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Édition du 15 janvier au 1er février 2025

Au retour d’un meeting du Front national, ils “cassent du noir” sur une aire d’autoroute

Les fruits des petites graines brunes semées par l'extrême droite...
[Un dossier publié dans Var Matin, le 13 mai 2009.]

Un jeune noir passé à tabac par des militants du FN sur l’A8 à Vidauban (Var)

Cinq sympathisants du Front national des Alpes-Maritimes, qui assistaient dimanche dernier à un meeting animé par Jean-Marie Le Pen à Marseille, ont été condamnés à des peines de prison ferme hier par le tribunal correctionnel de Draguignan, pour des violences exercées au retour sur un jeune homme noir, sur une aire d’autoroute à Vidauban.

Insultes racistes et salut hitlérien

Ils étaient cités en comparution immédiate pour répondre de violences ayant entraîné une incapacité de huit jours, avec les circonstances aggravantes de la réunion, de l’état d’ivresse et de l’appartenance réelle ou supposée de la victime à une race ou une religion, ainsi que de complicité de violences aggravées.

Un sixième protagoniste, âgé de 17 ans, qui semble avoir eu le rôle le plus actif dans les faits, comparaîtra le 10 juin prochain devant le tribunal pour enfants. D’ici-là, il a été placé au centre éducatif fermé de Brignoles.

Régis R., un cuisinier de 25 ans demeurant à Antibes, n’a toujours pas digéré le fait d’avoir ainsi catalysé la haine de l’étranger, alors qu’il s’était arrêté sur l’aire d’autoroute de Vidauban avec trois amis, rentrant d’un week-end à Aix-en-Provence.

« On prenait un café devant la boutique quand ces jeunes sont descendus de leur autocar en criant “La France aux Français. Le Pen président. A mort les noirs ou les Arabes. Heil Hitler”, en me regardant du coin de l’oeil. Ils se sont jetés sur moi à cinq ou six et m’ont donné des coups de poing et de pied. Un boutonneux au crâne rasé (“Manu”, le mineur) me frappait en criant “on va niquer ta mère sale arabe”. J’ai essayé de me réfugier dans la boutique. »

Poursuivi par ses agresseurs dans l’établissement, le jeune homme n’a dû son salut qu’à l’intervention d’un client courageux qui a cherché à le protéger, et au personnel de la station qui a appelé les gendarmes du peloton autoroutier du Luc, donnant le signal du départ.
Certains des agresseurs ont alors fait le salut hitlérien, le bras tendu.

Le bus, qui était reparti vers Nice, a été intercepté par les gendarmes au péage de Fréjus. Deux jeunes, dont “Manu” ont spontanément reconnu avoir participé aux violences. Les autres ont été identifiés ensuite par la victime lors d’un tapissage dans les locaux du peloton.

Encouragés par une retraitée

Personne n’a reconnu la propriété du poing américain trouvé en perquisition dans le car. Tous ont également nié s’être concertés avant leur interpellation, sur une version commune où le plaignant aurait traité Manu de « sale blanc » et lui aurait porté le premier coup.

La plupart de ces jeunes, âgés de 20 à 25 ans, avaient été invités à ce déjeuner-débat où ils avaient consommé du vin, continuant à boire de la bière sur le trajet du retour.

A leurs côtés, une retraitée niçoise de 69 ans était poursuivie pour avoir encouragé l’agresseur principal, aux cris de « La France aux Français. Vas-y Manu, attaque », tout en agitant un drapeau tricolore. Condamnée comme les quatre autres prévenus à dix-huit mois de prison, dont quinze avec sursis, elle a été la seule à échapper au mandat de dépôt à l’audience.

G. D.

Portraits : quatre jeunes en mal d’armée et une retraitée rapatriée

Quand il a été entendu par les gendarmes, Manu a déclaré qu’il avait vu en Régis R. «une racaille ». Une réflexion qui a fait sortir la victime de ses gonds. « Je suis Français. J’ai été adopté par un couple de médecins blancs. Ma sœur est blanche également. Nous avons reçu une très bonne éducation et je travaille pour essayer d’avoir une situation À dix contre un, comment vouliez-vous que je m’échappe ? »

Militants et sympathisants

Face à lui dans le box, Maxime H., 23 ans, vit chez ses parents à Coaraze et rêve d’entrer dans l’année de l’Air. Il est membre du FN depuis un an, « par conviction».

Anthony Ma., 20 ans, vit également chez ses parents à Nice. Lui aussi veut entrer dans l’armée.

Même situation pour Anthony Mi. 20 ans, étudiant en première année de droit à Nice, qui après une préparation militaire à Canjuers veut intégrer l’école des sous-officiers.

Quant à Éric T., 25 ans, qui vit chez sa mère à Bendejun, des problèmes de santé ont ruiné ses espoirs d’une carrière militaire.Il travaille dans un libre-service et milite au FN de Nice, où il se dit le « responsable des jeunes partisans ».

Hôtesse de l’air à la retraite originaire du Maroc, Madeleine K., 69 ans, a pris sa carte du FN à son arrivée à Nice en 1990. Militante active, elle s’est également investie dans la défense des animaux et les études bibliques. Elle s’est déclarée «un peu raciste, parce qu’à la différence des Asiatiques, les Arabes et les Noirs ne nous respectent pas, et parce qu’il existe des mosquées souterraines». Elle a cependant indiqué au tribunal à l’issue du procès elle allait rendre sa carte
du FN : « Je me suis trompée dans ce parti. Je ne veux plus en faire partie. Ces jeunes se sont trompés aussi.»

Tous ont chargé le mineur

Tous les cinq ont présenté leurs excuses à la victime, estimant avoir été dépassés par l’effet de groupe, qui les a poussés à ces extrémités. Leur solidarité au moment des faits s’est singulièrement effritée devant le tribunal, où ils n’étaient plus d’accord que sur une chose, le rôle déclencheur du fameux Manu.

Couvert d’acné, le crâne rasé, chaussé de rangers, portant tee-shirt et bretelles, avec 1.70 g/l d’alcoolémie due à la bière, celui-ci avait toute la panoplie du skinhead. Devant les gendarmes, il s’est défendu d’être raciste ou antisémite, se revendiquant pro-palestinien anti-sioniste. Selon ses compagnons de bus, « il n’aime pas les Noirs ni les Juifs, se dit néo-nazi, mais n’assume pas ».

Effarée par la jeunesse des prévenus, Me Alexandra Granier a demandé que les droits à indemnisation de Régis R., blessé au genou gauche, soient réservés,
jusqu’à ce qu’il ait pu subir tous les examens médicaux nécessaires.

Pour le procureur Philippe Guémas, il s’agit d’« un groupe de nazillons caricatural, avec ses provisions de bière, qui débarque du bus en scandant des slogans nazis».

«Vous voulez intégrer l’armée? Mais elle n’a pas besoin de gens comme vous. Vous êtes le contraire des valeurs de la République que nous sommes chargés de faire respecter.»
Il a requis dix-huit mois de prison dont six ferme, avec mandat de dépôt à l’audience contre les cinq prévenus, demandant au tribunal de rendre « une décision citoyenne pour des événements qui ont un retentissement considérable ».
En défense, Me Évelyne Michalet-Flandin a plaidé pour que les peines soient personnalisées selon chaque cas. Elle a souligné que tous avaient un casier judiciaire vierge, et que tous souhaitaient arrêter la politique pour se consacrer à leur avenir professionnel.
Au prononcé de la peine qui les envoyait en prison, les quatre jeunes sympathisants ont eu le regard embué de larmes.

G. D.

Les réactions des secrétaires départementaux

Interrogé sur l’implication de militants du Front national dans le passage à tabac d’un jeune homme, sans doute trop « bronzé » à leur goût, Jean-Louis Bouguereau, le secrétaire départemental du FN dans le Var, n’a pas trop suivi l’affaire. Et pour cause, il est actuellement en vacances au Maroc. Il dément néanmoins catégoriquement la responsabilité d’un quelconque militant varois.

« Chez moi, il n’y a que des gens paisibles. Pas de violents. J’ai toujours veillé à cela. À ce qu’il n’y ait pas de personnes au comportement suspect parmi les adhérents d’un parti dont j’ai localement la responsabilité. » Jean-Louis Bouguereau connaît visiblement bien ses troupes puisque les prévenus en question sont originaires des Alpes-Maritimes.

Lydia Schenardi, son homologue dans le département voisin [les Alpes-maritimes], tente dans un premier temps d’adopter la même défense. «Parmi les prévenus, il y a effectivement deux adhérents du FN – les autres n’appartiennent pas à notre parti. Je tiens les fichiers à votre disposition. Mais d’après mes informations, aucun d’entre eux n’a été inculpé. »

Quelle n’est pas sa surprise lorsque nous lui annonçons le jugement : une condamnation à 18 mois de prison, dont 15 avec sursis, et placement sous mandat de dépôt pour quatre des cinq prévenus. « Je suis effondrée. Il me semble que les faits qu’on leur reproche ne sont pas si graves que ça », déclare-t-elle.

La victime bénéficie quand même de trois jours d’interruption temporaire de travail lui fait-on remarquer. À cette autre mauvaise nouvelle, Lydia Schenardi rétorque alors : «Je ne travaille pas avec des gens comme ça. Chacun a le droit d’avoir ses propres idées. Il faut les respecter. La seule voie est la voie des urnes. C’est ce que nous essayons d’enseigner à nos militants. S’ils ne le comprennent pas, il nous faut les éliminer. »

R-L. P.

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