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Édition du 1er au 15 septembre 2025

Restituer leurs biens culturels aux Africains : une promesse de l’Elysée déterrée par le Sénat

Entretien avec le sénateur Pierre Ouzoulias sur la restitution des biens culturels africains (mal) acquis par la France. Par Dorothée Rivaud-Danset.

Le tambour-parleur ivoirien va bientôt rentrer dans son pays. Trois crânes humains dont celui du roi Teaora vont retourner à Madagascar, une cérémonie de restitution s’est déroulée le 26 août 2025 au Ministère de la Culture. Une nouvelle étape de réparation mémorielle des crimes coloniaux est en cours, les obstacles juridiques à leur restitution venant du principe de l’inaliénabilité des restes humains et des objets culturels appartenant aux collections publiques françaises cèdent, non sans lenteur. Le retour des trois crânes humains malgaches est la première application de la loi-cadre de 2023 relative à la restitution des restes humains. Auparavant il fallait faire voter des lois d’espèce, spécifiques à chaque reste humain.

Pour les objets culturels, c’est plus compliqué. La promesse de Macron faite en 2017 à Ouagadougou (Burkina Faso) de restituer les œuvres africaines des musées français d’ici à 5 ans n’a pas été tenue. Les objets ne manquent pas, les demandes de restitution non plus. Claire Bosc-Tiessé estime à 150 000 le nombre de biens culturels détenus dans 230 musées français, la moitié étant au Quai Branly. Pourquoi la promesse de campagne n’a t’elle pas été respectée ? parce que la restitution se heurte à l’absence de loi-cadre, le gouvernement laissant trainer la question. Le Sénat, plus précisément sa Commission de la Culture, par définition non partisane, a toujours pris au sérieux cette promesse. Et c’est devant le Sénat que le projet de loi-cadre sur les biens culturels volés par la colonisation devrait être soumis le 24 septembre 2025 après avoir été présenté le 30 juillet en Conseil des ministres par la ministre de la Culture.

Le projet de loi sur les restitutions de biens acquis par la France dans des « conditions abusives » est enfin à l’agenda parlementaire. Depuis, la promesse faite en 2017, les demandes de restitution se sont multipliées et la France se trouve isolée au sein de l’UNESCO sur cette question.

En 2020, la Commission de la Culture du Sénat a lancé une mission d’information sur la question du retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. En octobre 2021,  Catherine Morin-Desailly, présidente de la Commission du Sénat de la Culture, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, tous deux vice-présidents de cette commission, ont déposé une proposition de loi pour « la circulation et le retour des biens culturels appartenant aux collections publiques ». Son but : apporter davantage de transparence aux décisions de restitution, mais aussi replacer au cœur de la discussion des considérations scientifiques et patrimoniales.

Pierre Ouzoulias, sénateur communiste, a accepté de répondre aux questions d’Histoire coloniale et postcoloniale sur la restitution des biens culturels africains (mal) acquis par la France.


Le tambour-parleur ivoirien actuellement dans les collections du musée du quai Branly à Paris va rentrer dans son pays.

Histoire coloniale et postcoloniale : Le célèbre tambour-parleur des Ébriés va être restitué à la Côte d’Ivoire, la proposition de loi votée d’abord au Sénat puis adoptée le 7 juillet 2025 à l’unanimité à l’Assemblée nationale ayant déclassé ce tam-tam de communication. En 2021, 26 œuvres pillées en 1892, lors du sac du palais d’Abomey par l‘armée coloniale sont retournées au Bénin. Au cours des sept dernières années, d’autres « objets » hautement symboliques ont quitté les collections françaises pour être restitués à des Etats africains mais, au final, seules quelques pièces conservées en France à la suite des pillages coloniaux sont retournées dans leur pays d’origine. Chaque restitution a nécessité une loi d’espèce. Pourquoi une loi-cadre visant à échapper au principe de l’inaliénabilité des biens mobiliers publics est-elle nécessaire et préférable à des lois au cas par cas ?

Pierre Ouzoulias : le Sénat a toujours demandé une loi-cadre mais s’est heurté à l’opposition du gouvernement pour des raisons inexpliquées. Le Sénat a demandé une loi d’espèces pour restituer le tambour ivoirien en raison de l’engagement pris par le gouvernement français auprès des Ivoiriens. Ceux-ci se sont dotés d’un musée national qui contient  une vitrine pour accueillir ce tambour. Il n’était pas question de les faire attendre plus longtemps.

Le gouvernement s’était rallié au principe de trois lois-cadres :

. restitution des biens culturels aux personnes spoliées dans le contexte des persécutions antisémites sous Vichy,

. le retour dans leur pays d’origine des restes humains,

.la restitution des biens culturels ayant fait l’objet d’appropriations illicites.

Les deux premières ont été votées en 2023. Concernant les biens culturels, plusieurs lois d’espèces, en particulier celle sur la restitution du trésor du Bénin, ont généré de nombreux problèmes.

Personnellement, je suis partisan des lois d’espèce seulement pour la restitution des restes humains pris dans les territoires français d’Outre-mer. La question d’une loi-cadre a été longuement étudiée mais il est très difficile de trouver une solution juridique puisqu’il s’agit d’un transfert de la métropole à un territoire ultra-marin.

Le projet de loi porté par l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul Malak devait être examiné au début de l’année 2024. Depuis il n’a cessé d’être repoussé. Comment expliquez-vous ce retard ? Et le faible intérêt de l’Assemblée nationale pour légiférer sur la restitution qui contraste avec l’investissement constant du Sénat ?

L’explication est très simple. Elle réside dans le désintérêt pour raisons personnelles et, en corollaire l’inactivité, de l’actuelle ministre de la Culture. Alors que Rima Abdul Malak s’était très investie, ce n’est pas le cas de Rachida Dati. Le projet était sur son étagère à son arrivée au ministère et a très peu évolué. Il y a très peu de différence entre le projet de loi tel qu’il se présentait en janvier 2024 et celui d’aujourd’hui.

S’agissant de l’Assemblée nationale, elle ne s’est jamais vraiment saisie du sujet et n’a pas compris la logique des trois loi-cadre. Ainsi, LFI s’est abstenu lors du vote de la loi sur la restitution des restes humains, estimant que cette loi réduirait les pouvoirs des Parlementaires alors qu’il s’agit, au contraire, d’éviter une gestion administrative des demandes de restitution.

Le Sénat a une longue tradition. La commission culturelle est ancienne. Dès le tournant des années 2000, elle a été à l’initiative sur les restitutions. Je pourrai citer le cas du retour de la Vénus hottentote en Afrique du Sud en 2002, les têtes maories rendues à la Nouvelle-Zélande en 2010. Depuis vingt ans, cette question a été travaillée et travaillée avec les mêmes principes, ce qui donne une légitimité à la Commission.

Le fait du Prince

La proposition de loi, adoptée en première lecture par le Sénat le 10 janvier 2022, pour encadrer la restitution des biens culturels «propose l’instauration d’un « Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens appartenant aux collections publiques ». Cette instance, composée d’ historiens d’art, ethnologues, juristes, serait saisie pour toute réclamation de biens culturels formulée par un État étranger.  Déjà lors de l’examen de la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, les sénateurs avaient adopté un amendement – supprimé par l’Assemblée – prévoyant la création de ce Conseil. Qu’apporterait ce Conseil ?

C’est un sujet d’opposition pérenne avec le ministère de la Culture. Celui-ci souhaite, comme le Sénat, que chaque dossier soit géré en amont par des scientifiques et paritairement avec les représentants des Etats qui demandent la restitution. Le Sénat, en plus, veut créer les conditions d’une continuité dans la gestion sur le long terme. Une Commission ou un Conseil ad hoc a pour rôle d’assurer cette gestion dans le long terme en se fondant sur des principes.

Une telle commission (la CIVS) existe pour la restitution des biens et l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites. Y siègent des magistrats, des universitaires et des personnalités compétentes pour les biens culturels. Elle fonctionne très bien et fait jurisprudence. L’information est transparente.

S’agissant du retour des biens culturels, la commission émettrait un avis consultatif mais elle garantirait la transparence. Le ministère de la Culture préfère l’entre-soi, la gestion au cas par cas, ce qui, in fine, revient à laisser la décision au président de la République. Or, il s’agit du patrimoine national.  Le patrimoine national appartient à la nation, et à ce titre, le seul organe qui peut décider de la restitution d’objets inaliénables, c’est le Parlement. Il convient, donc, de rendre compte devant toute la Nation des demandes de restitution.  En l’absence d’une telle commission, c’est le règne de l’arbitraire.

Un exemple : la restitution à l’Algérie des cranes des résistants algériens. Certains d’entre eux n’ont rien à voir avec ceux des résistants. L’inhumation des restes humains a été faite en grande pompe mais il s’agit d’une restitution mensongère. Au moment des faits, en 2020, le gouvernement français voulait donner des gages à l’Algérie et voulait les donner rapidement. La commission franco-algérienne qui travaillait sur le retour des restes humains des résistants n’avait pas tout à fait fini son travail. Il a été décidé, depuis l’Elysée, de passer outre les doutes sur l‘authenticité de ces restes. Cet épisode a été très mal vécu au Sénat. Il illustre l’importance d’une Commission consultative et le besoin de disposer de procédures de gestion normées par la loi.

Restituer ou rendre la propriété ? Quelle réponse est privilégiée par la commission sénatoriale ? Lors du débat sur la restitution des biens culturels au Bénin et au Sénégal, le 4 novembre 2020, le sénateur Fialaire a proposé de dépasser la notion de propriété pour les biens culturels. Qu’en pensez-vous personnellement ?

Cette orientation me paraît intéressante dès lors que les Etats africains s’engageraient, eux aussi, dans cette direction et que la voie serait explorée de concert… mais les Etats africains souhaitent que les biens culturels leur soient rendus. Nous ne sommes pas en droit d’exiger de celui qui a été volé un traitement particulier parce que le bien est culturel. Il convient de respecter leur refus et leur volonté que la restitution se fasse dans le cadre de la notion patrimoniale occidentale : les biens de la nation sont conservés dans un musée accessible à tous. C’est ainsi que tout est prêt pour accueillir le tambour parleur. Les dirigeants ivoiriens sont animés d’une volonté patrimoniale, sans négliger les préoccupations touristiques. De même, les Emirati ont voulu se doter d’un Louvre. La notion de musée et de biens patrimoniaux s’est internationalisée et imposée.

Les biens mal acquis

La restitution peut-elle ne concerner que les biens « mal acquis » ?  Le rapport Sarr-Savoye[1] et tout récemment l’exposition Dakar-Djibouti au musée du Quai Branly ont contribué à montrer que cette notion est discutable dans une relation entre colonisé et colonisateur.

La qualification de « bien mal acquis » est vraie pour la quasi-totalité des biens acquis dans les musées. Quand les autorités turques vendent à la France la Victoire de Samothrace, elles en connaissent la valeur mais acceptent sa cession à un faible prix. La relation entre acquéreur et vendeur d’un bien culturel est toujours une relation particulière. C’est le marché qui détermine artificiellement la valeur du bien, en l’absence de critères objectifs qui permettraient d’en déterminer la valeur intrinsèque.

La formulation de la loi sur la restitution des biens culturels est assez générale pour que, lot par lot, on puisse déterminer la nature des liens qui se sont établis entre vendeur et acquéreur. Il est important que, pour chaque œuvre dont la restitution est demandée, un travail soit réalisé. S’agissait-il d’un dol, d’un vol, d’une spoliation, d’une réquisition… ?

On peut considérer, comme le propose le rapport Sarr-Savoye, que tous les objets venant des pays africains lors de la colonisation ont été volés. C’est vrai dans l’absolu mais on ne peut pas se contenter de cette affirmation dans le détail. Il convient de savoir dans quelles conditions le bien a été acquis mais parfois ce travail est impossible.

On peut ajouter que les Africains ont aussi cherché à duper les Blancs, en fabriquant des objets, des masques notamment, pour être vendus aux Européens. Le marché des objets d’art est un marché particulier où chacun peut manipuler l’autre.

A la mairie de Brunswick en Allemagne, en juillet 2022, le roi camerounais Asabaton Fontem Ngifua et sa délégation identifient des objets du musée municipal pris au Cameroun pendant la colonisation allemande. Source : https://lejournal.cnrs.fr/articles/biens-culturels-en-voie-de-restitution

Avant de terminer cet entretien, j’aimerais que nous revenions au point de départ qui est l’agenda parlementaire. En septembre 2025, le Sénat débattra d’un projet de loi émanant du Ministère de la Culture et non d’une proposition de loi sénatoriale. Les sénateurs ne seront, donc, plus à l’initiative…

Le Sénat se donne toute liberté pour modifier le texte par amendement. Ce que disent les Sénateurs depuis des années et les conduisent à  se confronter avec le Ministère de la Culture, c’est que celui-ci ne met pas les moyens pour restituer les œuvres. D’autres pays européens comme l’Allemagne et la Belgique s’y attellent. L’Allemagne a un budget d’un million d’euros. Le budget alloué par le ministère de la Culture est nul. En France, quelques musées dégagent des ressources sur leurs moyens propres. C’est le cas, en particulier, du musée Jacques Chirac-Quai Branly ou du musée du Louvre. En revanche, le musée de l’Homme n’a rien entrepris alors qu’on estime entre 2 000 et 3 000 les restes humains non-métropolitains. Comment les musées de province qui ont des collections importantes peuvent-ils assurer le travail de récolement alors qu’ils n’ont souvent qu’un conservateur ? C’est tout simplement impossible. Pour les biens spoliés dans le contexte antisémite, une petite équipe s’est mise en place qui peut aider les conservateurs. Une mesure analogue serait souhaitable pour aider les conservateurs des musées provinciaux.

Les parlementaires vont légiférer sur un dossier mal connu. Combien d’objets doivent-ils être restitués ? des milliers, selon le rapport Sarr-Savoye, très peu selon le rapport Martinez[2].

Je voudrais terminer par cette remarque : Ce n’est pas l’objectif du Parlement que d’écrire l’histoire en général et celle de la colonisation en particulier. Si le Parlement s’empare de cette question, ce n’est pas au nom de la mémoire, ce n’est pas pour instruire le passé colonial, c’est au nom de la justice. Si le débat porte sur l’histoire coloniale, on risque d’aboutir à des positions caricaturales.

Entretien avec Pierre Ouzoulias réalisé par Dorothée Rivaud-Danset, pour Histoire coloniale et postcoloniale le 15 juillet 2025.


[1] Felwine Sarr et Bénédicte Savoye, La restitution du patrimoine culturel africain, vers une nouvelle éthique relationnelle, 2018.

[2] Jean-Luc Martinez, Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art, 2023


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