Programme du colloque du samedi 7 mai 2005
– Matin (9 h à 13 h)
Un cas d’occultation du passé colonial : la répression
de mai 1945 dans le Constantinois et l’étouffement
de la commission Tubert
avec Gilles Manceron, Mohammed Harbi, Annie Rey-Goldzeiguer, Jean-Pierre Peyroulou, Laure Blévis , Benjamin Stora, Hocine Aït Ahmed et Henri Alleg.
– Après-midi (14 h à 18 h 30)
Quels liens peut-on établir entre l’impensé colonial et les problèmes de la société française d’aujourd’hui ?
avec Bernard Birsinger, Khadidja Bourcart, Damarys Maa, Françoise Lorcerie, Philippe Bataille, Denis Sieffert, Patrick Weil, Arlette Heymann-Doat, Sidi Mohammed Barkat, Nacira Guénif-Souilamas, Wassyla Tamzali et Michel Tubiana.
École des Hautes Études en Sciences Sociales
(EHESS)
105, boulevard Raspail 75006 Paris
Des épisodes du passé colonial de la France reviennent
peu à peu à notre mémoire collective. Les massacres
dans le Constantinois après les manifestations de Sétif
du 8 mai 1945 viennent de faire l’objet d’une déclaration
de l’ambassadeur de France en Algérie où il
est question pour la première fois de « massacres », de
« tragédie inexcusable » et de la nécessaire « connaissance lucide du passé ». Mais la loi du 23 février 2005 prétend imposer aux enseignants de montrer « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » et oublie de mentionner les victimes algériennes dans le camp de ceux qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. La société française a encore bien du mal à regarder en face et dans son entier cette page coloniale de son histoire.
L’épisode de la mission confiée en mai 1945 au général
de gendarmerie Paul Tubert, membre du Comité central
de la Ligue des droits de l’Homme, aussitôt interrompue
sur ordre du gouvernement présidé par le général
de Gaulle est emblématique de cette occultation.
Il ne s’agit ni de repentance, ni de dénigrement de notre
passé, mais d’appeler à distinguer les principes universels des droits de l’Homme, que la France peut être
fière d’avoir contribué à proclamer, d’avec certaines
politiques qui ont été menées par elle en contradiction
avec ceux-ci.
Il s’agit aussi de s’interroger sur le rôle négatif dans
la société française d’aujourd’hui de la persistance de
ce passé refoulé et des représentations qu’il a modelées.
Tout en écartant toutes les explications simplistes
et abusives qui feraient de celle-ci une réplique de
la société coloniale d’hier, l’objectif de ce colloque est
de se demander en quoi la permanence des mentalités
et des comportements sociaux forgés tout au long
de l’épisode colonial sont une cause des phénomènes
discriminatoires et de certaines inégalités de fait de la
société française actuelle.
Colloque de la Ligue française des droits de l’Homme sur le 8 mai 1945 : «Le passé colonial refoulé»
par Ghada Hamrouche, La Tribune, le 9 Mai 2005
60 ans après les massacres du 8 mai 1945, la France ose à peine décrire «l’injustice des événements» survenus le lendemain du triomphe des forces alliées sur l’armée nazie.
60 ans après la répression féroce de l’occupant français, ce n’est que par la voix d’Henri Alleg, partisan de l’indépendance de l’Algérie, que l’on ose demander la condamnation du système colonial. A l’occasion du colloque intitulé «le trou de mémoire colonial et la société française d’aujourd’hui» organisé samedi par la Ligue française des droits de l’Homme (LDH) à Paris commémorant les massacres du 8 mai 1945, le journaliste-écrivain note un début de reconnaissance officielle des massacres du 8 mai 1945 par l’armée coloniale française. Le qualifiant d’«important», il n’hésite pas à souligner l’insuffisance d’une telle démarche. «Il faut bien comprendre que cette reconnaissance ne suffirait pas si l’on ne condamnait pas en fait le système colonial dans son ensemble», souligne-t-il avant d’affirmer que «c’est le système de la colonisation, qui a exploité et massacré de nombreux peuples, qu’il faut aujourd’hui condamner». Hocine Aït Ahmed, leader du FFS et figure emblématique du mouvement nationaliste algérien, a estimé de son côté que l’occultation de tous ces événements dépasse tout entendement. «Comment peut-on rester aussi aveugle encore aujourd’hui ?» s’est interrogé M. Aït Ahmed. «Ce blocage de l’histoire, c’est aussi une fiction», a-t-il dit.
Il a souligné que «Mai 1945 a créé pour les Algériens les conditions et la raison de la lutte armée». «Pour bien comprendre le pourquoi des événements de Sétif, il faut d’abord comprendre la vraie nature de l’Etat-colon qui a fondé toute sa politique répressive, « ségrégationniste », sur la fiction de l’Algérie française.» Pour étayer ses dires, le leader du FFS a cité, entre autres exemples, le cas de Jules Ferry qui «voulait ouvrir des écoles en Algérie colonisée». Une proposition qui lui a valu la colère des colons qui l’avaient «accusé de vouloir relever le niveau d’instruction des indigènes». «L’Etat-colon est un Etat clandestin» qui, pour préserver ses privilèges en Algérie est allé jusqu’à s’insurger contre le pouvoir métropolitain, a-t-il rappelé. Les organisateurs du colloque s’interrogent «sur le rôle négatif dans la société française d’aujourd’hui de la persistance de ce passé refoulé et des représentations qu’il a modelées».
Ce colloque a également regroupé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) nombre d’historiens, dont Mohamed Harbi, Annie Rey-Godzeiguer et Jean-Pierre Peyrouloux, auteurs d’ouvrages sur les massacres du 8 mai 1945 et des acteurs de la lutte de libération nationale. L’objectif de ce colloque a été de «se demander en quoi la permanence des mentalités et des comportements sociaux forgés tout au long de l’épisode colonial sont la cause de phénomènes discriminatoires et de certaines inégalités de fait de la société française actuelle», ont souligné les représentants de LDH, dont l’historien Gilles Manceron. Mohamed Harbi a, pour sa part, retracé un panorama de la situation du mouvement national, notamment du PPA, avant les événements tragiques de Sétif qu’il «faut inscrire dans un contexte international» notamment marqué par le débarquement américain en Algérie en 1942, a-t-il dit. Il a rappelé que les événements de Sétif avaient été précédés par ceux d’Oran, de Blida ou d’Alger durant lesquels les Algériens ont défilé pour fêter le 1er Mai, mais surtout pour «attirer l’attention des Américains» autour de la question algérienne. Certains historiens notent que l’appel à la libération de Messali Hadj (PPA) avait motivé ces manifestations.
Mohamed Harbi a estimé que la libération de Messali Hadj a, certes, été au programme des manifestants mais «son importance est dans la participation massive des gens». L’historienne Annie Rey-Godzeiguer, alors étudiante à Alger au moment des événements en 1945, a témoigné de «la peur des colons français face à l’unité nationaliste des Algériens», notamment à travers le réseau des Amis du manifeste et des libertés (AML). La participation des milices à ces massacres a été soulevée notamment par l’historien Jean-Pierre Peyrouloux qui a axé ses recherches sur les mêmes événements à Guelma. Les milices et surtout «les petits colons de la périphérie de Guelma» ont tué des milliers de gens «non pas pour des raisons politiques, mais surtout pour régler des contentieux fonciers qu’ils avaient avec la population musulmane locale», a-t-il rapporté. «45 tonnes de bombes ont été larguées à Sétif et Guelma par l’aviation française», a-t-il évalué.
Il a précisé que «la répression a duré jusqu’au 25 juin». «Ces événements rappellent ceux du 14 juillet 1953 à Paris lorsque certains des manifestants algériens, qui défilaient pacifiquement, ont été tués», a ajouté Annie Rey-Godzeiguer. Pour le devoir de mémoire à venir, elle évoque «un meilleur accès aux archives coloniales» à l’exception de celles du 2ème Bureau qu’elle n’a pu retrouver. L’historienne Sylvie Thénault est intervenue pour relever que «l’accès aux archives n’est pas aussi facile qu’on le dit».Cela étant précisé, les séminaristes ont établi le lien entre les «difficultés ou discriminations qui frappent les populations originaires des anciennes colonies» et «le passé et les réflexions sur la citoyenneté aujourd’hui».L’approche française des massacres du 8 mai reste très timide. Au moment où l’on s’efforce d’imprégner les Français de demain des «horreurs de la Shoah», on continue à occulter ostensiblement les crimes de guerre commis du côté sud de la Méditerranée sous la houlette de «la liberté, l’égalité et la fraternité».