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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Tahar Ben Jelloun : « Le racisme est le propre de l’homme »

Dans une tribune publié dans Le Monde du 13 novembre 20132, l'auteur du livre Le racisme expliqué à ma fille (rééd. Seui, 2009), explique que «la lutte contre le racisme doit être quotidienne [...] car le racisme [...] est un état d'esprit qui fait partie des faiblesses de l'homme, de ses failles et de ses erreurs.»

Le racisme est le propre de l’homme

Le racisme est le propre de l’homme. C’est ainsi, il vaut mieux le savoir et faire en sorte qu’il ne progresse pas et qu’il soit combattu par la loi. Mais cela ne suffit pas. Il faut éduquer, démonter ses mécanismes, démontrer l’absurdité de ses bases et rester vigilant.

La société française est perçue ces derniers temps comme lieu d’un racisme virulent, mais au fond elle n’est pas plus raciste qu’une autre. Le rejet de l’étranger, du différent, de celui qui est considéré comme une menace pour la sécurité est un réflexe universel et n’épargne aucune société.

Le racisme peut dans certains cas se focaliser sur une communauté, mais cela ne veut pas dire qu’il ménage les autres. Autrement dit il n’y a pas de discrimination dans l’exercice de la haine. Tout le monde y passe.

Ainsi quand en France des voix se sont élevées pour évoquer « un racisme anti-blancs », j’aurais aimé les rassurer : quand on est rongé par le racisme, on n’aime personne. Une fois c’est le juif qu’on persécute, une autre c’est le Noir, une autre c’est l’Arabe et selon l’époque et le lieu où l’on se trouve c’est aussi le blanc qui est visé. Tout dépend où se situe le malaise, cette mauvaise entente entre soi et soi et qui cherche un bouc émissaire pour s’apaiser.

LA HAINE DU JUIF A ÉTÉ LA PLUS MEURTRIÈRE

L’antisémite trouve une jouissance particulière à stigmatiser la figure du juif qui l’obsède et le dérange et parfois le fascine. Cette jouissance devient désir violent d’extermination. De tous les racismes la haine du juif a été la plus meurtrière. Cela n’a pas guéri le monde d’autres désirs d’extermination. Nous assistons aujourd’hui à des dérives qui sont graves, car le racisme commence par le verbe et pourrait se poursuivre par les fours crématoires.

Traiter une femme de guenon n’est qu’un début. Si on laisse faire, de l’insulte on passera facilement au châtiment corporel, à la torture (le cas du jeune Ilan Halimi) et au meurtre. C’est pour cela qu’il faut rappeler qu’il n’existe pas de racisme light et décaféiné. Elle a eu raison Christiane Taubira de regretter qu’aucune voix des dirigeants politiques ne se soit élevée contre le racisme dont elle a été victime.

Une autre ministre a subi le même traitement cette fois-ci en Italie. Il s’agit de Cecile Kyenge, originaire du Congo qui a été traitée de tous les noms par certains élus de la Ligue du Nord connus pour leur attachement au racisme. Des joueurs de football à la peau noire ont eux aussi été la cible d’un racisme bien enraciné.

Quand un chef d’Etat se permet de faire rire son auditoire à propos de « l’aspect bronzé d’Obama », on ouvre par la même occasion les vannes et on donne un signal à ceux qui n’osaient pas exprimer leur racisme de se laisser aller et de cultiver leurs idées nauséabondes.

La crise économique n’est pas une excuse, elle est peut-être un accélérateur, un prétexte pour se réfugier dans l’ignorance, dans la peur et s’accrocher au confort douillet des préjugés. Le fait que l’Europe, et notamment la France, ont peu à peu perdu leur place prépondérante dans le monde non seulement sur le plan économique mais aussi culturel, favorise une aigreur susceptible de se transformer en un mépris de tout ce qui est autre.

PARESSE DE LA PENSÉE

Si le racisme a toujours existé, il se trouve que des politiques en font leur fond de commerce. Il est plus facile de répandre la haine de l’étranger que le respect de ce qui est différent. L’homme a tendance à se laisser tirer vers les bas instincts surtout quand il a été fragilisé par des situations qu’il n’a pas su ou pu affronter. Pendant longtemps le slogan majeur du Front national a été « trois millions de chômeurs, trois millions d’immigrés en trop ». Cette contre-vérité, facile à démonter, fonctionne bien.

Le racisme est la paresse de la pensée pour ne pas dire le refus de penser. Il se trouvera toujours quelqu’un pour penser à votre place et à vous simplifier la lecture du logiciel du mal être. On nous dit aujourd’hui que tous les adhérents du Front national ne sont pas racistes. Peut-être. Mais tous les racistes sont assurés d’être accueillis au sein de ce parti à condition d’être discrets à propos de leurs convictions. Ni la droite ni la gauche n’ont su combattre les idées du Front national.

Certains trouvent qu’il pose de bonnes questions et apporte de mauvaises réponses, d’autres pensent en s’en approchant, qu’ils pourraient gagner quelques voix aux élections. Tant que le souci principal des hommes politiques est d’assurer leur réélection, tous les dérapages les plus indignes auront lieu.

Ajoutons à cela l’efficacité du nouvel habillage du Front national qui le rend fréquentable et même banal. Le fait de refuser d’être taxé de « parti d’extrême droite » est un signe intéressant pour passer d’un état à un autre. Si ce n’est qu’une question de mots, on pourrait admettre que l’aspect extrémiste a été remplacé par quelque chose de plus profond et de plus dangereux, la banalisation des préjugés et de la xénophobie.

Pour combattre les idées de ce parti, il faut un droit de réponse systématique chaque fois qu’un de ses dirigeants affirme des contre vérités ou propose un programme non seulement inapplicable mais pouvant ruiner notre pays.

IL EXISTE UNE SEULE RACE HUMAINE

A coté de cette vigilance qui manque cruellement dans tous les partis politiques en face, il faut développer la démarche pédagogique dans les écoles et faire un travail en profondeur et sur la durée. Il faut que les enfants sachent, tant que leur esprit est encore disponible, sur quoi se base le racisme, son histoire, ses ravages et son inhumanisme.

Il faut dire et répéter que la peur et l’ignorance sont les deux mamelles de ce fléau, qu’il est aisé de démonter leur mécanisme par le savoir et l’intelligence, par le débat et la fin des tabous. Il faut aborder tous les sujets et ne pas fermer les yeux sur les dérapages de certains qui développent eux aussi un racisme face aux stigmatisations dont ils sont victimes.

Il est important que l’Assemblée nationale ait reconnu que « les races n’existent pas ». C’est fondamental d’asséner cette vérité qu’Albert Jaccard n’avait cessé d’enseigner. Il existe une seule race humaine, elle est composée de plus de sept milliard d’individus tous uniques et semblables. Pas de race noire ni de race blanche ni de race jaune… Le fait d’affirmer et de démontrer que les races n’existent pas ne fera pas disparaître le racisme, évidemment, mais au moins c’est une vérité qui ébranlera certaines certitudes.

Souvent, quand les exaspérations sont à leur comble, les dérives racistes se multiplient et on pense que le racisme croît alors qu’il a toujours été là, tapi dans les mentalités et prêt à se répandre quand s’accentuent le mal être et le besoin d’arrogance pour se sentir exister et surtout se considérer supérieur à autrui. La lutte contre le racisme doit être quotidienne et embrasser tous les champs. Car le racisme n’est pas une mode, c’est un état d’esprit qui fait partie des faiblesses de l’homme de ses failles et de ses erreurs.

Tahar Ben Jelloun, écrivain 1


  1. Tahar Ben Jelloun, Prix Goncourt en 1987 pour La Nuit sacrée (Seuil), est devenu membre de l’Académie Goncourt en 2008.
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