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Édition du 1er au 15 juillet 2025

Soutien à Habib Kazdaghli : Lettre ouverte au ministre tunisien de l’enseignement supérieur

Le professeur tunisien Habib Kazdaghli, ferme soutien des justes causes de par le monde dont celle portée par le peuple palestinien aux luttes desquels il a toujours adhéré, se voit depuis des années harcelé et diffamé par ceux qui veulent mettre fin aux libertés académiques en Tunisie.

Nous reproduisons ci-dessous la lettre adressée au ministre de l’enseignement de Tunisie que nous a communiquée l’universitaire algérien Hassan Remaoun. De nombreux collègues des deux rives de la Méditerranée manifestent leur solidarité et leur soutien en la cosignant et en envoyant des messages à Habib Kazdaghli. 

Elle a été publiée par le site « Vigilance Universités » et reprise par le journal tunisien en ligne Kapitalis.


Soutien international à notre collègue Habib Kazdaghli de l’Université de La Manouba (Tunisie)

Lettre ouverte à Monsieur le ministre tunisien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et aux instances de l’Université de La Manouba (Tunisie)

par le Collectif Vigilance Universités et le Collectif tunisien autour de Habib Kazdaghli.

Source

Le professeur Habib Kazdaghli, historien et ancien doyen, de 2011 à 2017, de la faculté de La Manouba, fait aujourd’hui l’objet d’une cabale diffamatoire, orchestrée par des étudiants ultranationalistes arabes, des étudiants d’extrême-gauche et des étudiants islamistes, avec la complicité de certains enseignants. Se posant comme « défenseurs uniques de la cause palestinienne », ils accusent le professeur Kazdaghli de promouvoir une « normalisation académique », c’est-à-dire l’instauration de relations institutionnelles avec les universités israéliennes, uniquement parce qu’il a participé à un colloque en France auquel étaient aussi conviés des chercheurs israéliens.

Spécialiste de l’histoire contemporaine de la Tunisie et du Maghreb, ainsi que de l’histoire du communisme et des minorités religieuses de Tunisie, Habib Kazdaghli a vu ses travaux, en tant qu’historien, reconnus et estimés bien au-delà des frontières tunisiennes. Parmi les minorités religieuses qu’il étudie figure la communauté juive de Tunisie. C’est donc naturellement qu’il a été notamment invité, en avril 2023, comme à d’autres occasions, à participer à un colloque à Paris intitulé : « Les Juifs et le droit en Tunisie – du protectorat à l’indépendance (1881-1956) – entre progrès historiques et résilience religieuse ». Ce colloque était organisé, sous le patronage de la ministre française de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par la Société d’histoire des Juifs de Tunisie (SHJT) en collaboration notamment avec le Centre français du judaïsme tunisien (CFJT).  C’est en raison de cette invitation à un événement où étaient aussi conviés des chercheurs de plusieurs nationalités, dont d’autres collègues tunisiens et des chercheurs israéliens, qu’il a été accusé, par le Conseil scientifique de la Faculté et la Présidence de son université, de « vouloir une normalisation » avec l’État d’Israël. Ce conseil scientifique est allé jusqu’à annoncer qu’il revenait sur sa proposition de lui attribuer le titre de « professeur émérite », induisant la décision ministérielle, datée du 10 janvier 2025, lui refusant ce grade.

Il va de soi qu’un colloque scientifique, par essence indépendant de toute allégeance politique, invite un spécialiste pour la valeur de ses recherches, et non pour représenter son pays ni porter une position politique.

Le 14 avril dernier, faisant suite à la décision du département d’histoire de la Faculté de La Manouba de lui rendre un hommage académique, une offensive haineuse et diffamatoire a été lancée contre lui par les étudiants évoqués plus haut, qui ont arraché sa photo de la galerie de portraits des doyens qui se sont succédé à la tête de la faculté et qui ont déclenché un mouvement de grève. Le Conseil scientifique de la faculté s’est réuni le 15 avril en « séance urgente et extraordinaire ». Dans un communiqué, ce conseil scientifique a pris entièrement à son compte les allégations des étudiants, déclarant son « soutien inconditionnel aux luttes légitimes de nos étudiants contre la normalisation » et son opposition ferme à « toute proposition d’hommage à Habib Kazdaghli ». La raison explicitement donnée est inappropriée : « Nous nions catégoriquement toute intention d’honorer toute personne dont les soupçons de normalisation sont avérés. » En outre, le Conseil s’en est pris au laboratoire du patrimoine auquel appartenait le Professeur Kazdaghli, fondé en 1999, et qui se trouve ainsi menacé de fermeture.

Le Professeur Habib Kazdaghli est connu, en Tunisie et à l’étranger, pour être un ardent défenseur des valeurs qui ont historiquement distingué la Tunisie depuis son indépendance : l’enseignement pour tous, la défense des libertés académiques à l’université, la modernité et l’égalité entre hommes et femmes.

L’opinion universitaire et intellectuelle garde toujours en mémoire son combat mené avec quelques collègues, dans les années 2012 et 2013, contre l’offensive intégriste voulant conquérir l’espace universitaire et le transformer en « enceinte sacrée ». Cette résistance lui a valu des poursuites judiciaires (il ne fut définitivement acquitté qu’en juin 2014, au terme d’un procès marathon qui s’est prolongé durant plus de deux ans, et de menaces d’élimination physique (il a passé dix années sous protection policière armée).

Qu’il soit aujourd’hui privé du soutien du Conseil scientifique de sa propre faculté est une injustice incompréhensible.

Actuellement, le contexte est toujours hostile aux libertés académiques tant défendues par le doyen Kazdaghli, qui se trouve à nouveau la cible d’attaques au nom d’une prétendue défense de la « cause palestinienne » contre « l’entité sioniste ».

Comme l’écrit le journal Le Matin d’Algérie du 25 avril 2025 : « En réalité, ce que paie Kazdaghli c’est son indépendance d’esprit et de réflexion. Son refus de céder aux injonctions dogmatiques. Son attachement à une université fondée sur la recherche critique, la diversité des mémoires et l’ouverture sur le monde. Ce sont ces principes qui, aujourd’hui encore, provoquent l’hostilité de ceux qui veulent réduire l’histoire à un instrument de propagande ».

En tant qu’universitaires appartenant à des institutions de divers pays, attachés aux principes de liberté académique et d’intégrité scientifique, nous exprimons notre soutien indéfectible, au professeur Kazdaghli visé par des accusations et des attaques inadmissibles. Nous demandons solennellement aux autorités politiques et universitaires tunisiennes et à tous ses collègues de le défendre publiquement, de réaffirmer leur attachement à la liberté universitaire et scientifique, et de garantir avec fermeté l’indépendance de la recherche scientifique contre toute forme de pression idéologique. Nous invitons notamment les instances universitaires de Tunisie, et le ministère tunisien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, à réétudier la décision ayant refusé à M. Kazdaghli le grade de professeur émérite.

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