Un collectif d’historiens et de militants :
Il faut restituer la clé et les étendards de Laghouat
pour renforcer les liens entre les peuples algérien et français
Tribune collective publiée par Le Monde le 10 février 2023.
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Un collectif, dont sont notamment membres Benjamin Stora et Lilian Thuram, demande dans une tribune au « Monde » la restitution par la France des étendards des résistants et une clé de la ville algérienne dont l’armée coloniale française massacra plus des deux tiers des habitants, en 1852.
Indépendamment des relations entre Etats et gouvernements, nous sommes nombreuses et nombreux, en France, à nous engager pour des liens de solidarité entre les peuples algérien et français. Nous sommes nombreuses et nombreux à nous investir dans des initiatives concrètes de coopération, de partenariat culturel, social, économique…
Les années passées ont vu se développer à la fois la connaissance de l’histoire commune (colonisation, guerre de libération nationale) et des actes consolidant cette évolution, laquelle doit perdurer.
Près de soixante et un ans après l’indépendance de l’Algérie, des actes, si symboliques soient-ils, peuvent en effet largement contribuer à renforcer l’amitié entre nos deux peuples, si proches dans bien des domaines. Des actes comme celui qui motive cette tribune.
Crime de guerre
En 1852, pour écraser un soulèvement, l’armée coloniale française, forte de 6 000 hommes et sous le commandement de trois généraux – Aimable Pélissier (1794-1864), Joseph Vantini [dit « Yusuf »] (1808-1866) et Henri-Pierre Bouscaren (1804-1852) –, assiège une ville du Sud algérien, Laghouat. La bataille commence le 21 novembre. Le 4 décembre, Laghouat est prise d’assaut. Les massacres durent plusieurs jours et n’épargnent personne : les combattants, les femmes, les enfants, les vieillards. Plus des deux tiers des habitants périssent dans des conditions insoutenables. Les estimations font état de 2 500 morts.
Il ne restera quasiment rien de cette ville et de sa splendeur. Une ville aux portes du désert, où se pratiquait le commerce transsaharien, où musulmans de rites différents et juifs vivaient en harmonie dans un univers peuplé d’arbres fruitiers.
La « prise » de Laghouat est fêtée à Paris : les étendards des résistants sont exposés en la cathédrale Saint-Louis des Invalides où un Te Deum est célébré. Pélissier rapporte un trophée : une clé de la ville.
En 1864, pour commémorer cette « grande victoire militaire », le nom de Laghouat est donné à une rue de Paris.
Ce crime de guerre est resté dans la mémoire collective des Laghouatis sous le nom de « Am El-Khalia, « l’année de l’anéantissement ». La clé et les étendards sont propriété du Musée de l’armée. Le journaliste et écrivain algérien Lazhari Labter (auteur de Laghouat, la ville assassinée, ou le point de vue de Fromentin, Hibr Edition, 20181) a publié une lettre ouverte au président de la République, Emmanuel Macron, lui demandant d’agir pour la restitution de la clé et des étendards. A ce jour, la lettre est restée sans réponse.
Plaque commémorative
Nous faisons nôtre cette initiative. Nous nous engageons à faire connaître ce crime de guerre. Notamment en proposant à la Ville de Paris d’installer une plaque commémorative et explicative rue de Laghouat, dans le 18e arrondissement de Paris.
De même, nous soutenons le processus de restitution de la clé et des étendards. Certes, les objets des musées nationaux sont inaliénables, mais il s’agit, dans ce cas, d’une prise de guerre. Ils ne sont donc pas entrés dans les collections nationales « normalement ». Aussi leur restitution ne nécessite-t-elle pas une loi, mais une demande de la part d’une autorité politique algérienne ou d’une institution. Un musée par exemple.
Nous soutenons cette légitime demande de restitution. L’histoire et la mémoire doivent pouvoir se confronter en toute sincérité. De la réalité naissent le défrichage, les déchirures, les souffrances. Jusqu’à trouver les clés de l’apaisement, où les uns et les autres, reconnaissant les actes du passé, pourront peut-être tracer ensemble d’autres chemins pour demain.
Premiers signataires : Sandrine-Malika Charlemagne, écrivaine ; Mina Kaci, journaliste ; Pierre Mansat, militant associatif, ancien adjoint au maire de Paris, ancien président de l’Association Josette et Maurice Audin (2004-2022) ; Samia Messaoudi, responsable de l’association Au nom de la mémoire ; Nadjia Nezzal, représentante du prix littéraire Fetkann Maryse Condé en Algérie ; Jacques Pradel, Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA) ; Dominique Sopo, président de SOS-Racisme ; Benjamin Stora, historien ; Lilian Thuram, président de la fondation Education contre le racisme ; Cédric Villani, mathématicien, président de l’Association Josette et Maurice Audin.
Nils Andersson, éditeur
Jean Asselmeyer, cinéaste
Marie-Laurence Attias, productrice
Étienne Balibar, philosophe
Khadicha Bariha, monteuse
Jean-Pierre Bastid cinéaste
Jean-Denis Bonan cinéaste
Mustapha Boutadjine, artiste
Sylvie Braibant, autrice
Francis Combes, éditeur
Monique Dental, militante féministe
Bernard Deschamps, ancien député
Serge Garde, journaliste
Khaled Ghorbal, cinéaste
Gérard Halie, responsable du Mouvement de la Paix
Rachid Koraïchi, peintre
Christophe Lafaye, historien
Paul Max Morin, politiste-chercheur
Alain Ruscio, historien
Dominique Sopo, président de SOS Racisme
Michel Sportisse, historien du cinéma
Jean Vendart, soldat du refus
Arnaud Viviant, critique littéraire
Hassane Zerrouky, journaliste
Voir la liste complète sur le blog personnel de Pierre Mansat
LETTRE OUVERTE À M. EMMANUEL MACRON,
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
POUR LA RESTITUTION DE LA CLÉ ET DES ÉTENDARDS
DE LA RÉSISTANCE DE LAGHOUAT
Monsieur le Président,
Le 4 décembre 2022, les habitants de Laghouat commémoreront le 170e anniversaire de la résistance contre la prise violente de leur ville, après un siège qui avait duré plusieurs semaines, une ville dévastée qu’Eugène Fromentin qualifie dans son ouvrage « Un été dans le Sahara » de « ville assassinée ».
Cette héroïque résistance de quelque 1000 hommes munis d’armes de fortune face à une armada de 6000 soldats de l’élite de l’armée française, aguerris et surarmés, conduits par les généraux Pélissier, Bouscaren et Yusuf de sinistre mémoire, coûta très cher aux valeureux Laghouatis : près de 3000 morts sur 4000 habitants selon les estimations d’acteurs directs.
Cette année funeste est restée gravée à ce jour dans les mémoires des habitants de la ville sous le nom de « Am el-Khalia », l’année de l’anéantissement.
Monsieur le Président,
Au nom des habitants de la ville de Laghouat, en particulier, et des Algériennes et Algériens, en général, jaloux de la préservation de leur patrimoine historique et engagés pour sa récupération, nous, personnalités et associations de la société civile signataires de cette lettre ouverte, vous demandons d’user de votre bon droit auprès des institutions et des autorités concernées pour leur demander, dans le cadre des accords, lois et conventions internationales, la restitution de la clé d’une des portes de Laghouat qui se trouve au Musée de l’Empéri à Salon-de-Provence, ainsi que les cinq étendards de la résistance qui se trouvent au musée des Invalides à Paris.
Cette clé avait été enlevée par un spahi sur la serrure de l’une des portes de la ville, qui l’a remise par la suite au général Pélissier après s’être aperçu qu’elle n’était pas en or comme il l’avait cru.
La place de ces « trophées » est au Musée de Laghouat.
Monsieur le président,
Les signataires de cette lettre ouverte ne manqueront pas d’apprécier à sa juste mesure l’effort que vous ferez, sur la lancée de ce que vous avez déjà entrepris dans le sens de la reconnaissance des crimes contre l’humanité commis par l’armée française de l’époque et de votre engagement à poursuivre cette démarche afin que soit révélée la vérité, restée trop longtemps occultée.
LES SIGNATAIRES
Lazhari Labter, écrivain
Mohamed Chettih, universitaire, écrivain
Bachir Benchohra, chercheur en histoire
Mohamed Bentireche, artiste photographe
Bachir Bediar, universitaire, linguiste, écrivain
Haroun El Kilani, artiste
Tayeb El Aidi, artiste peintre
Aissa Moulay, artiste
Miloudi Taouti, poète, chanteur
Bachir Bouzidi, pharmacien, ancien directeur de la santé
Mohamed Slimani, notaire
Mohamed Biter, professeur à l’université de Laghouat
Kamal Benarfa, professeur à l’université de Laghouat
Mebarek Benadjila, médecin gynécologue
Sihem Ammari, juriste
Abdelhamid Badis Bentireche, animateur culturel
Omar Bouameur, artiste
Aicha-Zohra Merad, médecin chirurgie infantile
Safia Reche, artiste plasticienne
Meriem Djeridane, architecte
Abdelkader Hadj Aissa
Bachir Blidi, commerçant
Noureddine Khemili, président de l’association du 4 décembre 1852
Madani Benadjila, ingénieur agronome, président de l’association du 1er novembre 54
Fréha Mechattah, présidente du bureau de Laghouat de la Fondation pour la préservation de la mémoire
Hadj Tayeb Hadj Aissa, cadre Sonatrach à la retraite, président de l’Association des retraités de Laghouat
Djamel Abdennasser Lamri, président du groupe musical « Taslim »
Habib Mahçar, artiste, commissaire du festival international du chant spirituel soufi
Laghouat, Algérie 1852 – Un crime de guerre
Lazhari Labter, journaliste-écrivain, raconte l’anéantissement en 1852 de Laghouat par l’armée coloniale française.
Sur une idée du comité Laghouat-France.
Réalisé par Ali Berkennou. Cigale Production.