Dossier de Survie (24 janvier 2013)
Les zones d’ombres de l’intervention française au Mali
Conformément aux objectifs de l’association Survie, ce document se concentre sur le rôle de la France au Mali et aborde de façon moins approfondie le rôle des autres acteurs clé de la crise. Il ne s’agit pas de les dédouaner ou de faire porter à la France l’entière responsabilité de la crise au Mali.
Il s’agit de décrypter le rôle qu’a joué la France dans la genèse de cette crise et le jeu diplomatique qu’elle a mené pour une intervention militaire dont elle est aujourd’hui la principale force, à la lumière des enjeux français dans la zone.
Ce document a été élaboré collectivement par des militant-e-s de Survie qui suivent la situation au Mali depuis plusieurs mois ou plusieurs années. C’est un document qui ne prétend pas à l’exhaustivité, et qui pourra être amené à être complété, actualisé.
Sommaire
- Le Mali, une « vitrine » démocratique qui a volé en éclats
- Participation à la guerre en Libye et posture équivoque vis-à-vis du MNLA : les autorités françaises portent une part de responsabilité dans l’éclatement de la crise au Mali
- L’implication de la France au Sahel est étroitement liée à la préservation de ses intérêts économiques
- L’intervention, préparée de longue date, permet de légitimer la présence contestée de l’armée française dans la région
- Les « amis » de la CEDEAO sont la ‘caution africaine’ de l’intervention
L’intervention de l’armée tchadienne aux côtés de la France vise à légitimer ce régime dictatorial - La France bafoue la souveraineté du Mali et contribue à la mise sous tutelle du pays
- La France cherche à utiliser le paravent de l’ONU au Mali
- La France, gendarme de l’Afrique pour l’Union européenne
- L’objectif de la lutte contre le terrorisme vise à créer un consensus autour de l’opération militaire française et évite toute analyse des enjeux
- Une intervention à l’issue incertaine pour le Mali, sa population et pour la région toute entière
- Conflit durable, présence de troupes étrangères, atteintes aux droits de l’homme
- Sur les prises d’otages
- Risque d’aggravation de la situation économique et humanitaire
- Risque de déstabilisation d’autres États et d’extension du conflit à l’ensemble de la région
- L’exercice d’un contrôle parlementaire vigilant, une urgence
Pour télécharger le dossier : http://survie.org/IMG/pdf/Dossier_d_information_-_Les_zones_d_ombres_de_l_intervention_francaise_au_Mali_-_Survie_-_24_janvier_2013.pdf.
Communiqué de Survie
La France intervient au Mali et réaffirme son rôle de gendarme en Afrique
Le 14 janvier 2013
C’est finalement le 10 janvier 2013 que la France est entrée en guerre au Mali. La communication du gouvernement français, reprise sans questionnement par les principaux médias, tend aujourd’hui à légitimer par tous les moyens et tous les arguments cette nouvelle intervention militaire française sur le sol africain et son rôle de « gendarme de l’Afrique ». Pour Survie, association qui dénonce depuis longtemps l’ingérence et la domination de la France envers ses anciennes colonies africaines, il est important de rappeler quelques éléments de contexte et d’analyse critique sur cette intervention française, sans minimiser l’ampleur de la crise que connait le Mali.
La menace que font peser ces groupes armés sur la population et l’intégrité du Mali est indéniable. Leurs exactions sont connues et ont provoqué la fuite de centaines de milliers de personnes. Après le calvaire vécu par les populations dans le Nord, le soulagement des Maliens en ce moment est compréhensible. Si l’intervention française semble effectivement avoir mis un coup d’arrêt à l’offensive vers le sud du pays de mouvements armés qui se revendiquent d’un islam radical, il existe cependant d’autres motifs, militaires et politiques, à l’opération Serval rendant la conduite française des opérations critiquable.
Le camouflage multilatéral d’une opération française
Cette intervention ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU. Des mois de négociations ont permis de faire voter trois résolutions du Conseil de Sécurité, ouvrant la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et pouvant faire usage de la force, mais officiellement sans implication directe des militaires français. En informant simplement le Conseil de Sécurité sur le fait que son intervention urgente « s’inscrit dans le cadre de la légalité internationale » eu égard aux dispositions de la Charte de l’ONU, elle a finalement pu justifier une décision bilatérale. Ce changement majeur, qui met ses « partenaires » devant le fait accompli, est complaisamment occulté afin de laisser à nouveau croire que la France met en œuvre une volonté multilatérale actée au sein de l’ONU. Il est donc nécessaire qu’elle respecte au plus vite les résolutions de l’ONU.
Une fois de plus, la France joue le rôle de gendarme de l’Afrique, en appuyant sa stratégie sur ses relations bilatérales avec des « régimes amis » africains, sur la présence permanente de son armée dans la région et sur sa capacité de projection de forces. Ainsi, les hélicoptères utilisés pour stopper l’offensive adverse sont ceux des forces spéciales françaises de l’opération Sabre, présentes au Burkina Faso voisin (et en Mauritanie) depuis deux ans et renforcées au mois de septembre. C’est surtout le dispositif Epervier, en place au Tchad depuis 1986 alors qu’il était supposé provisoire, qui est mobilisé. À travers l’opération baptisée Serval, ce sont donc les liens que Paris entretient avec des régimes totalement infréquentables, ceux d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré, qui se trouvent une nouvelle fois renforcés. Le rôle phare de la France est reconnu par la plupart de ses partenaires occidentaux qui lui emboitent le pas timidement dans cette intervention (Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne) sans pour autant engager de troupes combattantes, tandis que d’autres restent en retrait.
Une intervention directe décidée dans l’ombre
Ce scénario rentre dans la logique développée par le nouvel exécutif français, prônant l’intervention militaire comme un « préalable » à la restauration de la paix dans le pays (également en proie à une crise institutionnelle grave). Ces derniers mois, la France n’avait en rien contribué à l’émergence d’une solution collective discutée par l’ensemble des Maliens et de nature à favoriser un consensus politique, préalable à une réorganisation rapide des forces de sécurité. Aujourd’hui, la présence de soldats français jusque dans Bamako – sous couvert de protection des ressortissants – représente une pression importante sur les autorités maliennes en état de grande faiblesse.
L’option d’une intervention directe et rapide des forces françaises était déjà prévue, au vu de la rapidité de mise en œuvre, et ce bien avant que l’offensive ne se rapproche de Sévaré-Mopti. L’aval du Parlement n’est pas nécessaire à l’Élysée pour déclencher une opération extérieure, ce qui marque l’insuffisance de la modification constitutionnelle de juillet 2008 relative au contrôle parlementaire des opérations extérieures. De rares réactions critiques dans la classe politique soulignent cette absence de concertation. La nature préméditée de cette intervention armée aurait indiscutablement dû susciter une prise de décision parlementaire.
Dans l’immédiat, l’opération Serval a déjà basculé dans une phase offensive et semble devoir se prolonger dans la durée. Cette logique occulte délibérément les risques pour la population malienne et les Etats de la région, de même que les perspectives politiques et la période post-conflit. Le bilan accablant des récents antécédents français en Afrique montre pourtant que ces risques sont bien réels. Les interventions de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye ont en effet débouché sur des situations internes explosives, passées sous silence.
En conclusion, la crise malienne et cette nouvelle intervention militaire française en Afrique révèlent l’échec de 50 années de « coopération » avec l’Afrique : armées incapables de protéger leurs populations, chefs d’Etat médiateurs de crises eux-mêmes putschistes, accords de défense et bases militaires qui ont perpétué le rôle de gendarme de l’Afrique que la France s’est historiquement octroyé. On ne peut que constater l’incapacité des institutions africaines et multilatérales à organiser la moindre opération de sécurisation dans la région sans avoir recours au poids lourd français, qui a tout fait pour se rendre incontournable. Ces événements appellent une fois de plus à une remise en cause de l’ensemble du cadre des relations franco-africaines.