4 000 articles et documents

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Syrie : crimes contre l’humanité à Deraa

Après plus de deux mois de manifestations dans toutes les villes de Syrie pour dénoncer la dictature et la corruption du régime de Bachar Al-Assad, celui-ci ne parvient à se maintenir en place que par le recours systématique à la terreur – les forces de sécurité tuant et torturant leurs propres concitoyens. C'est ce qu'illustrent les témoignages rendus publics par Human Rights Watch le 1er juin 2011 que nous reprenons ci-dessous. Vous trouverez à la suite un message de la présidente de la FIDH.

Une vidéo de Human Rights Watch :

Syrie : Crimes contre l’humanité à Deraa

Meurtres et actes de torture, dans une ville assiégée et soumise à un blocus.

Human Rights Watch, le 1er juin 2011

(New York, le 1er juin 2011) – Les exécutions et les actes de torture systématiques commis par les forces de sécurité syriennes à Deraa depuis le début des manifestations dans cette ville le 18 mars 2011, laissent fortement penser qu’il s’agit véritablement là de crimes contre l’humanité, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 57 pages, «We’ve Never Seen Such Horror» : Crimes against Humanity in Daraa (« Nous n’avons jamais vu pareille horreur» : Crimes contre l’humanité à Deraa), s’appuie sur plus de 50 entretiens menés auprès de victimes et témoins d’exactions. Ce rapport étudie les exactions commises dans le gouvernorat de Deraa, où ont eu lieu certaines des pires violences après que des manifestations réclamant davantage de libertés ont commencé dans diverses parties du pays. Les détails de ces violences ont été largement ignorés du fait du blocus imposé sur les informations par les autorités syriennes. Les victimes et les témoins interrogés par Human Rights Watch ont fait état de meurtres, de passages à tabac, de tortures au moyen de chocs électriques et de détentions de personnes réclamant des soins médicaux, commis de façon systématique.

« Depuis plus de deux mois maintenant, les forces de sécurité syriennes torturent et tuent leurs propres concitoyens en totale impunité », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen Orient à Human Rights Watch. « Elles doivent mettre fin à ces agissements – et si elles refusent de le faire, il est de la responsabilité du Conseil de sécurité des Nations Unies de veiller à ce que les auteurs de ces exactions soient traduits en justice. »

Le gouvernement syrien devrait prendre des mesures immédiates pour faire cesser le recours excessif à la force létale par les forces de sécurité, a insisté Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait imposer des sanctions et faire pression sur la Syrie pour exiger des comptes et, en cas de réponse insuffisante, déférer la Syrie à la Cour pénale internationale.

Les manifestations ont éclaté à Deraa en réaction à la détention et à la torture de 15 enfants accusés d’avoir peint sur les murs des mots d’ordre appelant à la chute du gouvernement. En retour et depuis lors, les forces de sécurité ont à maintes reprises et systématiquement ouvert le feu sur des manifestants essentiellement pacifiques. Les forces de sécurité ont tué au moins 418 personnes dans le seul gouvernorat de Deraa, et plus de 887 autres dans toute la Syrie, selon des militants locaux qui ont établi une liste des personnes tuées. Les chiffres exacts sont impossibles à vérifier.

Des témoins de Deraa interrogés par Human Rights Watch ont fourni des récits concordants faisant état de l’utilisation par les forces de sécurité d’une force létale contre les manifestants et les passants, dans la plupart des cas sans sommation ni aucune tentative de disperser les manifestants par des moyens non-violents. Des membres de divers services des mukhabarat (services de sécurité) ainsi que de nombreux tireurs positionnés sur les toits ont pris délibérément pour cible les manifestants, et nombre des victimes présentaient des blessures mortelles à la tête, le cou et la poitrine. Human Rights Watch a documenté un certain nombre de cas où les forces de sécurité participant aux opérations contre les manifestants à Deraa et dans d’autres villes avaient reçu de la part de leurs commandants des ordres de « tirer pour tuer ».

Voici certains des incidents les plus meurtriers documentés par Human Rights Watch :

  • Une attaque contre la mosquée d’Omari, qui servait de point de rassemblement pour les manifestants et d’hôpital de fortune pour les manifestants blessés, et des attaques contre les manifestations consécutives du 23 au 25 mars, qui ont fait plus de 30 morts parmi les manifestants ;
  • Des attaques contre les participants à deux manifestations le 8 avril, qui ont fait au moins 25 morts ;
  • Des attaques au cours d’une manifestation et d’un cortège funèbre dans la ville d’Izraa les 22 et 23 avril, faisant au moins 34 morts ;
  • Des meurtres lors du blocus de Deraa et des localités voisines à partir du 25 avril, et lors d’une tentative des habitants de villes voisines pour briser le siège le 29 avril, qui ont fait jusqu’à 200 morts.

Neuf témoins des villes de Tafas, Tseel et Sahem al-Golan ont fait à Human Rights Watch le récit de l’une de ces attaques qui s’est déroulée le 29 avril, lorsque des milliers de personnes des villes voisines de Deraa ont tenté de briser le blocus de la ville. Ces témoins ont indiqué que les forces de sécurité avaient stoppé les manifestants qui essayaient de parvenir à Deraa à un poste de contrôle proche de l’entrée ouest de la ville de Deraa. L’un des témoins de la ville de Tseel qui participait à la manifestation a déclaré :

«Nous nous sommes arrêtés là, attendant que d’autres gens arrivent. Nous tenions des rameaux d’olivier et des panneaux disant que nous voulions apporter de la nourriture et de l’eau à Deraa. Nous avions des bonbonnes d’eau et des colis de nourriture avec nous. Il a fini par y avoir des milliers de personnes rassemblées sur la route – la foule s’étirait sur environ six kilomètres.

« Puis nous avons commencé à nous rapprocher du poste de contrôle. Nous criions “pacifique, pacifique” et en réponse ils ont ouvert le feu. Les forces de sécurité étaient partout, dans les champs à proximité, sur un réservoir d’eau derrière le poste de contrôle, sur le toit d’une usine proche et dans les arbres, et les tirs arrivaient de tous les côtés. Les gens se sont mis à courir, et ils tombaient, en essayant d’emporter les blessés. Neuf personnes de Tseel ont été blessées à cet endroit et l’une d’elles est morte.»

Un autre témoin, de Tafas, a ajouté :

Il n’y a pas eu d’avertissement, pas de coups de feu tirés en l’air. C’était tout simplement une embuscade. Ça tirait de tous les côtés, avec des fusils automatiques. Les forces de sécurité étaient positionnées dans les champs le long de la route et sur les toits des immeubles. Ils prenaient les gens délibérément pour cible. La plupart des blessures ont été faites à la tête et à la poitrine.

Deux hommes de Tafas ont été tués à cet endroit : Muhammad Aiman Baradan, âgé de 22 ans, et Ziad Hreidin, 38 ans. Ziad était juste à côté de moi quant un tir de sniper l’a touché à la tête. Il est mort sur le coup. En tout, 62 personnes ont été tuées et plus d’une centaine ont été blessées, j’ai aidé à les transporter à l’hôpital de Tafas.

Les autorités syriennes ont accusé à maintes reprises les manifestants à Deraa d’avoir déclenché les violences et les ont accusés d’attaques contre les forces de sécurité. Tous les témoignages recueillis par Human Rights Watch indiquent toutefois que les manifestations étaient dans la plupart des cas pacifiques.

Human Rights Watch a documenté plusieurs incidents au cours desquels, en réaction aux meurtres de manifestants, des habitants de Deraa ont recouru à la violence, brûlant des voitures et des bâtiments, et tuant des membres des forces de sécurité. Human Rights Watch a déclaré que ces incidents devraient faire l’objet de plus amples investigations, mais qu’ils ne justifiaient en aucune façon l’usage massif et systématique de la force létale contre les manifestants.

Les autorités syriennes ont en outre refusé aux manifestants blessés l’accès à des soins médicaux en empêchant les ambulances de parvenir jusqu’aux personnes blessées, et en plusieurs occasions en ouvrant le feu sur des membres du personnel médical ou des sauveteurs qui tentaient d’emporter les blessés. Les forces de sécurité ont pris le contrôle de la plupart des hôpitaux de Deraa et ont arrêté les blessés qui y étaient amenés. De ce fait, de nombreuses personnes blessées ont évité les hôpitaux et ont reçu des soins dans des hôpitaux de fortune disposant d’installations limitées. Dans au moins deux cas documentés par Human Rights Watch, des personnes sont mortes pour s’être vu refuser les soins médicaux nécessaires.

Des témoins de Deraa et de villes voisines ont fait état auprès de Human Rights Watch d’opérations de rafles à grande échelle de la part des forces de sécurité, qui ont arrêté quotidiennement des centaines de personnes, ainsi que d’arrestations ciblées de militants et de membres de leurs familles. Les personnes arrêtées, dont de nombreux enfants, ont été détenues dans des conditions épouvantables. Tous les ex-détenus interrogés ont indiqué avoir été soumis à la torture, de même que des centaines d’autres personnes qu’ils ont vues en détention, notamment lors de passages à tabac prolongés avec des matraques, des câbles tordus, d’autres dispositifs, et des électrochocs. Certains ont été torturés sur des « grils » improvisés en métal et en bois, et dans au moins un cas documenté par Human Rights Watch, un homme détenu a été violé avec une matraque.

Deux témoins ont signalé séparément à Human Rights Watch l’exécution extrajudiciaire de détenus le 1er mai dans une prison improvisée sur un terrain de football à Deraa. L’un des deux détenus a indiqué que les forces de sécurité avaient exécuté 26 détenus ; l’autre a décrit un groupe de « plus de 20 ». Human Rights Watch a été dans l’impossibilité de corroborer ces récits. Toutefois, les informations détaillées fournies par deux témoins indépendants et le fait que d’autres parties de leurs déclarations ont été totalement corroborées par d’autres témoins renforcent la crédibilité de ces allégations.

Le 25 avril, les forces de sécurité ont déclenché une opération militaire à grande échelle à Deraa, imposant un blocus qui a duré 11 jours au moins avant d’être étendu aux villes voisines. Protégées par des tirs nourris, les forces de sécurité ont occupé chaque quartier de la ville, ont ordonné aux gens de rester chez eux et ont ouvert le feu sur ceux qui bravaient l’interdiction. Des témoins ont indiqué que les habitants de Deraa ont connu de graves pénuries de nourriture, d’eau, de médicaments et autres denrées nécessaires au cours du siège. Les forces de sécurité ont condamné des réservoirs d’eau. L’électricité et toutes les communications ont été coupées. Dans l’impossibilité d’enterrer ou de conserver correctement le nombre croissant de cadavres, les habitants de Deraa ont stocké nombre d’entre eux dans des véhicules frigorifiques à légumes qui pouvaient fonctionner au diesel.

Les autorités syriennes ont aussi imposé un blocus sur l’information à Deraa. Elles ont empêché tous les observateurs indépendants d’entrer dans la ville et ont interrompu tous les moyens de communication. Les forces de sécurité ont recherché et confisqué les téléphones portables contenant des enregistrements des événements de Deraa, et elles ont arrêté et torturé les personnes qu’elles soupçonnaient de tenter de faire sortir des images ou autres informations, y compris des ressortissants étrangers. Dans certaines zones, l’électricité et les communications restent coupées.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement syrien à cesser immédiatement le recours à la force excessive et létale par les forces de sécurité contre les manifestants et les militants, à libérer tous les détenus arrêtés arbitrairement et à fournir aux groupes de défense des droits humains et aux journalistes un accès immédiat et libre à Deraa. L’organisation a également appelé le Conseil de sécurité à adopter des sanctions financières et de déplacement à l’encontre des autorités responsables de violations persistantes des droits humains, ainsi qu’à faire pression et à appuyer les efforts pour que soient menées des enquêtes et des poursuites sur les violations graves, généralisées et systématiques des droits humains commises en Syrie.

« Les autorités syriennes ont fait tout ce qu’elles ont pu pour dissimuler leur répression sanglante à Deraa », a conclu Sarah Leah Whitson. « Mais des crimes aussi horribles sont impossibles à cacher, et tôt ou tard les responsables devront répondre de leurs actes. »

Message de Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH1

Les peuples syrien et bahreïni ont besoin de toute notre solidarité

Les situations en Syrie et au Bahreïn sont plus que critiques :

– En Syrie, malgré la levée de l’état d’urgence le 21 avril, la répression s’est accrue dramatiquement au cours des dernières semaines. Dans plusieurs villes, les manifestations pacifiques ont été confrontées à l’intervention de blindés et de tirs à balles réelles par les forces de sécurité. La ville de Deraa est assiégée et une crise humanitaire menace la population de la ville. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées depuis la mi-mars, des centaines d’autres ont disparu et l’on compte plus de 1700 arrestations au cours des derniers jours.

– Au Bahreïn, la répression contre les manifestations pacifiques de ces dernières semaines est à l’origine de plusieurs dizaines de morts, de centaines de blessés et d’arrestations arbitraires.

Les défenseurs des droits de l’homme, les médecins et personnel médical qui ont tenté de porter secours aux victimes, sont menacés, arrêtés et sont victimes de d’actes d’intimidation systématiques. Nabeel Rajab, Président du Bahrain Center for Human Rights (BCHR), membre de la FIDH, et secrétaire général adjoint de la FIDH a été arrêté, maltraité puis relâché demeure le cible de nombreuses menaces et d’actes d’intimidation.

Des licenciements massifs ont lieu dans les usines et les entreprises. On assiste dans ces deux pays à un risque accru de « blackout », les journalistes étrangers étant quasi systématiquement empêchés d’accéder au pays et ceux se trouvant sur le territoire étant muselés par diverses mesures (arrestations, licenciements, expulsion etc.)

Les situations au Bahreïn et en Syrie s’aggravent de jour en jour.

Nous avons donc réalisé deux dossiers spéciaux sur le site de la FIDH, disponibles en français en anglais et en espagnol :

Les peuples syrien et bahreïni ont besoin de toute notre solidarité.

Le 4 mai 2011

  1. Référence : http://www.ldh-france.org/Les-peuples-syrien-et-bahreini-ont.
Facebook
Twitter
Email