Expulsions de Roms, un «mode d’emploi» explicite
Annoncées au cœur de l’été, les mesures pour «lutter contre les campements illicites» ont été préparées bien avant. Dans trois circulaires dont Le canard social s’est procuré des copies, le gouvernement détaille de manière très précise l’ensemble des consignes données aux préfets pour démanteler ces camps, «en priorité ceux de Roms».
La première circulaire a été diffusée bien avant le discours de Grenoble. Le 24 juin 2010, plus d’un mois avant l’annonce de la politique sécuritaire du gouvernement, les ministères de l’Intérieur et de l’Immigration ordonnaient aux préfets de procéder aux évacuations de campements illicites. En huit pages au contenu inhabituel, les ministres Brice Hortefeux et Eric Besson détaillaient l’ensemble de l’arsenal juridique dont disposent les préfets pour procéder aux évacuations. Ils leur demandaient ainsi «d’exploiter toutes les possibilités offertes par le code pénal». Et dans un souci d’accélérer la procédure, les enjoignaient «à informer le propriétaire (du terrain occupé, ndlr) et à l’inviter à saisir le juge compétent pour obtenir une décision d’expulsion.» Le texte poursuivait : «Une fois la décision de justice rendue, vous devez procéder le plus rapidement possible à l’opération d’évacuation.»
Porter atteinte à une population
L’ensemble des trois circulaires gouvernementales dont Le canard Social a obtenu copie, est un mode d’emploi pour parvenir à expulser les Roms de la manière la plus efficace possible. «Ce n’est pas la question de la gêne supposée des Roms qui est ici discutée mais bien la volonté farouche d’utiliser tous les moyens possibles à des fins utilitaires d’expulser cette communauté», estime Loïc Bourgeois, avocat spécialiste de la défense des Roms. Alors que la première circulaire faisait état d’une «lutte contre les campements illicites» de manière globale, le second document en date du 5 août, cible nommément et «en priorité» la population rom. « Jusque là, ce type de circulaires interprétatives visaient une catégorie sociale, les pauvres par exemple avec le délit de mendicité. Celle-ci stigmatise une ethnie, décrypte Loïc Bourgeois. Rarement, il y a eu de telles circulaires qui précisaient de manière implacable toutes les ficelles juridiques pour porter atteinte à une population. »
Une voie pénale exceptionnelle
Les ministres rappellent ainsi dans la circulaire du 24 juin que «l’article 322-4-1 du code pénal n’est pas suffisamment utilisé». Selon les termes du texte, cet article qui punit de six mois d’emprisonnement et de 3750€ d’amende toute installation illégale sur un terrain, «présente pourtant plusieurs avantages : un intérêt dissuasif et un intérêt administratif». En vue de la saisine de l’autorité judiciaire, cette voie pénale permet de procéder aux contrôles d’identité des occupants. «On instrumentalise ainsi la voie pénale pour favoriser le contrôle social des Roms, commente l’avocat Loïc Bourgeois. Celle-ci devient alors une fenêtre pour enclencher les mesures d’expulsion.» Car si le droit condamne pénalement l’occupation illicite d’un terrain, l’usage, dans ce type de décision de justice, est d’ordonner l’expulsion pour atteinte au droit de propriété. Sans pour autant condamner l’occupant à des amendes ou à des peines d’emprisonnement.
Ressortissants européens
En pleine préparation du projet de loi Besson sur l’immigration qui devrait modifier en profondeur le droit des étrangers, le gouvernement n’omet pas de rappeler que les Roms, originaires pour la plupart de Roumanie, sont des ressortissants de l’Union européenne. En vertu des mesures transitoires applicables jusqu’en 2014 aux citoyens roumains et bulgares, ils peuvent donc circuler librement pendant trois mois dans tout pays de l’Union. «Toutefois, signale la circulaire du 24 juin, un arrêté de reconduite à la frontière peut être envisagé en cas de menace pour l’ordre public.» Le texte rappelle aux préfets la jurisprudence sur la notion de trouble à l’ordre public : vol à l’étalage, prostitution ou encore infraction à la législation sur le travail.
Les organismes sociaux pris à témoin
Les ministres proposent par ailleurs d’utiliser tous les moyens possibles pour apprécier la durée du séjour des occupants : «L’arrêté relatif aux modalités de l’enregistrement en mairie n’ayant pu à ce jour être publié, vous pourrez vous fonder sur les déclarations faites par l’étranger, soit à l’occasion du contrôle en cours, soit sur des pièces trouvées en sa possession, tels que tickets de lignes internationales d’autocars, etc.» Autre consigne : apporter la preuve de l’insuffisance des ressources des occupants pour, à ce titre, obliger ces ressortissants roumains à quitter le territoire. La circulaire du 24 juin demande ainsi de «se rapprocher des organismes sociaux et notamment de la caisse d’allocations familiales», appelée à jouer le rôle du délateur pour le compte de l’Etat.
Un écho médiatique
Dans la seconde circulaire en date du 5 août, le ministère de l’Intérieur fait part de sa volonté d’accélérer les procédures. Il chiffre ainsi les nouveaux objectifs de chaque préfet de zone «à la réalisation minimale d’une opération importante par semaine (évacuation, démantèlement ou reconduite), concernant prioritairement les Roms. » Une preuve selon l’avocat Loïc Bourgeois que «ce n’est pas le trouble qui justifie la condamnation mais bien la volonté de réaliser des objectifs chiffrés. Ces circulaires sont rédigées sur le ton de la suspicion. Avec l’équation Rom = occupation illicite = délinquant.»
Preuve d’une volonté d’afficher publiquement les résultats de ces opérations, le ministère de l’Intérieur ajoute dans une dernière circulaire datée du 9 août : «Je vous remercie de veiller à m’informer préalablement de toute opération d’évacuation revêtant un caractère d’envergure ou susceptible de donner lieu à un écho médiatique.»
Quand M. Hortefeux circularise le racisme
Que n’avons-nous entendu quant nous avons dit et écrit que les pouvoirs publics, et le chef de l’Etat le premier, menaient une politique ouvertement xénophobe. Nous souvenons-nous de ce cœur des vierges, la main sur le cœur, nous affirmant que jamais le Président de la République n’avait voulu stigmatiser une communauté lors de la réunion qu’il avait convoquée en son palais le 28 juillet 2010. Propos excessifs et scandaleux, « gauche milliardaire », etc…
Pourtant, les documents sont là, écrits sous la responsabilité du Ministre de l’Intérieur, faisant explicitement référence aux « objectif précis (fixés), le 28 juillet dernier » par le Président de la République.
La circulaire du 5 août 2010, signée de M. Hortefeux2, enjoint aux Préfets de procéder à l’évacuation d’au moins trois cent campements illicites sous trois mois, « en priorité ceux des Roms », formulation réitérée à plusieurs reprises ensuite.
Et de poursuivre « En particulier les opérations menées depuis le 28 juillet contre les campements illicites de Roms n’ont donné lieu qu’à un nombre trop limité de reconduites à la frontière »
Est-ce par connivence ou par ignorance, le gouvernement lui ayant caché cette circulaire, que la commission européenne s’est déclarée satisfaite des explications données par les autorités françaises ?
Et voulant, enfin, se prémunir de l’inévitable, la circulaire s’attarde ensuite sur les moyens pour empêcher « l’installation de nouveaux campements illicites de Roms ».
L’article 225-1 du Code Pénal définit la discrimination comme « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine…..de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie….
Si les mots ont encore un sens, mais en ont-ils un pour M. Hortefeux, comme qualifier autrement sa circulaire du 5 août 2010 que d’ouvertement discriminatoire ?
Si les faits ne subissent pas les distorsions de ces faiseurs de vérité manière 1984, comment qualifier autrement la réunion du 28 juillet 2010 convoquée part le président de la République que comme la stigmatisation d’une communauté à raison de son origine et de sa situation sociale ?
Il y a quelque chose qui va bien au-delà du scandale dans ce verbe administratif. Il y a l’angoisse de constater que d’auvergnats en maghrébins, de musulmans français forcément « accueillis » dans le pays où ils sont nés, en Roms pique-assiettes de notre système social et Gens du Voyage forcément délinquants, se dessine le portrait d’une politique qui n’hésite pas à s’en prendre à des communautés entières sur la base de leur origine ou de leur religion.
Sans éthique, sans principes, l’actuel pouvoir politique se dispense de plus en plus de faux semblants au point de mettre par écrit ce qui hante ses pensées.