Suite à la participation du docteur en science politique Nedjib Sidi Moussa à l’émission « C Politique », sur France 5, ce dimanche 24 novembre, sur les mémoires franco-algériennes, l’universitaire a été harcelé sur les réseaux sociaux et par certains media. Des historiennes et des historiens, dont Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio, membres d’histoirecoloniale.net, s’insurgent dans cette tribune publiée par Mediapart contre les propos racistes « extrêmement choquants » dont il a été victime.
Tribune : soutien à Nedjib Sidi Moussa
Dimanche 24 novembre, dans l’émission « C Politique », sur France 5, le service public a proposé aux téléspectateurs ce que la télévision offre de mieux. Un débat courtois entre spécialistes sur un sujet complexe, aux potentielles polémiques : les mémoires franco-algériennes à l’occasion de l’arrestation arbitraire de l’écrivain Boualem Sansal. Parmi eux, les historiens Benjamin Stora et Sébastien Ledoux, les journalistes Rachel Binhas et Delphine Minoui, mais aussi le docteur en science politique Nedjib Sidi Moussa qui a consacré plusieurs de ses travaux à l’histoire récente de l’Algérie.
Comme d’autres, il a exprimé son malaise. Sans jamais justifier l’arrestation de l’écrivain, marquant bien son opposition face à cette procédure arbitraire, Nedjib Sidi Moussa a tenu à rappeler que l’auteur s’était signalé par des prises de positions récentes dans la presse d’extrême droite française. Aussi a-t-il invité le public à prendre un peu de recul. Oui, la procédure visant Boualem Sansal est injustifiée, mais en faire un héraut (et un héros) des droits humains peut poser problème. Le propos était énoncé calmement, et n’a pas déclenché de polémique sur le plateau. Tout juste un débat poli et posé, où chacun a pu dérouler ses arguments dans le respect.
Le lendemain, sur X, le ton avait changé. C’est tout d’abord le compte « Destination Télé », proche de l’extrême droite, qui profite d’un extrait où apparaît Nedjib Sidi Moussa, pour attaquer le service public audiovisuel (qualifié de ne plus être France 5 mais « Algérie 5 »). Un tweet rapidement repris par la sociologue Florence Bergeaud-Blackler qui traite en sus Nedjib Sidi Moussa de « pauvre con », termes pour le moins surprenants de la part d’une chercheuse affilée au CNRS. Pire, le caricaturiste Xavier Gorce est tombé plus bas dans l’insulte en qualifiant, toujours sur X, Nedjib Sidi Moussa de « petit voyageur de commerce qui […] met le pied dans la porte pour fourguer ses tapis de prière islamistes » avant de dire qu’« il y a de l’égorgeur en puissance dans [son] argumentaire ». Propos immédiatement approuvé dans un autre tweet (effacé depuis) par le journaliste de Libération, Jean Quatremer, qui renchérit en écrivant qu’« égorgeur est le bon mot ».
Ces propos sont extrêmement choquants. Tout d’abord, parce qu’ils visent uniquement Nedjib Sidi Moussa, alors que d’autres intervenants, comme Sébastien Ledoux, ont sensiblement dit la même chose que lui. En filigrane, ils poussent à assimiler tous les hommes d’origine algérienne qui montreraient un peu de nuance dans leur propos à un terroriste islamiste en puissance. Pourtant, une simple recherche sur le parcours de Nedjib Sidi Moussa, une écoute de ses interviews ou une lecture de ses livres auraient bien montré que ce chercheur a pris clairement position contre l’islamisme, qu’il affiche son anticléricalisme et qu’il n’hésite pas à critiquer les pouvoirs algériens ou français. Mais, plus largement, cette polémique est symptomatique du climat actuel où toute nuance semble être perçue par les uns et par les autres comme une attaque ou une trahison.
Dans cette ambiance délétère, il nous semble important non seulement d’informer le grand public, mais aussi de montrer la complexité de l’actualité contemporaine, d’autant plus si elle renvoie à un passé douloureux comme celui des relations franco-algériennes. C’est exactement ce qu’a voulu faire Nedjib Sidi Moussa et d’autres avec lui, ce dimanche, sur une chaîne de service public. Qu’il soit attaqué de manière aussi virulente et inacceptable est intolérable et prouve une fois de plus que certains réseaux sociaux où prospèrent l’injure publique, le racisme et le complotisme sont des dangers pour le débat démocratique, qui nécessite l’acceptation sans haine de la pluralité des opinions.
Signataires :
Eric Aunoble, historien ;
Sarah Benilman, créatrice de Mazal podcast ;
Florian Besson, historien ;
William Blanc, historien ;
Collectif Aggiornamento Histoire-Géo ;
Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH ;
Natacha Coquery, historienne ;
Laurence De Cock, historienne ;
Nelcya Delanoe, historienne ;
Charlotte Dugrand, éditrice et librairie ;
Mathilde Larrère, historienne ;
Yoan Gwilman De Souza, étudiant à l’EHESS et enseignant ;
Sébastien Ledoux, historien ;
Fanny Madeline, historienne ;
Gilles Manceron, historien ;
Servane Marzin, enseignante ;
Paul-Max Morin, politiste ;
Martin Mourre, historien ;
Christophe Naudin, historien et enseignant ;
Nicolas Norrito, éditeur et libraire ;
Christian Phéline, historien ;
Malika Rahal, Directrice de l’Institut d’histoire du temps présent ;
Fabrice Riceputi, historien ;
Michèle Riot-Sarcey, historienne ;
Alain Ruscio, historien ;
Francis Sitel, co-directeur de la revue ContreTemps ;
Sylvie Thénault, historienne ;
Thomas Vescovi, historien et enseignant ;
Olivier Le Trocquer, historien, professeur du Secondaire.
Théo Roumier, enseignant ;
Kamel Aissat, enseignant chercheur en Algérie ;
Julien Chuzeville, historien ;
Hervé Guyon, MCF en Psychologie Statistique ;
Frédéric Siméon, libraire ;
Louise Guttin-Vindot, doctorante (CHSP/CHS) ;
Nilala Haddad, librairie ;
Michel Savaric, enseignant-chercheur, Université de Franche-Comté ;
Pierre Jouan, professeur de philosophie.