Après soixante-dix années de silence, voici révélée une page enfouie de l’histoire coloniale française en Indochine : l’utilisation, dans des conditions parfois proches de l’esclavage, d’une main-d’oeuvre « indigène » en métropole. Pierre Daum est parti à la recherche d’acteurs encore vivants de cet épisode si peu «positif» de notre passé colonial, afin de recueillir leurs témoignages. Il nous livre le résultat de quatre années de recherche dans l’ouvrage Immigrés de force. Les travailleurs indochinois en France (1939 – 1952) publié aux éditions Solin/Actes Sud, avec une préface de Gilles Manceron.
En 2006, le film Indigènes, de Rachid Bouchareb, avait déjà révélé un aspect peu connu de l’usage des peuples colonisés comme tirailleurs lors de la Seconde Guerre mondiale. Or, à cette époque, la France n’avait pas seulement besoin de soldats, mais aussi d’ouvriers, afin de remplacer dans les usines d’armements les travailleurs français mobilisés.
Pour les travaux les plus pénibles, ceux du maniement des poudres, la France fit venir en 1939 vingt mille Indochinois de sa lointaine colonie d’Extrême-Orient. Recrutés pour la plupart de force (à la différence des tirailleurs), débarqués à la prison des Baumettes à Marseille, ces hommes furent répartis à travers la France dans les entreprises relevant de la Défense nationale. Bloqués en métropole pendant toute la durée de l’occupation allemande, logés dans des camps à la discipline très sévère, leur force de travail fut louée pendant plusieurs années par l’État français à des sociétés publiques ou privées – on leur doit le riz de Camargue –, sans qu’aucun salaire réel ne leur soit versé.
Ce scandale se prolongea bien après la Libération. Renvoyés vers le Vietnam au compte-goutte à partir de 1946, ce n’est qu’en 1952 que les derniers de ces hommes purent enfin revoir leur patrie. Un millier fit le choix de rester en France.