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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Rwanda : Valls et le déni

«Je n’accepte pas les accusations injustes et indignes qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur, c’est toujours de séparer les belligérants !», c'est ainsi que Manuel Valls s'est exprimé au sujet du Rwanda, lors de la déclaration de politique générale du Gouvernement, à la tribune de l'Assemblée nationale, mardi 8 avril 2014 1.

La déclaration de Manuel Valls est contredite par

  • Guillaume Ancel, ancien militaire français de l’opération «Turquoise», dont nous reprenons ci-dessous un entretien :

« La France a une part de responsabilité dans le drame rwandais »

Propos recueillis par Philippe Bernard

Le Monde du 8 avril 2014

Guillaume Ancel avait 28 ans le 22 juin 1994 lorsque, capitaine au 68e régiment d’artillerie d’Afrique, il reçut l’ordre, en plein génocide, de partir pour le Rwanda où la France, sous mandat de l’ONU, venait de lancer l’opération « Turquoise ». Il vient de publier Vents sombres sur le lac Kivu (TheBookEdition, sur Internet), un roman tiré de son expérience rwandaise.

  • Guillaume Ancel. Comment réagissez-vous aux accusations portées par le président Kagamé contre la France ?

Je sais qu’en aucun cas nous n’avons participé au génocide. Mais je sais aussi, parce que je l’ai vécu, que nous avons une part de responsabilité dans le drame rwandais pour avoir commis des erreurs lourdes de conséquences. « Turquoise » n’était pas au départ, comme on le prétend, une opération humanitaire. J’étais spécialiste des frappes aériennes : on n’emmène pas ce type de professionnel pour faire de l’humanitaire ! Ma mission était agressive : elle consistait à dégager la voie pour un raid terrestre sur Kigali. Il s’agissait de combattre le Front patriotique rwandais (FPR) et de reprendre la capitale pour y réinstaller au pouvoir le gouvernement soutenu par Paris.

  • Mais le génocide avait commencé depuis plus de deux mois, vous saviez que ce gouvernement le perpétrait !

Non, nous avions beaucoup d’infos sur des massacres de grande ampleur, mais pas d’analyse claire sur qui les organisait. Nous étions en pleine confusion : nous ne voyions pas l’implication du gouvernement intérimaire que nous soutenions. Comme capitaine, j’ignorais que des extrémistes avaient pris le pouvoir et menaient un génocide. Nous les avons confortés en les laissant croire que ce qu’ils faisaient était approuvé par la France.

  • Vous écrivez pourtant que votre raid contre le FPR a été annulé.

Oui, brutalement, alors que les hélicos décollaient de Bukavu , on nous a annoncé qu’un accord avait été conclu avec le FPR et que nous allions protéger une zone humanitaire.

  • Quelles sont les conséquences de ce changement brutal du début juillet ?

On n’a pas anticipé la réaction du gouvernement intérimaire qui, soudain privé du soutien de la France, n’a plus eu aucune chance de repousser le FPR. Aux abois, il choisit la politique du pire et déclenche un exode massif de la population. Des centaines de milliers de gens sont jetés sur les routes sans soutien. L’épidémie de choléra qui s’ensuivra fera des dizaines de milliers de morts.

  • Mais cette fois, votre mission est claire : protéger les victimes du génocide.

Oui, ma compagnie a été chargée de protéger le camp de Nyarushishi où s’étaient réfugiés des milliers de victimes que des miliciens cherchaient à éliminer. J’ai eu pour mission d’effectuer des raids pour récupérer des rescapés, tutsi et hutu modérés. On a sorti environ 150 personnes, parfois dans des conditions difficiles. Au regard des 800 000 morts du génocide, ce n’est rien. Mais dans mon souvenir, chaque vie sauvée était une victoire.

  • Où se situe, dès lors, la responsabilité de la France que vous mettez en avant ?

Il a été décidé de procéder à un désarmement total de la zone humanitaire. Nous avons récupéré des monceaux d’armes et savez-vous ce que nous en avons fait ? Nous avons été les rapporter à ce qui restait des Forces armées rwandaises dans les camps de réfugiés du Zaïre. Pendant qu’on chargeait les camions, mon commandant m’a demandé d’occuper les journalistes pour qu’ils ne s’aperçoivent de rien. Je n’étais pas d’accord. On a rendu des dizaines de milliers d’armes à ceux qu’on venait de désarmer, aux soldats d’un gouvernement déchu !

Nos chefs arguaient que c’était pour les empêcher de se retourner contre nous. La France leur a même versé leur solde ! On a transformé des camps de réfugiés situés juste au-delà de la frontière en bases militaires d’opposants ! Le président Kagamé ne pouvait l’accepter, et cela a provoqué une vague de violences dans tout l’est du Zaïre pendant des années.

  • Vingt ans après, quelles leçons ont été tirées ?

L’échec de « Turquoise » a fait évoluer les interventions militaires françaises en Afrique. Depuis ce fiasco, nos interventions, au Mali et en Centrafrique, sont « propres » : les ordres sont clairs et rapides, les buts dénués d’ambiguïtés. Ce 20e anniversaire du génocide rwandais doit servir à analyser l’histoire pour qu’elle ne se reproduise pas. Cela suppose d’en finir avec la version officielle tronquée de ce qu’a été l’opération « Turquoise ».

Lors de sa déclaration à l’Assemblée nationale, Manuel Valls a adopté la même posture de déni que son prédécesseur, François Fillon qui, à l’occasion d’une conférence de presse tenue le 21 mai 2009 à Yaoundé, avait qualifié de « pures inventions » l’évocation d’une guerre menée par la France au Cameroun de 1957 à 1963.

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