent comme des singes et parlent comme des imbéciles. […] Le fait que l’ouvrage ait été écrit il y a longtemps ne les rend pas plus acceptables. » La CRE ne souhaite pas que la bande dessinée soit interdite, mais elle demande que des précautions soient prises pour la vente de l’ouvrage. Peu après, les librairies Borders et Waterstone’s décident de placer Tintin au Congo dans leurs rayons pour adultes.
Le 28 juillet, l’éditeur sud-africain Human & Rousseau renonce à une édition de l’ouvrage en afrikaans, car il s’est soudain rendu compte que la publication de cet ouvrage dans la langue qui était celle de l’oppresseur blanc pouvait être mal interprétée par une partie de la population (l’étude obligatoire de l’afrikaans à l’exclusion de tout autre idiome à l’université avait été à l’origine des émeutes sanglantes de Soweto le 16 juin 1976).
Dans le même mouvement, l’éditeur Penguin signale que la diffusion de l’édition anglaise en Afrique du Sud ferait l’objet d’un avertissement informant le lecteur du « caractère raciste » de certaines scènes de l’album.
Plainte pour « racisme » à Bruxelles
Fin juillet, une plainte pour « racisme et xénophobie » est déposée à Bruxelles, contre l’album Tintin au Congo, par un étudiant congolais résidant à Bruxelles, M. Mbutu Mondondo Bienvenu. L’enquête n’en est qu’à ses prémices, le juge d’instruction n’ayant pas encore décidé si la plainte était recevable.
Le plaignant, Bienvenu Mbutu Mondondo, veut obtenir de la société Moulinsart, qui gère les droits de l’oeuvre d’Hergé, l’interdiction de l’album qui se vend chaque année à des dizaines de milliers d’exemplaires.
Étudiant en sciences politiques, Bienvenu Mbutu Mondondo s’est plongé dans une relecture critique de Tintin au Congo, après que sa soeur ait refusé qu’il offre la bande dessinée à son neveu. « Trop raciste ! » lui a-t-elle répliqué. « Ma soeur, comme toute la communauté congolaise de Bruxelles, a été sensibilisée par l’avis rendu en Grande-Bretagne contre cette BD, pleine de préjugés racistes et de violence », explique -t-il.
Le plaignant juge l’album « raciste et xénophobe ». « Ce sont les thèses racistes qui ont servi de support à l’idéologie politique pour pratiquer des discriminations sociales, des ségrégations ethniques et commettre des violences, dont des actes de génocides », commente-t-il pour appuyer son action en justice.
« Quand on connaît la violence de la colonisation au Congo, les mains coupées, les conditions de construction du chemin de fer, cette bande dessinée est un scandale ». « Il est temps que la Belgique ouvre les yeux. Aujourd’hui encore, on n’apprend rien sur la colonisation dans les écoles. L’histoire du Congo belge est taboue », ajoute-t-il2.
Que va-ton juger ?
La première mouture de l’album a été dessinée par Hergé en 1930 – 31, à une époque où la Belgique était une puissance coloniale contrôlant le Congo. Après la seconde guerre mondiale, lors des refontes des premières aventures de Tintin, Hergé a modifié lui-même certains passages particulièrement choquants.
« Sur le fond, nous sommes étonnés que cette polémique renaisse aujourd’hui », a réagi un représentant de la société Moulinsart. « Hergé s’était expliqué, disant qu’il s’agissait d’une oeuvre naïve qu’il fallait replacer dans le contexte des années 30, où tous les Belges pensaient faire du très bon travail en Afrique. »
Dans les années 70, l’auteur avait lui-même décrypté le discours positif sur la colonisation de son album : « Pour le Congo, tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : “Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !”, etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique. »3
On peut discuter de la judiciarisation de l’affaire mais elle a le mérite de rappeler le passé colonial de la Belgique au Congo, le passé colonial de l’Europe, et également la permanence des préjugés raciaux, jusque dans les discours de nos dirigeants actuels.
- Hergé, de son vrai nom Georges Rémi, 1907 – 1983.
- À l’appui de sa plainte, l’étudiant cite plusieurs passages de l’album, notamment celui où Tintin ordonne aux passagers d’un train qu’il vient de percuter, de le redresser sur le champ. « Allez, au travail, vite ! », hurle le reporter aux Congolais. Dans son coin, Milou ajoute : « Allons, tas de paresseux, à l’ouvrage ! ». Les Congolais, qui s’expriment toujours en français incorrect, remercient Tintin, « Li missié blanc, très malin ». Quand il n’est pas « très malin », ou « très juste », le « missié blanc est bon », à l’image du père blanc qui évangélise les enfants.
- Voir http://www.afrik.com/article12251.html.