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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Retour sur un courant important
de l’indépendantisme tunisien

Alors que la Tunisie est confrontée de nouveau au pouvoir personnel d'un président autoritaire, l'historien M'hamed Oualdi revient, dans un ouvrage sur Salah Ben Youssef et les yousseffistes. Au tournant de l'indépendance tunisienne (1955-1956), sur un moment important de la construction de la Tunisie. Salah Ben Youssef, né en 1907 et assassiné en 1961 en Allemagne, fut le « lieutenant » d'Habib Bourguiba puis son rival politique quand il a rejeté les accords sur l’autonomie interne de la Tunisie signés en juin 1955 avec la France, qu'il dénonça comme un « reniement » et « un abandon de la cause algérienne ». Leur affrontement frôla la guerre civile et le bourguibisme l'emporta avec l'appui de la France. M'hamed Oualdi revisite ce moment, il fait l'histoire du yousseffisme, de sa répression et de la mise en place progressive d’un régime autoritaire dans la jeune Tunisie indépendante. Ci-dessous la présentation de l'éditeur, la table des matières ainsi qu'un article du Monde diplomatique évoquant l'assassinat de Ben Youssef.

Salah Ben Youssef et les youssefistes.
Au tournant de l’indépendance tunisienne (1955-1956)



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Professeur des Universités à Sciences Po Paris, agrégé d’histoire, M’hamed Oualdi a enseigné l’histoire du Maghreb moderne et contemporain (XVIe – début XXIe siècle) à l’Institut des langues orientales (INALCO) à Paris, puis à l’université de Princeton aux États-Unis où il a été Associate Professor. Il a notamment publié Esclaves et maîtres, les mamelouks au service des beys de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880 (Paris, Publications de la Sorbonne, 2011) et A Slave Between Empires. A Transimperial History of North Africa (Columbia University Press, 2020).


Présentation de l’éditeur

Si Salah contre Si Habib, youssefisme contre bourguibisme, Orient contre Occident, panarabisme contre tunisienneté, souveraineté contre dépendance. Conflit individuel ou culturel, conflit politique ou social : quel fut l’objet véritable des affrontements entre Tunisiens, en 1955-1956, au tournant de l’indépendance ?

M’hamed Oualdi, l’auteur, inscrivant les hommes et les faits dans une dynamique historique, sollicitant les documents d’époque (journaux et archives), parvient à dépasser l’écueil et donne de Salah Ben Youssef et du youssefisme une approche renouvelée, différenciée : les protagonistes, leurs portraits, leurs discours, leurs situations, leurs actions, leurs itinéraires passés et à venir.

En contrepoint, il pose alors la question essentielle de la mise en place progressive d’un régime autoritaire dans la jeune Tunisie indépendante. Et en ce sens, ce livre est aussi, en filigrane, un essai pour saisir cette première dérive vers l’unanimisme. Participant d’une histoire renouvelée de la Tunisie contemporaine, cet essai est une synthèse exemplaire sur un moment critique de la période postcoloniale, dont les effets et les résonances ne finissent pas de se faire sentir.


Table des matières

Avant-propos
Introduction

Chapitre 1 : L’homme de la « discorde » ?
Salah Ben Youssef, l’homme partagé
Le youssefisme, un discours de ruptures
Octobre 1955, l’exclusion du Néo-Destour

Chapitre 2 : La Tunisie youssefiste
La société youssefiste
Le pays youssefiste
Les youssefistes en conflit

Chapitre 3 : La dissolution du mouvement youssefiste
Les répressions
Le temps des violences
L’ordre

Conclusion
Chronologie
Sources et bibliographie

Un assassinat politique



Par Wassila Temmim, publié par dans Manière de voir en août-septembre 2018.
Source

Salah Ben Youssef, ancien compagnon de route de Habib Bourguiba, en fut ensuite le premier opposant, au point de le payer de sa vie. Figure emblématique des milieux populaires et de la Tunisie du Sud et de l’intérieur, il est souvent présenté comme le père du conservatisme tunisien.

Salah Ben Youssef
Salah Ben Youssef


Au début des années 1950, Habib Bourguiba est en exil. Un homme tient alors les rênes du Néo-Destour, le parti nationaliste tunisien. Salah Ben Youssef, né en 1907, en est le secrétaire général. Avocat, grand organisateur, très populaire dans « l’autre Tunisie », celle de l’intérieur et du Sud (il est né dans l’île de Djerba), il fait déjà figure de dauphin possible du « Combattant suprême ». En juin 1955, le gouvernement du bey et celui d’Edgar Faure, le successeur de Pierre Mendès France, signent les conventions consacrant l’autonomie interne de la Tunisie. En voyage à l’étranger, Ben Youssef accuse Bourguiba, qui a été le maître d’œuvre de ces accords, de « reniement » et d’ « abandon de la cause algérienne ». Pour lui, la seule voie acceptable consiste à revendiquer l’indépendance totale pour tous les pays du Maghreb. La rupture entre les deux dirigeants est consommée pendant l’été 1955.

Tandis que le pays s’achemine vers l’indépendance (1956) puis l’instauration de la république (1957), bourguibistes et yousséfistes s’affrontent durement dans un climat de guerre civile. Mais, dès octobre 1955, c’est Bourguiba qui l’emporte. Ben Youssef est démis de ses fonctions et exclu du Néo-Destour. Arrêté alors qu’il organise la contestation politique, il s’évade de prison et se réfugie au Caire. Condamné à mort à deux reprises, il harangue ses partisans depuis la capitale égyptienne grâce à la radio Sawt Al-Arab (La Voix des Arabes. Mais l’exilé doit finalement quitter Le Caire pour l’Europe à la demande du président Gamel Abdel Nasser. En Tunisie, ses troupes continuent de contester l’ordre bourguibien qui s’installe. Des groupes armés sont constitués dans le sud du pays et ne seront neutralisés qu’au début des années 1960 avec l’aide de l’armée française. Le 12 août 1961, alors qu’il se trouve à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, Ben Youssef est assassiné par deux hommes. Ces derniers seront plus tard décorés par Bourguiba, qui, dans un discours en 1975, affirmera qu’il ont « rendu justice ».

La figure de Ben Youssef n’a jamais cessé de hanter la vie politique tunisienne. Il est présenté comme le symbole d’un mouvement nationaliste radical, panarabiste, conservateur et hostile à la France et à l’Occident. Autrement dit, un homme aux convictions opposées à celles de Bourguiba… Aujourd’hui, par facilité intellectuelle, on en fait même parfois le père spirituel du mouvement islamiste tunisien. Mohammed Harbi, historien du mouvement national maghrébin, balaye ce cliché : « Il y a des mythes qui ont la vie dure, écrivait-il en 19801, tel celui d’un yousséfisme réactionnaire, thèse défendue par les intellectuels tunisiens progressistes, alors que l’étude de ce mouvement montre qu’il était, à l’instar du bourguibisme, un groupement de type interclassiste enraciné dans le gros commerce djerbien mais aussi et surtout dans le petit peuple de Tunis et la paysannerie déshéritée du Sud, force de frappe à la résistance armée. L’opposition de ces couches au compromis avec la France n’a pas été vaincue, comme on le croit ou on veut le faire croire, par les partisans du président Bourguiba. L’appui qu’a donné à ce dernier l’armée française a été décisif. »

  1. Libération, 6 février 1980.
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