Les politiques migratoires européennes sont discriminatoires à l’égard des Roms
[22/02/10] Les gouvernements européens ne traitent pas les Roms de la même façon que les autres migrants alors qu’ils ont tout autant besoin d’être protégés. Les migrants roms sont renvoyés de force dans des pays où ils sont exposés à des violations des droits de l’homme.
En Allemagne, en Autriche et dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », de nombreux migrants roms bénéficient d’une tolérance qui se traduit par la suspension provisoire de leur expulsion. Ce statut – la duldung allemande, par exemple – n’équivaut pas à une autorisation de séjour et n’ouvre pas de droits sociaux.
Selon des informations crédibles, comparativement à des ressortissants non roms de pays tiers, les Roms qui viennent de l’extérieur de l’Union européenne se verraient plus souvent accorder le statut de duldung qu’un statut plus durable.
Ces aspects ont fait l’objet d’une étude sur les migrations récentes des Roms en Europe que j’ai publiée en avril 2009 avec le Haut Commissaire pour les minorités nationales de l’OSCE, Knut Vollebeck.
Cette étude commence par une analyse des normes des droits de l’homme qui s’appliquent actuellement aux migrations en Europe. Elle met ensuite en évidence les pratiques discriminatoires auxquelles sont encore confrontés les migrants roms et s’achève sur une série de recommandations aux Etats membres visant à renforcer la protection effective des droits de l’homme des migrants roms en Europe.
Le problème s’est présenté à moi sous l’angle du retour forcé de Roms, d’Askhali et d’Egyptiens au Kosovo1. Après une visite sur place en mars 2009, j’ai fait paraître un rapport qui conclut que le Kosovo ne possède pas les infrastructures nécessaires à une réintégration durable des réfugiés renvoyés et encore moins des Roms.
Une nouvelle visite, mi-février, m’a convaincu que la situation n’avait pas changé. Sur le territoire du Kosovo même, il reste encore environ 20 000 personnes déplacées qui, depuis 1999, n’ont pas pu se réinstaller là où elles vivaient auparavant. Avec un taux de chômage d’environ 50 %, il est tout simplement impossible à ce jour d’offrir des conditions de vie humaines à davantage de rapatriés.
La stratégie de réintégration adoptée par les autorités de Pristina n’est pas mise en œuvre. Non seulement les responsables au niveau municipal ne savent pas ce qu’ils doivent faire mais il n’y a même pas de budget.
Il est particulièrement préoccupant de constater que des Roms renvoyés de force ont fini dans les camps contaminés par le plomb de ?esmin Lug et d’Osterode, au nord de Mitrovica, où vivent depuis une dizaine d’années des familles roms, notamment des enfants, dans un état de santé très altéré2.
Bien que des plans de relogement des habitants des camps dans un environnement moins dangereux aient enfin vu le jour, les familles roms et askhali qui vivent là ont à tout prix besoin d’être secourues et placées sous traitement médical intensif. Rien ne justifie qu’elles attendent plus longtemps
3.
Les propositions devront tenir compte des craintes de ces familles pour leur propre sécurité, elles qui ont été chassées en 1999 et ne l’ont pas oublié. De plus, elles s’inquiètent de savoir si leurs enfants pourront être scolarisés dans une langue qu’ils comprennent. Naturellement, il importe aussi qu’elles aient la possibilité de trouver un travail. Ce devrait être la priorité, y compris pour la communauté internationale qui est en partie responsable de la crise actuelle.
Les rapports entre les autorités du Kosovo et les gouvernements européens ne sont pas égalitaires, ils sont même très déséquilibrés. Lorsqu’on leur demande d’accueillir des personnes expulsées en contrepartie de dispositions libéralisant les visas ou accordant d’autres avantages, les autorités de Pristina doivent céder et le sort des réfugiés passe au second plan.
Cela soulève des interrogations sur les accords de réadmission que demandent dorénavant les gouvernements européens. A mon avis, pour le moment, seuls les retours volontaires – vraiment volontaires – devraient se poursuivre.
En 2009, plus de 2 600 retours forcés ont eu lieu, dont 429 de Roms et d’Askhali, la plupart au départ d’Allemagne, de Suède, d’Autriche et de Suisse. Qui plus est, des dispositions sont actuellement prises pour augmenter les taux d’expulsion.
Bien entendu, les besoins de protection doivent être évalués individuellement dans tous les cas mais cet examen doit prendre en compte la vulnérabilité particulière des Roms et des Ashkali au Kosovo aujourd’hui.
Globalement, les gouvernements européens semblent ne pas accepter l’idée que les Roms ont besoin de protection. Le principe en vigueur dans l’Union européenne est que tous les Etats membres doivent être considérés par leurs homologues comme des « pays d’origine sûrs » en matière d’asile. Par conséquent, un citoyen d’un Etat membre de l’UE ne peut obtenir de protection internationale dans un autre Etat membres de l’UE.
Ainsi, des Roms de Hongrie se sont vu refuser l’asile en France, par exemple, alors que des Roms du même pays – et de République tchèque – l’ont obtenu au Canada : cela donne à réfléchir.
Les directives adoptées par l’UE ne protègent pas, dans les faits, les droits des Roms. En pratique, la directive sur la libre circulation n’a pas les mêmes effets sur les Roms que sur d’autres citoyens de l’Union. Elle prévoit que tout citoyen de l’Union européenne a le droit de résider dans tout Etat membre pour une période de trois mois sans autre condition que la possession d’un passeport en cours de validité. Pour un séjour de plus de trois mois, la personne concernée doit travailler ou disposer de ressources financières suffisantes pour ne pas être à la charge du pays d’accueil. Or, la majorité des Roms ne satisfait pas à cette exigence.
De plus, les dispositions protectrices de la directive sur la liberté de circulation sont beaucoup plus facilement mises à mal en ce qui concerne les Roms que d’autres groupes identifiables. Des expulsions de Roms contraires au droit communautaire ont eu lieu. Dans d’autres cas, les lieux d’habitation de familles roms ont été détruits pour les inciter à partir « volontairement ».
Dans presque tous les pays, la discrimination envers les Roms dans les politiques migratoires a rencontré une opposition molle, pour ne pas dire inexistante, ce qui n’a rien de surprenant au vu de l’antitsiganisme tenace qui sévit encore un peu partout en Europe.
En tout état de cause, il est grand temps d’aborder le problème autrement.
Il est inhumain de renvoyer les familles roms d’un pays à l’autre comme c’est le cas actuellement. Cette pratique est injuste pour les enfants dont beaucoup sont expulsés du pays même où ils sont nés et ont grandi.
De plus, la politique de retour ne produit pas l’effet recherché puisque pas moins de 70 à 75 % des personnes renvoyées de force au Kosovo n’ont pas pu s’y réintégrer et ont gagné une autre destination ou sont retournées, via des filières clandestines, dans les pays qui les avaient expulsés.
Dans bien des cas, les expulsions entre pays de l’Union européenne ont également échoué, car les Roms se servent du droit de circulation qu’ils ont en tant que citoyens européens pour aller d’un pays de l’Union à l’autre.
Les Etats qui dépensent actuellement des sommes considérables pour renvoyer les Roms dans leur pays d’origine feraient un meilleur usage de cet argent en finançant des mesures d’insertion sociale de ces personnes.
Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
- Toute référence au Kosovo dans ce texte doit être entendue dans le respect de la Résolution 1244 du CSNU et sans préjuger du statut du Kosovo.
- Rien qu’en 2009, selon des informations crédibles qui m’ont été communiquées au Kosovo, ce ne sont pas moins de 18 familles renvoyées qui se sont retrouvées dans ces camps.
- Au Kosovo, deux minorités vivent dans des conditions très semblables à celles des Roms : les Askhali et les Egyptiens.