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« Revenir à Montluc »,
un film qui révèle la difficulté à intégrer
l’histoire coloniale française
projeté à Saint Etienne et à Lyon

Le Fort de Montluc, à Lyon, fut, de 1940 à 1944, une prison du régime de Vichy puis de l'occupant nazi. Il fut aussi durant la guerre d'indépendance algérienne un lieu de détention d'Algériens et de leurs soutiens français, ainsi que, de 1959 à 1961, celui de onze exécutions capitales de militants du MNA et du FLN. Dans Revenir à Montluc, un film de Béatrice Dubell, Claudie Duhamel, française engagée dans le soutien au FLN, revient sur sa détention dans ce lieu où elle fut notamment témoin de la dernière exécution capitale, celle de Salah Dehil en janvier 1961. Mais la réalisatrice Béatrice Dubell n'a pu filmer l'intérieur de Montluc, en raison d'une opposition à voir intégrer ce « passé algérien » à l'histoire de la prison, comme le rappellent ci-dessous la présentation du film et un article du Monde. Ce film sera projeté à Saint Etienne et à Lyon respectivement le 25 avril et le 3 mai 2023.

Revenir à Montluc, un film de Béatrice Dubell



A l’initiative de Grand Ensemble/Atelier de cinéma populaire, Revenir à Montluc sera projeté à la cinémathèque de St Etienne le 25 avril 2023 à 14 H 30, en présence de la réalisatrice, puis le 3 mai, de 18h à 20h, au Musée d’histoire de Lyon, en présence de la réalisatrice et des historien-nes qui ont accompagné la réalisation du film.



Présentation du film



par Grand Ensemble/Atelier de cinéma populaire
Source

Agée d’à peine vingt ans, Claudie Duhamel s’engage dans un réseau de soutien au FLN, parti nationaliste algérien en guerre pour l’indépendance de l’Algérie. Elle est arrêtée en novembre 1960 et incarcérée dans la prison lyonnaise de Montluc. Convoquant la difficile mémoire de son incarcération, Claudie Duhamel témoigne notamment de la dernière exécution capitale d’un militant du FLN qui a eu lieu à Montluc, en janvier 1961, sous la fenêtre de sa cellule. Une expérience qui la marque à jamais. Au fil de son récit, se dessine le portrait d’une femme qui, par-delà les années, reste une militante fidèle à ses idéaux humanistes.

L’histoire de Claudie Duhamel mérite d’être entendue. Elle vient rappeler que la guerre coloniale dans laquelle la France s’est obstinée entre 1954 et 1962 n’était pas l’unique voie possible. Les questions morales et politiques que pose son engagement résonnent aujourd’hui encore. Des femmes et des hommes ont su prendre position dans cette guerre, au nom d’un idéal de justice que contredisait la colonisation. Leurs récits sont nécessaires. Ce sont les pierres angulaires d’une reconstruction mémorielle plus inclusive.

Montluc : un trou noir des mémoires lyonnaises
Montluc : un trou noir des mémoires lyonnaises

Au soir de sa vie, Claudie Duhamel décide de revenir sur son expérience carcérale en retournant à Montluc, et en acceptant que Béatrice Dubell filme ce voyage de retour.

La question des exécutions capitales

Le lieu abrite aujourd’hui un Mémorial dédié aux victimes du nazisme, ouvert au public à partir de 2010 en tant que haut lieu de la mémoire nationale. Si le projet de film a été reçu favorablement par la direction du Mémorial de Montluc en septembre 2021, l’autorisation de tournage transmise à l’Office national des anciens combattants (ONAC) n’a jamais été accordée. Le blocage est lié à la rénovation du Mémorial qui débute fin 2021 et qui prévoit d’intégrer une présentation de périodes historiques – comme la guerre d’Algérie – autres que l’oppression nazie.

Ce projet a soulevé de vives oppositions de la part d’associations qui se présentent comme fondatrices du Mémorial et militantes de la mémoire. Elles invoquent le souvenir des enfants d’Izieu, l’esprit universel des fondateurs, parlent de trahison et mobilisent des soutiens politiques. Selon ces associations, il s’agit de délivrer une vision historique claire. Evoquer les mémoires des autres périodes de la prison pourrait créer un brouillage du sens du Mémorial qui doit rester centré sur la Seconde Guerre mondiale.

Le projet de film a surgi à un moment où la polémique était la plus vive, ce qui explique que le mémorial n’ait pas ouvert ses portes au film. Cette fermeture renforce un clivage mémoriel qui pourrait, devrait, aujourd’hui être dépassé. Claudie Duhamel est l’une des dernières personnes à pouvoir témoigner de cette période algérienne de la vie de la prison, et de par sa position particulière, elle peut contribuer à ré-articuler les mémoires. De plus, la Résistance est pour elle une référence importante, comme elle l’est pour beaucoup de personnes qui s’engagent dans les réseaux de soutien aux nationalistes algériens, dont les plus âgées sont par ailleurs très souvent d’anciens résistant.es.

Le récit de Claudie Duhamel met en lumière une continuité entre des idéaux et les formes d’engagement qui se développent pendant les deux conflits. Deux moments où des citoyenn.es s’organisent clandestinement et passent à l’action, contre le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, puis, une dizaine d’années plus tard, contre un ordre colonial vu comme menaçant les principes fondateurs d’un État de droit.

Une mémoire enclavée

« On ne voulait pas que s’installe une sorte de plainte. Une plainte, ça t’entraîne, ça a un effet d’entraînement, ça s’enchaîne, et ça ne débouche pas forcément sur une consolation. »

Endiguer l’émotion par la rationalité politique renvoie à la dimension féminine de l’engagement militant. Ce dernier ne peut avoir lieu qu’au prix d’un verrouillage émotionnel, présent chez Claudie. Une certaine part intime de l’expérience doit rester hors champ.

photo_porte_montluc.jpgDe plus, les déceptions quant aux suites politiques de l’indépendance, ainsi que la non-reconnaissance par la société française des engagements anticoloniaux, ont certainement contribué à enclaver les souvenirs de cette période de sa vie.

Malgré cela, Claudie n’avait rien renié de son engagement et savait en livrer un récit clair et construit, qui tenait toutefois l’émotion à distance. Revenir sur le lieu de sa détention aurait certainement été une épreuve qui aurait ravivé des souvenirs traumatiques. Soixante ans plus tard, elle avait accepté les risques de ce voyage de retour, qui aurait permis de renouveler son récit.

L’impossibilité de filmer dans la prison de Montluc a posé un nouveau défi. Sans le choc du retour sur place, comment désenclaver la mémoire de cette expérience ?

Claudie Duhamel et Béatrice Dubell n’ont pas voulu abandonner le projet. Le tournage a eu lieu chez Claudie, avec le support de documents et d’archives comme autant de fragments de réel qui viennent mettre en tension le récit cristallisé depuis des années. Ce sont à la fois des archives privées de Claudie Duhamel, dont des photos prises clandestinement en détention, et des archives apportées par la réalisatrice, coupures de presse, notes des renseignements généraux.

Le film suit le parcours carcéral de Claudie Duhamel de manière chronologique. Elle est d’abord à l’isolement, dans une cellule sans vue, puis, après son procès, elle a accès à une salle commune où elle fait la connaissance des détenues algériennes. En novembre 1961, elle se joint à une grève de la faim lancée par le FLN, pour l’obtention d’un régime politique pour les militants incarcérés en France.

Bénéficiant ensuite de nouvelles conditions de détention, elle retrouve l’autre agente de liaison condamnée et détenue en même temps qu’elle, Nicole Cadieu. Elles finissent leur parcours ensemble dans une pièce plus vaste. Toutes deux reprennent leurs études, passent leurs examens. Elles bénéficient d’une campagne de soutien orchestrée par le Secours populaire et qui rassemble de nombreux syndicats et associations. Elles sont libérées en décembre 1963, soit un an et demi après les accords d’Évian.
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Le regard de Sylvie Thénault, historienne,
spécialiste de la guerre d’Algérie



À la prison de Montluc, devenue Mémorial, la Seconde Guerre mondiale domine jusqu’à effacer celle qui l’a immédiatement suivie : la Guerre pour l’indépendance de l’Algérie ; au mépris de l’histoire, tant les deux conflits sont proches dans le temps. Claudie Duhamel, incarcérée trois ans pour son soutien au FLN, le rappelle. Souvent la Seconde Guerre mondiale intervient dans son récit.

Faute de pouvoir filmer Claudie Duhamel dans les lieux (elle n’y a pas été autorisée), Béatrice Dubell a dû imaginer un autre dispositif pour faire surgir ce qui l’intéresse : l’expérience sensible des témoins. Elle filme Claudie Duhamel chez elle, dans un intérieur soigné, un jardin qui l’est tout autant. Les meubles, les livres, l’ambiance qui se dégage de l’ensemble disent beaucoup de cette femme, vive, lucide, intelligente, de belle allure.

Claudie Duhamel revient sur son incarcération à l’aide de documents (photographies, lettres, presse de l’époque) mais aussi d’objets comme l’appareil photo avec lequel ont été pris des clichés volés qui donne à voir – un peu – de ce qu’était la détention. Béatrice Dubell cherche et parvient à restituer le vécu de Claudie Duhamel, qui raconte le choc des exécutions de condamnés à mort, l’isolement, la façon dont il était brisé, à l’occasion des rencontres avec les avocats ou encore du procès ; elle évoque ses peurs, ses maux – en particulier la grève de la faim qui marque son corps – mais aussi ses joies et le quotidien, l’étourdissement de la libération après laquelle il faut se réhabituer à la vie du dehors. Cette approche fait tout le sel du film. Non pas que l’histoire soit absente – le récit est chronologique et les événements marquants rappelés – mais la sensibilité est bien l’apport du film à une histoire par ailleurs documentée.



Polémique autour des mémoires de la prison de Montluc



par Richard Schittly, publié par Le Monde le 7 février 2022.
Source

Un projet propose d’introduire la période de la guerre d’Algérie dans l’exposition permanente du mémorial national essentiellement consacré aux crimes nazis.

Comment préserver la mémoire irréfragable de la Shoah, dans un lieu chargé des drames du XXe siècle ? A l’heure où Emmanuel Macron s’apprête à partir en campagne présidentielle, une vive polémique embarrasse le gouvernement, à propos de la rénovation du Mémorial national de la prison de Montluc, à Lyon.

Plusieurs personnalités et associations dénoncent « une confusion des mémoires », alors que l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre envisage des changements dans l’exposition permanente du site. La nouvelle muséographie prévoit notamment d’ajouter la période de la guerre d’Algérie dans la frise chronologique composée d’une douzaine de panneaux, dans l’entrée du mémorial.

Depuis son ouverture en 2010, ce haut lieu de la mémoire lyonnaise traite quasi exclusivement de l’oppression nazie. Plus de 9 000 hommes, femmes et enfants, juifs et résistants, ont été détenus dans les bâtiments de Montluc, réquisitionnés par la Gestapo entre février 1943 et août 1944. Parmi eux, les quarante-quatre enfants juifs d’Izieu, raflés dans l’Ain le 6 avril 1944, ont passé une nuit à Montluc, avant leur déportation à Drancy, puis leur extermination à Auschwitz. Parmi eux encore, le préfet Jean Moulin, l’historien Marc Bloch, ou le journaliste René Leynaud. Le ministre de la justice Robert Badinter avait symboliquement imposé à Klaus Barbie sa première nuit de détention dans une cellule de Montluc, lieu de son crime, avant que l’ancien chef de la Gestapo ne soit condamné pour crime contre l’humanité, en 1987.

« Ne mélangeons pas tout »

« Sans le procès Barbie à Lyon, il n’y aurait pas le Mémorial de Montluc. Ce lieu doit délivrer une vision historique et civique claire », confie au Monde Serge Klarsfeld. Partie civile pour les enfants d’Izieu au procès Barbie, l’avocat s’inquiète de « l’approche globale de l’histoire de la prison », annoncée en décembre 2021, dans un document interne qu’a pu consulter Le Monde. « Mêler la Résistance, la déportation, la répression nazie avec la répression pénale des crimes de droit commun ou du terrorisme, c’est une façon inquiétante de brouiller le sens du Mémorial de Montluc auprès des jeunes publics, ajoute le président des Fils et filles des déportés juifs de France. Qu’on reconstitue une cellule de Montluc à Alger, cela fait partie de la mémoire algérienne, mais ne mélangeons pas tout. On ne peut pas se débarrasser des enfants d’Izieu comme ça. Ils ont passé une nuit dans cette prison. Ils représentent l’innocence absolue. »

Serge Klarsfeld doit être entendu, mercredi 9 février, par Geneviève Darrieussecq, chargée de la mémoire et des anciens combattants. La ministre prévoit de recevoir le lendemain une délégation emmenée par Michel Noir. « On ne peut pas donner une équivalence à des faits de nature différente. Ce serait entretenir une confusion gravissime, et on risquerait auprès des jeunes publics d’affaiblir la dimension exceptionnelle du crime contre l’humanité. Il faut s’en tenir à l’acte fondateur de ce mémorial », soutient l’ancien maire de Lyon. Dans la délégation figure aussi Jean-Olivier Viout, ancien bras droit du procureur général Pierre Truche au procès Barbie, « choqué » par la proposition d’abandon de la gratuité du site, et surtout par la création d’un espace pédagogique dans les anciens ateliers de la prison, endroit où furent détenus les enfants d’Izieu. « Les lieux de l’oppression doivent être sanctuarisés, dit l’ancien magistrat. Nous ne voulons occulter aucune mémoire. Nous avons proposé d’autres secteurs de la prison pour dégager de nouveaux espaces, et même des financements. »

« Lieu unique en France »

La directrice du Mémorial de Montluc a l’impression d’un terrible malentendu. « La période de la seconde guerre mondiale reste centrale, dit Aurélie Dessert. Il n’est pas question de juxtaposer d’autres mémoires dans la partie cellulaire sacralisée. Il n’est pas question de minimiser la période de répression du nazisme. Bien au contraire. L’éducation nationale est partenaire dans ce projet pour donner un nouveau souffle au mémorial. » Les portraits et biographies des victimes dans les cellules d’origine, ainsi que le marquage au sol de l’ancienne « baraque aux juifs », dans la cour intérieure, « tout sera évidemment préservé », insiste la directrice.

« Créer une classe qui pourrait porter les noms des enfants d’Izieu, dans un lieu rappelant leur martyre, c’est se donner la capacité d’aller plus loin dans la transmission de la mémoire, sans rien trahir », ajoute Antoine Grande, son prédécesseur. « Montluc est un lieu unique en France. Prison militaire, civile, utilisée par des régimes d’exception. Si on ne traite pas l’histoire du lieu, on laisse un vide dans les esprits et ouvre la porte au complotisme ambiant », soutient l’ancien directeur du Mont-Valérien, persuadé qu’il est indispensable d’évoquer l’emprisonnement des étudiants chinois dans les années 1920, comme celui des militants du FLN détenus entre 1959 et 1961, dont onze ont été guillotinés dans la cour de la prison.

Chargée de mémoires multiples, la prison de Montluc a inspiré la chanson de Léo Ferré évoquant l’évasion de l’anarchiste Maurice Joyeux en 1940, comme le film de Robert Bresson sur celle d’André Devigny en 1943. Elle apparaît aussi dans les Rêveuses de parloir, chanson de Barbara issue de son concert donné dans l’aile de la prison pour femmes, en 1987.

« L’historiographie a évolué. La seconde guerre mondiale et la Shoah restent centrales dans le projet. Mais il faut les placer dans une durée, dans une chronologie. L’histoire n’est pas logique et prévisible. Ce bâtiment permet d’en saisir la complexité, et du coup renforce la perception de la spécificité de la Shoah », assure Frédérique Neau-Dufour, présidente du conseil scientifique du Mémorial de Montluc, ancienne conservatrice de La Boisserie, résidence privée du général de Gaulle. « Il faut ajouter l’éducation à la seule commémoration. La comparaison entre séquences historiques apporte quelque chose de supplémentaire », assure-t-elle. Pour Bernard Bolze, fondateur de l’Observatoire international des prisons et auteur d’un livre de référence sur les prisons lyonnaises, « Montluc ne doit pas devenir un lieu de division, c’est terrible. Cet endroit est fait pour rassembler des gens qui pensent différemment ».

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Le Mémorial de la prison de Montluc a oublié la présence des patriotes algériens, publié le 16 août 2018.

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