« Rwanda 1994. Archives, mémoires, héritages »
En cette année de la commémoration des trente ans du génocide des Tutsi au Rwanda, la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps de La Contemporaine publie un riche numéro
En cette année de la commémoration des trente ans du génocide des Tutsi au Rwanda, la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps de La Contemporaine publie un riche numéro
Ce fut l’un des effets du mouvement Black Lives Matter en Belgique : à l’été 2020, une commission parlementaire “tentait d’analyser le passé mais aussi de se pencher sur la
La « Commission spéciale Congo-passé colonial » a produit 600 pages de contributions serrées, étayées par des bibliographies et des témoignages nombreux. Elles représentent une bombe qui bouscule aujourd’hui encore les certitudes de nombreux Belges
Le groupe de personnalités présidé par Vincent Duclert qui a été chargé il y a plus de deux ans par le président de la République, Emmanuel Macron, de rendre un rapport sur « la France, le Rwanda et génocide des Tutsi » a remis son rapport le 26 mars 2021. Il souligne la responsabilité accablante de la France présidée alors par François Mitterrand dans le soutien aux auteurs du génocide des Tutsi en 1994. Mais la commission Duclert n’a pas pu accéder à certaines archives comme celles de la mission parlementaire présidée en 1998 par Paul Quillès, que la présidence de l’Assemblée nationale a refusé de lui communiquer, ou à celles de Jean-Christophe Mitterrand, chargé alors des affaires africaines. Et, tout en pointant des faits gravissimes, ce rapport s’est lancé dans une étrange définition de la notion de « complicité » afin de ne pas l’appliquer à la politique française avant, pendant et après ce génocide.
Au terme d’une longue bataille administrative, le Conseil d’État vient d’accorder l’ouverture des archives de l’Élysée sur le Rwanda au chercheur François Graner, membre de l’association Survie, co-auteur du livre, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda. Il a estimé que ses demandes présentent « un intérêt légitime au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public ». Le chercheur demandait à accéder notamment aux documents de Bruno Delaye, Hubert Védrine et Dominique Pin. Cette décision créée une jurisprudence, elle pose un point général de droit qui dépasse son cas et va s’imposer pour les demandes futures sur d’autres sujets.
Dans une tribune publiée dans Libération le 27 juillet dernier, un collectif d’historiens, dont les travaux sur les grandes crises du XXe siècle sont internationalement reconnus, stigmatise la persistance d’une « véritable entreprise de dissimulation des faits » concernant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. « Tout se passe comme si, en haut lieu, certains s’acharnaient à cautionner et à prolonger les erreurs politiques et militaires de 1994, en relativisant la nature du génocide », contredisant le nécessaire « travail de vérité sur la logique qui a produit ces tueries de masse. » Ils déplorent à la fois l’absence de fait de la France lors des commémorations du 20e anniversaire et le manque de respect à l’égard de la recherche scientifique en ce domaine.
L’historien Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherche émérite, après une carrière universitaire d’enseignant-chercheur, est un spécialiste de l’Afrique orientale, en particulier la région des Grands Lacs. Parmi ses nombreuses publications – voir la bibliographie – citons le livre L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire (éditions Aubier/Flammarion). Il a édité des ouvrages collectifs sur l’ethnicité, les religions, les rapports entre mémoire et histoire en Afrique, et il publie régulièrement des articles sur les problèmes de l’Afrique contemporaine dans les revues Esprit et Politique africaine. Il été témoin-expert à Arusha auprès du parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans le « procès des médias » en 2002.
Cet article est la version développée d’un texte qui paraîtra fin septembre 2010 dans le n° 151 de Hommes & Libertés, revue trimestrielle de la Ligue des droits de l’Homme (ce numéro comportera notamment un dossier sur la santé). 1
Après les déclarations de Nicolas Sarkozy, à Kigali le 25 février dernier, la commémoration du génocide du Rwanda se déroule cette année dans un contexte particulier. La visite du président de la République a en effet donné lieu à un début de reconnaissance des responsabilités françaises dans ces événements.
Le communiqué de la Ligue des droits de l’Homme et la pétition que nous reprenons ci-dessous insistent notamment sur deux points :
Alison Des Forges est décédée le 12 février 2009 dans le crash d’un avion à Buffalo. Un coup très dur pour la cause des droits de l’Homme dans la région des Grands Lacs, en particulier au Burundi et au Rwanda.
«Triste fin de journée. C’était la militante rigoureuse et déterminée que tout le monde connaît. Elle n’a jamais mégoté sur la réalité du génocide de 1994, tout en étant toujours soucieuse de cerner la vérité. Elle est le contraire d’une idéologue. […]
«J’ajouterai surtout que c’est une grande historienne du Rwanda. Il faudrait éditer sa thèse sur Musinga en hommage à ce travail remarquable. Elle a sacrifié son travail de recherche pour la défense des droits humains. Qui le regrettera ? »
« Avant de parler de “repentance ”, il s’agit tout simplement de reconnaître des faits, de réfléchir sans langue de bois, d’accepter les questions et les enquêtes transparentes, au lieu de répéter, la main sur le cœur, qu’on avait fait le meilleur choix possible, celui d’une politique préventive qui aurait échoué face à une barbarie africaine et que, si c’était à refaire, on recommencerait. »
[Mise en ligne le 6 avril 07, mise à jour le
28 mars 2008]
Les Tutsis et les Hutus vivaient sur le même territoire, parlaient la même langue, pratiquaient une même religion et partageaient la même culture. Être hutu ou tutsi était un fait purement social. Il ne s’agissait donc pas de deux groupes ethniques. Et pourtant les Européens, en quelques dizaines d’années de colonisation, sont parvenus à imposer une vision ethnique de la société rwandaise — apportant leur soutien aux Hutus à partir des années 60, après avoir favorisé les Tutsis. Une racialisation à l’origine des conflits politiques qui ont engendré le génocide de 1994.
C’est ce que nous montre Etienne Smith4 dans la présentation qu’il a faite en septembre 2004 de l’ouvrage de Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Paris, Tribord, 2004.
Il y a dix ans, le 7 avril 1994, commençait l’un des pires massacres que le 20ème siècle ait produit. En une centaine de jours des centaines de milliers de