Dans ces temps troubles, où, selon la célèbre citation d’Antonio Gramsci, « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », rappeler le parcours de Saïd Bouziri a un écho certain.
Disparu le 23 juin 2009 à Paris à l’âge de 62 ans, Saïd Bouziri était une figure marquante des luttes de l’immigration depuis les années 1970, un militant de la dignité, de l’égalité, des droits civiques et politiques pour la pleine citoyenneté, pour les droits et l’insertion des étrangers dans la vie politique et associative.
Il est né le 4 juin 1947 à Tunis ; sa famille a été très marquée par l’assassinat de son oncle Salah Ben Youssef le 12 août 1961 ; celui-ci, homme politique tunisien après avoir été le premier lieutenant et ami de Habib Bourguiba était devenu son ennemi irréductible et fut contraint à l’exil à l’indépendance du pays en 1956.
L’itinéraire d’étudiant tunisien en France de Saïd Bouziri est marqué par la guerre des Six-Jours puis par Mai 68. Etudiant-travailleur, il participe à la fondation des Comités Palestine puis du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) et du Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés. Critique à l’égard des partis de gauche français, hostile aux organisations mises en place par les régimes du Maghreb pour contrôler les émigrés en France, le MTA, créé en 1970 à Marseille fut le premier mouvement organisé des immigrés.
En 1972, visé ainsi que sa femme Faouzia par un arrêté d’expulsion pour atteinte à l’ordre public, Saïd Bouziri observe une grève de la faim qui aura un grand retentissement. Droit d’association, droit au logement, à l’éducation, défense des immigrés menacés, dénonciation des attentats racistes qui se multiplient : il se bat sur tous les fronts. Dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris, il crée le centre culturel de la rue Stephenson et, en 1981, Radio Soleil Goutte-d’Or.
Saïd Bouziri participe à tous les mouvements de sans-papiers. En septembre 1973, à l’appel du MTA, il contribue à l’organisation de la grève générale des travailleurs immigrés en réaction aux crimes racistes du midi de la France. Il participe de manière active au comité de soutien au mouvement de grèves des loyers des foyers Sonacotra. En août 1996, il est l’un des fondateurs du Troisième collectif des sans-papiers qui a représenté plus d’un millier de personnes de 27 nationalités différentes, mais majoritairement originaires de Chine et de Turquie.
Entre-temps, il aura été au cœur d’un passage de témoin historique entre les « travailleurs immigrés » des années 1960-1970 et la deuxième génération qui animera le « mouvement beur » des années 1980.
Après avoir été l’un des fondateurs du journal Sans Frontière (1979-1986), il est aussi l’un des pionniers des radios libres : en juin 1981, il créée avec ses amis Radio soleil Goutte d’Or. Le journal Sans frontière rebaptisé Baraka en sera l’organe, popularisant les revendications des immigrés auprès d’un public plus large, lançant la Marche pour l’égalité (dite improprement « Marche des beurs ») de 1983, puis un mouvement pour l’inscription sur les listes électorales.
Conscient de s’inscrire dans une histoire longue, Saïd Bouziri créera en 1987 avec son ami Driss El-Yazami l’association Génériques destinée à collecter les archives de l’immigration en France ; cette association fut associée à la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration située porte Dorée à Paris.
Saïd Bouziri, comptable de profession aux Assedic, et longtemps membre du conseil d’administration du Fonds d’action sociale des travailleurs immigrés (FAS), n’a jamais demandé à être naturalisé français. Ceci ne l’empêchait pas de se considérer comme un citoyen à part entière en France comme en Tunisie. Engagé durant une vingtaine d’années à la Ligue des droits de l’homme (LDH), dont il était le trésorier national en 2009, il portait la campagne où cette organisation était active depuis les années 1980 en faveur du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales.