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Suzanne Citron : “Nos ancêtres les Gaulois…” ? Ils sont fous ces historiens!

Pour l'historienne Suzanne Citron, qui s'intéresse notamment à l'historiographie scolaire et a publié Le Mythe national, l'histoire de la France revisitée, (éd. de l'Atelier, 2008), les ancêtres gaulois sont une fiction récente et la question des origines et de l’histoire doit être posée autrement. Nous reprenons un article d'elle initialement publié le 23 juin 2008 sur le site Rue89.

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L’école républicaine a fait croire aux Français qu’ils descendent des Gaulois. Le Petit Lavisse, manuel phare de la IIIe République, commençait ainsi:

« Autrefois, notre pays s’appelait la Gaule et ses habitants, les Gaulois. »

Aujourd‘hui encore, dans les livres du cours moyen, après “les temps préhistoriques”, la Gaule et Vercingétorix continuent de marquer le début de l’histoire et semblent donc confirmer que les “vrais Français” remontent aux “Gaulois”, les autres n’étant que des pièces rapportées.

Alors d’abord, qu’est-ce que la « Gaule »?

Royaumes « romano-barbares » et royaume des Francs: la Gaule, une notion romaine

Contrairement aux manuels qui évoquent l’arrivée des Celtes en « Gaule », comme si celle-ci existait déjà, la Gaule, Gallia en latin, est une invention linguistique des Romains. Ces derniers nommaient galli les tribus qui, à partir du IVe siècle av. J.-C., menacent le nord de la péninsule italique. Gallia correspond à l’espace occupé par ces galli. La première « Gaule » est donc en Italie!

Au fur et à mesure qu’ils poursuivent leur conquête, les Romains distinguent la Gallia cisalpina en Italie et la Gallia transalpina de l’autre côté des Alpes. Quand César, au milieu du Ier siècle av. J.-C., atteint le Rhin, il décrète que le fleuve est la frontière entre Gallia et Germania. Espace purement géographique, cette Gaule est un territoire morcelé entre des peuples nombreux et César lui-même parle de la guerre des Gaules. Jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident, la Gaule est une fiction géographique. Au IVe siècle ap. J.-C., aucune entité administrative de l’Empire ne porte ce nom.

Les grandes migrations de peuples venus de l’est et du nord, qui ont contribué à la disparition de l’Empire romain, font naître de nouvelles configurations aux limites flottantes, les royaumes dits « romano-barbares ». Citons par exemple la Burgondie (future Bourgogne), l’Aquitaine des Visigoths, l’Allemanie, l’Austrasie… Au début du VIe siècle, les Francs -l’un de ces peuples venus de l’est-, réussissent, grâce aux succès militaires de Clovis, petit roi de Tournai soutenu par l’Église, à imposer leur domination sur la plupart des autres royaumes.

Dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, tandis qu’au sud des Pyrénées, des califes arabo-musulmans gouvernent l’Espagne1, Pépin le Bref, un grand d’une autre famille franque, les Pipinides (futurs Carolingiens), s’empare de la royauté franque par un « coup d’État » et est sacré roi des Francs par le pape. Charles (Charlemagne), son fils, est proclamé empereur en 800. Les royaumes placés sous la souveraineté des Carolingiens s’étendent de l’océan à l’Elbe, la Bretagne restant à l’extérieur.

L’histoire des conflits et des partages ultérieurs du grand royaume des Francs est complexe et mouvante. L’important est de comprendre que cette histoire est, si l’on veut, européenne, et que l’idée qu’il s’agit de l’enchaînement d’une histoire « de France » se déroulant des Gaulois aux rois capétiens est fausse. Un royaume dit « de France » (regnum Franciae en latin) n’apparaît dans les textes que vers le XIIIe siècle. Annexer Clovis et Charlemagne à l’ »histoire de France » est donc abusif.

Populations métissées et langues multiples: pas d’horizon « gaulois »

Ces siècles ont connu, en Europe occidentale, des brassages, des métissages de populations et une très lente transformation des parlers. Dans le cloisonnement de ruralités aux communications difficiles, les langues foisonnent, le latin demeurant celle de l’écrit, des manuscrits, des clercs et des chancelleries. De grands ensembles linguistiques encadrent cette diversité. Au sud, les langues d’oc sont fortement marquées par le latin, sauf l’insolite enclave basque des deux côtés des Pyrénées atlantiques. Entre Loire et Meuse, les langues d’oïl, brassage de parlers francs, celtes et latin abâtardi, offrent de multiples variétés. Au nord et à l’est, les langues restent germaniques, tandis que dans l’Armor, les Bretons immigrés de (Grande-)Bretagne aux IVe et Ve siècles ont (re)celtisé les parlers.

A cet univers multiethnique et multilingue, la puissante Église catholique, régie par le pape et les évêques, a conféré au long des décennies une unité spirituelle. Elle cautionne aussi le système de relations -la féodalité- qui se diffuse au IXe et au Xe siècles: la société dite d’ordres qui établit une stricte hiérarchie entre ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui « travaillent » pour nourrir tous les autres. Des communautés juives, dont certaines implantées dès l’Empire romain, sont disséminées en petits noyaux jusque sur le Rhin. Elles cultivent leurs propres traditions, non sans contacts avec l’environnement chrétien en pays d’oc, musulman et chrétien en Espagne. La grande persécution des Juifs par les chrétiens ne commence vraiment qu’avec la première croisade, prêchée par le pape en 1090.

Le Xe siècle voit la lente ascension d’une nouvelle famille franque venue d’Austrasie, les Robertiens, futurs Capétiens. On leur chercherait en vain des ancêtres gaulois. La notion romaine de Gaule survit fugitivement dans les hautes sphères de l’Église. Mais les ancêtres des Capétiens, « rois de France » au XIIIe siècle, sont de valeureux guerriers francs descendant des légendaires Troyens vaincus par les Grecs au temps du roi Priam. L’origine troyenne des Francs est racontée dans la première grande histoire à la gloire des rois de France rédigée au XIIIe siècle par les moines de l’abbaye de Saint-Denis. Pas trace d’ancêtres gaulois dans ces grandes « Chroniques de France » ni dans aucune « histoire de France » jusqu’au XIXe siècle!

Du mythe troyen au mythe gaulois: les effets pervers de l’origine gauloise

Les Gaulois vont d’abord apparaître avec les grands bouleversements intellectuels et techniques des XVe et XVIe siècles: l’humanisme, l’imprimerie, la redécouverte des textes de l’Antiquité. Certains écrivains qui, comme tous les contemporains, pensent que l’origine de l’humanité est écrite dans la Bible, vont substituer les Gaulois aux Troyens comme ancêtres des Francs. Ils les décrivent comme un peuple fabuleux descendant de Noé, le patriarche dont l’arche a sauvé l’humanité du Déluge. Au XVIIIe siècle, les débats autour des « Gaulois » se modifient en s’idéologisant. Ancêtres du peuple, ils s’opposent aux « Francs » qui sont les ancêtres des aristocrates. La Révolution voit donc le triomphe des « Gaulois ».

Un peu partout en Europe, l’idée se diffuse que les nations nouvelles ou à former descendent d’un peuple primitif. Pour les historiens français héritiers de la Révolution, les Gaulois sont ce peuple primitif. Ils deviennent alors l’objet de savantes études ou d’imageries populaires (grands, blonds, longues chevelures, teint clair…). Le personnage de Vercingétorix est alors imaginé, à partir d’une phrase ambiguë de César, comme le premier de nos héros (inconnu avant le XIXe siècle). Il entre en fanfare dans les manuels d’histoire du Second Empire puis de la République.

Cette lecture du passé français à travers la grille d’une Gaule qui préfigurerait la « nation » est obsolète et non sans effets pervers. D’une part elle conditionne spatialement le passé autour du seul Hexagone, excluant de ce passé tout ce qui géographiquement lui est extérieur, comme les Antilles ou même la Corse. Elle confère à la durée de la présence sur le sol hexagonal présumé « gaulois » une vertu quasi-magique au nom d’une antériorité généalogique qui serait synonyme de supériorité.

Une garantie de l’unité et l’indivisibilité nationale pour les fondateurs de la République

D’autre part, et c’est le plus grave, l’idée d’une souche gauloise ethnicise fantasmatiquement la « véritable » nation et nie la diversité raciale et culturelle qui a constamment accompagné la création historique de la France. Le royaume en son commencement du XIIIe siècle juxtapose des pays aux parlers et coutumes différentes. Les Antilles esclavagistes du XVIIe siècle ajoutent un nouveau volet à cette histoire.

L’histoire de la France « Gaule » et d’un peuple français d’origine « gauloise » fabriquée au XIXe siècle correspond à la vision des fondateurs de la République et garantit à leurs yeux l’unité et l’indivisibilité nationale. Or, paradoxalement, cette histoire coïncide avec les premières grandes vagues d’immigration de travailleurs italiens, belges, polonais et Juifs venus « d’ailleurs », et avec l’expansion coloniale qui élargit l’espace « français » à l’Afrique et à l’Indochine. Et cette version de « nos ancêtres les Gaulois » a ainsi été imposée dans les écoles des lointaines colonies. Mais cette histoire de la France « Gaule » est aujourd’hui obsolète pour décrypter une identité française aux multiples racines post-coloniales et mondiales.

Suzanne Citron
  1. A propos des «califes», un lecteur de cet article a publié le commentaire suivant :

    L’article est bienvenu, car les préjugés sont légion dans l’histoire enseignée à l’école, et de ce fait nous, aussi bien que nos enfants, perpétuons des idées douteuses. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs certains de banlieue parler des « gaulois » au sujet des prétendus français autochtones.


    Mais l’article appelle des corrections, celles-là même que réclament l’auteur au sujet de l’histoire de France :


    Parler de califes gouvernant l’Espagne dans la seconde moitié du 8ème siècle est un mensonge. Le califat a été instauré à Cordoue en 931. Au 8ème siècle il est difficile de parler d’Espagne et l’Hispania est une fiction similaire à la Gallia. Le terme arabo-musulman est une invention d’orientaliste pour enfoncer l’idée que arabe = musulman (quid des arabes chrétiens et des musulmans non arabes ? La civilisation arabo-musulmane n’existe pas). Les historiens parlent aujourd’hui d’Etat hispano-musulman. Au passage, l’école française devrait cesser de parler de “Reconquista”, car c’est adopter le point de vue du vainqueur qui ne va absolument pas de soi.


    Ceci dit l’ouvrage est tout a fait louable et s’inscrit dans la nécessaire dénationalisation de l’histoire.

    Et Suzanne Citron lui a répondu :

    Merci pour les corrections, j’ai eu envie d’ évoquer la présence musulmane mais trop rapidement et vos remarques sont pertinentes.

    Absolument d’accord pour la “Reconquista”. C’est comme de parler de “la découverte” de l’Amérique.

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