Seuls quelques milliers de Roms en Allemagne ont survécu à l’holocauste et aux camps de concentration. Ils ont eu énormément de mal à se construire une vie nouvelle, après avoir perdu tant de membres de leur famille et vu leurs biens détruits ou confisqués. En outre, nombre d’entre eux étaient en proie à la maladie. Certains d’entre eux cherchèrent à obtenir réparation mais leurs demandes furent rejetées pendant des années
Or, justice ne fut pas rendue à ces survivants pendant la période post-hitlérienne. Au procès de Nuremberg, l’extermination massive des Roms ne retint pas l’attention, ce qui est significatif. Le génocide des Roms –Samudaripe ou Porrajmos – ne fut guère reconnu dans le discours officiel.
Cette négation passive de la sinistre réalité ne pouvait hélas pas surprendre outre mesure les Roms eux mêmes car, pendant des générations, ils avaient été traités comme un peuple dépourvu d’histoire. Les violations dont ils avaient été victimes furent rapidement oubliées, si tant est qu’elles aient été reconnues
Malheureusement, l’histoire se répète
C’est pourquoi, il est particulièrement appréciable que le Conseil de l’Europe ait établi une série de fiches d’information sur l’histoire des Roms. Ces fiches sont destinées aux enseignants, aux étudiants, aux responsables politiques et autres décideurs et à toute personne désireuse de savoir quelles épreuves ce peuple a traversées.
Les lecteurs de ces fiches d’information peuvent ainsi découvrir que les divers groupes roms ont subi, en Europe, cinq cents ans de répression honteuse depuis qu’ils sont arrivés d’Inde au terme d’une longue migration. Les méthodes répressives étaient variées, allant de l’esclavage au massacre en passant par l’assimilation forcée, l’expulsion et l’internement.
Les « raisons d’être » de ces politiques étaient, quant à elles, similaires. Les Roms étaient considérés comme peu fiables, dangereux, criminels et indésirables. Ils étaient ces étrangers dont on pouvait aisément faire des boucs émissaires lorsque les choses tournaient mal et que la population locale ne voulait pas en assumer la responsabilité.
En Valachie et en Moldavie (la Roumanie d’aujourd’hui), les Roms vécurent dans la servitude pendant des siècles, jusqu’en 1855, date à laquelle les derniers esclaves roms furent enfin émancipés.
En Espagne, un jour de 1749, plus de dix mille Roms furent arrêtés dans le cadre d’une action militaro policière soigneusement planifiée. Selon un homme d’Eglise éminent qui conseillait le gouvernement, cette opération avait pour but « d’éradiquer cette sale race qui était odieuse à Dieu et pernicieuse à l’homme ». Les conséquences furent effroyables pour la communauté rom ; les déportations, les détentions, le travail forcé et les meurtres détruisirent, en grande partie, la culture rom originelle.
Au XVIIIe siècle, sous l’Empire austro hongrois, les autorités appliquèrent une politique d’assimilation forcée. Les enfants roms furent retirés à leurs parents et l’on interdit aux Roms de se marier entre eux. En outre, il ne fut plus permis de pratiquer la langue romani. Cette politique fut brutalement appliquée. Par exemple, tout individu employant la langue « tsigane » était passible d’une condamnation à la flagellation.
Au XXe siècle, les fascistes s’en prirent aussi aux Roms. En Italie, fut publiée, en 1926, une circulaire qui ordonnait l’expulsion de tous les Roms étrangers afin de « débarrasser le pays des caravanes tsiganes qui, cela allait s’en dire, constituaient un risque pour la sécurité et la santé publique du fait du mode de vie caractéristique des Tsiganes ».
L’instruction indiquait clairement que le but était de « frapper au cœur de l’organisme tsigane ». Dans l’Italie fasciste, les Roms furent ainsi en butte à des discriminations et à des persécutions. Nombre d’entre eux furent détenus dans des camps spéciaux ; d’autres furent envoyés en Allemagne ou en Autriche et plus tard exterminés.
En Roumanie, le régime fasciste de la « garde de fer » entreprit les déportations en 1942. Comme de nombreux Juifs, quelque 30 000 Roms furent déplacés en Transnistrie où ils connurent la faim, la maladie et la mort. Seule la moitié d’entre eux environ parvinrent à survivre aux deux années de privation extrême qu’ils endurèrent avant que la politique ne change.
En France, quelque 6 000 Roms furent internés pendant la guerre, dans la zone occupée, pour la majorité d’entre eux. Contrairement à d’autres victimes, les Roms ne furent pas systématiquement remis en liberté lorsque les Allemands battirent en retraite. Les nouvelles autorités françaises virent dans l’internement un moyen de les forcer à la sédentarisation.
Dans les Etats baltes, un grand nombre d’habitants roms furent tués par les forces d’invasion allemandes et leurs partisans locaux au sein de la police. 5 à 10 % seulement des Roms d’Estonie survécurent. En Lettonie, près de la moitié des Roms furent fusillés et l’on estime qu’en Lituanie, les Roms furent aussi tués dans leur grande majorité.
En fait, les idées racistes de l’époque n’épargnaient aucun pays d’Europe. En Suède, pays neutre, les autorités avaient déjà, dans les années 1920, encouragé la mise en œuvre d’un programme de stérilisation qui avait principalement pour cible les Roms (et qui s’est poursuivi jusque dans les années 1970). En Norvège aussi, des pressions s’exercèrent sur les Roms en vue de leur stérilisation.
Le régime nazi définissait les Roms (dont les Sintis) comme une « race inférieure » ayant un « comportement asocial » considéré comme héréditaire. Ce jugement était en fait une amplification de préjugés anciens et largement répandus tant en Allemagne qu’en Autriche. Lesdites lois raciales de Nuremberg, datant de 1935, privèrent les Roms de leur nationalité et de leurs droits civils. Il était exigé qu’ils soient internés dans des camps de travail et stérilisés de force.
Un plan antérieur imaginé par les racistes nazis et visant à maintenir certains Roms « de race pure » dans une sorte de musée anthropologique fut oublié, tandis que d’autres Roms, en particulier des enfants, furent sélectionnés pour être soumis aux cruelles expériences médicales de Josef Mengele. Une politique de stérilisation forcée fut mise en œuvre, souvent sans anesthésie.
L’élimination systématique des Roms débuta pendant l’été 1941 lorsque les troupes allemandes attaquèrent l’Union soviétique. Ils étaient considérés comme des espions (à l’instar de nombreux Juifs) au service du « bolchévisme juif » et furent fusillés en masse par l’armée allemande et les SS. De fait, dans toutes les zones occupées par les Nazis, des Roms furent exécutés.
Les chiffres sont imprécis mais l’on estime que plusieurs centaines de milliers de Roms furent exécutés dans ces circonstances, y compris dans les Balkans où les massacres étaient soutenus par les fascistes locaux. La milice Oustacha de Croatie géra des camps mais organisa aussi des déportations et procéda à des exécutions massives. .
En décembre 1942, le régime nazi décida de déporter à Auschwitz tous les Roms du « Reich allemand ». Là, ils durent porter un triangle noir et se faire tatouer un Z sur le bras. De tous les détenus du camp, ils avaient le plus fort taux de mortalité : 19 300 d’entre eux y perdirent la vie. Sur ce nombre, 5 600 furent gazés et 13 700 moururent de faim, de maladie ou à la suite d’expériences médicales pratiquées sur eux.
On ne sait toujours pas combien de Roms au total furent victimes des persécutions nazies car ils ne furent pas tous inscrits comme Roms et les registres sont incomplets. L’absence de statistiques fiables sur le nombre de Roms vivant dans ces régions avant leur extermination massive rend encore plus difficile l’estimation du nombre réel de victimes. Selon les fiches d’information du Conseil de l’Europe, il est fort probable que ce nombre s’élève à au moins 250 000. D’après d’autres études crédibles, plus de 500 000 Roms perdirent la vie, et peut être même beaucoup plus.
Les fiches d’information soulignent la nécessité d’entreprendre des recherches complémentaires sur l’histoire des Roms. Les Roms eux mêmes ont eu peu de moyens de consigner les événements et les autorités n’avaient guère intérêt à le faire. Cependant, il y a des spécialistes roms et autres dont les travaux doivent être encouragés (les auteurs des fiches d’information ont notamment mis à profit les connaissances de plusieurs d’entre eux comme Ian Hancock et Grattan Puxon).
Cela dit, les fiches d’information publiées ont déjà des effets positifs. J’espère que de nombreuses personnes les liront et que les gouvernements européens soutiendront cette démarche et la faciliteront en traduisant ces textes dans leur langue nationale et en les diffusant auprès des enseignants et des responsables politiques entre autres. Il faudrait aider les organisations roms à les propager aussi largement dans leur communauté.
Un lecteur attentif ne pourra que tirer un certain nombre de conclusions. L’une d’entre elles est qu’il n’est pas surprenant que de nombreux Roms éprouvent de la méfiance vis à vis de la société majoritaire et que certains considèrent les autorités comme une menace. Lorsqu’on leur enjoint de se faire recenser ou de donner leurs empreintes digitales, ils craignent le pire.
En effet, plusieurs pays ne reconnaissent toujours pas l’oppression dont cette minorité a été victime par le passé et n’ont présenté officiellement aucune excuse. On peut, néanmoins, citer un bon exemple de comportement inverse ; en 2003, le gouvernement de Bucarest a pris la décision de créer une commission sur l’holocauste qui a, ultérieurement, publié un important rapport sur la répression et les massacres en Roumanie pendant la période fasciste.
Les fiches d’information montrent que les Roms ne vivent pas en nomades pour des raisons retorses ou parce qu’ils ont le voyage « dans le sang ». Lorsque c’est possible, ils se fixent bel et bien quelque part mais, pendant longtemps, ils ont dû se déplacer d’un pays à l’autre ou au sein d’un même pays pour éviter la répression ou simplement parce qu’ils n’étaient pas autorisés à s’installer dans un endroit donné. L’autre raison principale est que le type d’emploi ou de travail qui leur était accessible exigeait leur déplacement.
L’histoire nous donne des leçons sur la façon de faire face à la montée actuelle de l’antitsiganisme dans certains pays. Le discours de certains responsables politiques et des médias xénophobes ravive les stéréotypes séculaires au sujet des Roms, ce qui, à son tour, « légitime » les actions, souvent violentes, menées contre des personnes roms. Une nouvelle fois, on en fait des boucs émissaires.
Le discours d’aujourd’hui contre les Roms est tout à fait semblable à celui qu’employaient les nazis et les fascistes avant que ne commence l’extermination de masse dans les années 1930 et 1940. On prétend à nouveau que les Roms sont une menace pour la sécurité et la santé publique. Aucune distinction n’est faite entre une poignée de délinquants et la majorité écrasante de la population rom. C’est une attitude honteuse et dangereuse.
Le 18 août 2008