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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Rejet de la France en Afrique : un rapport de Tournons La Page

Tournons La Page (TLP) est un mouvement citoyen international – regroupant près de 250 organisations dans quinze pays (Bénin, Burundi, Cameroun, Tchad, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Malawi, Mali, Niger, Ouganda, RDC, Sénégal, Togo) – qui mène et relaie des actions pacifiques et non partisanes pour promouvoir l’alternance démocratique en Afrique. Il vient de publier le rapport « De quoi le rejet de la France en Afrique est-il le nom ? », présenté ce mercredi 6 novembre 2024 à Sciences Po à Paris (France). Ce rapport est une recherche-action menée par Tournons La Page (TLP), en collaboration avec le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI Sciences Po), dans six pays de l’Afrique francophone (Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Niger et Tchad). Nous en publions ici les conclusions par TLP.   

Lire le rapport

« Le principal enseignement de cette enquête est que, dans les réseaux militants, le rejet de la politique française en Afrique est massif, presque unanime », a déclaré Laurent Duarte lors de la présentation dudit rapport organisé en huit chapitres. 67,6% des personnes interrogées pensent que la France est un partenaire non-fiable dans dix domaines clés (santé, éducation, défense des droits humains, renforcement de l’administration, culture, agriculture, défense de la démocratie, sécurité, lutte contre la corruption et économie).   

Selon Dan Sanaren, l’étude a été menée entre juin 2023 et avril 2024, au moyen d’une enquête quantitative (470 acteurs de la société civile ont été interrogés en face à face) et qualitative. L’étude qualitative a consisté à discuter avec dix focus-groups dans les six pays. « Les ateliers qualitatifs, généralement constitués de cinq ou six personnes, ont été co-animés par un·e représentant·e de la coalition TLP du pays et par un·e universitaire ou membre d’un centre de recherche. La démarche se voulait inclusive et coopérative, pour faire recherche ensemble sur un sujet qui divise », a-t-il dit.  

« Un des fondements de cette étude, c’est le sentiment et l’opinion, d’un certain nombre des membres de TLP et largement des acteurs de la société civile, de sentir leurs propos dépossédés ou de ne pas pouvoir s’exprimer ou de ne pas pouvoir être entendus dans les médias, notamment français, sur ce qu’ils entendaient de cette critique de la France. De la France, on entendait souvent des journalistes, des militants et des responsables français parler d’un sentiment extérieur à eux. Pour nous, c’est de donner la parole aux savoirs militants africains », a jouté Laurent  

Rejet du sentiment anti-français 

L’usage du terme « sentiment », renvoyant à l’affect en politique, tendrait à faire de la cri­tique de la France une critique irrationnelle. C’est d’ailleurs, à coups de contre-commu­nication, « d’agenda transformationnel » et de « diplomatie publique » que l’État français compte répondre aux critiques virulentes de son action et de sa présence sur le continent africain. C’est pourtant bien les actions de la France qui conduisent à un rejet de sa politique en Afrique : « Pour les gens qui ont compris les relations, ils savent très bien. Ils ne parlent pas de cette relation entre Fran­çais et Africains, mais de cette relation entre l’Afrique et la politique française en Afrique. C’est de ça qu’ils parlent », a précisé Laurent Duarte rapportant les propos d’un membre du focus-group du Niger. La dimen­sion émotionnelle n’est pourtant pas rejetée, notamment pour rappeler que des liens cultu­rels et personnels forts existent entre les Fran­çais et les Africains.  

Finalement, le rejet de l’expression « sentiment anti-français » fait l’unanimité. Pour les per­sonnes interrogées, il est nécessaire d’affir­mer une distinction très nette entre la cri­tique de l’État ou des décideurs français et la relation avec les citoyens français. « Ce n’est pas nous qui le disons, hein ! Nous, on n’est pas contre la France. La preuve, il y a beaucoup de Français en Côte d’Ivoire. Nous-mêmes, on est dans leur pays. Voilà. On dénonce juste leur… trop plein d’ingérence dans notre politique. Parce que nous on est patriote. Ce qu’ils n’aimeraient qu’on leur fasse dans leur pays, il ne faut pas qu’ils viennent nous faire ça. C’est tout », a-t-il déclaré en rapportant les propos d’un membre des focus-groups de la Côte d’Ivoire.    

Que reproche-t-on à l’armée française ?

À la question « pensez-vous que la France est un partenaire fiable dans le secteur de la sécurité »,80% des intervenants au Bénin, 84% au Cameroun, 47% en Côte d’Ivoire, 85% au Gabon et 95% au Tchad, ont répondu par la négation.  Pour eux, la France n’apporte pas de réponses satisfaisantes aux enjeux sécuritaires. « L’incapacité des Oc­cidentaux en général et de la France en par­ticulier à répondre réellement aux demandes des armées africaines est vécue comme une nouvelle preuve de leur duplicité ou comme un moyen de pérenniser la présence des troupes étrangères », a expliqué Dan Sanaren qui a ajouté : « Ce rejet des opérations extérieures fran­çaises s’étend, de la même façon, aux bases françaises permanentes, pour différents mo­tifs souvent imbriqués. C’est, en premier lieu, une question de souveraineté bafouée, notam­ment en raison des largesses accordées aux troupes stationnées. » 

La France considérée comme un acteur prédateur  

C’est dans le domaine économique que la France apparaît comme le partenaire le moins fiable. L’action de ses entreprises est associée au pillage des ressources naturelles, notamment de l’uranium au Niger. « Nous étions à un moment donné le deuxième pro­ducteur de certains minéraux. Les plus chers au monde. Et le monopole de cette exploita­tion appartient à la France. Mais en quoi est-ce que nous, ça nous a développé ? Je ne vois aucun caractère positif », a dit Dan Sanaren, relation les propos d’un membre du focus-group du Niger. L’amertume est d’autant plus forte que, souvent, les entre­prises extractives françaises, comme celles des autres pays, ne font pas preuve d’une grande transparence.  

De façon plus générale, cette critique des entreprises françaises s’inscrit dans une critique de la mondialisation, de la libéra­lisation des échanges et de l’emprise des multinationales, qu’elles soient françaises, chinoises ou libanaises. 

Les intervenants ayant exposé le rapport ont su poser les problématiques de manière pertinente. Par le biais de leur méthodologie rigoureuse, ils ont entrepris d’apporter des réponses et des solutions appropriées », s’est exprimé Driss AHEDDA, un Marocain, à la fin de la séance de présentation du rapport. 

Les recommandations 

  • Se départir de la posture considérant la France comme ayant une « vocation » afri­caine, condition de la « grandeur » du pays sur la scène internationale. 
  • Une nécessaire « mise en retrait » politique et militaire de Paris, en acceptant tout simple­ment que la France soit un partenaire parmi d’autres et que l’histoire de l’Afrique puisse aussi s’écrire sans la France. 
  • Mettre la démocratie, les droits humains, la re­devabilité et l’État de droit au cœur de la po­litique étrangère française, en Afrique comme ailleurs. 
  • Respecter l’indépendance et la souveraineté des peuples africains, et donc leur capacité à décider de leur trajectoire politique et éco­nomique comme de leurs alliances, et faire preuve d’humilité sur les prétendus devoirs de la France, pour en finir avec les postures et les injonctions. 
  • Ouvrir, en France, un débat démocratique sur la refondation de la politique étrangère en Afrique, en y associant les parlements – fran­çais et africains – et en donnant toute sa place au dialogue avec les sociétés civiles. 
  • Privilégier les approches multilatérales sur les questions sécuritaires, environnementales ou économiques. 
  • Mettre la justice – sociale, fiscale, climatique – au cœur de l’action de la France dans les instances internationales, en veillant à la cohé­rence des politiques, sur les terrains de l’aide publique, du commerce extérieur, de la fisca­lité ou de la politique agricole. Faire de la so­lidarité internationale un mode d’action pour construire le « vivre ensemble »
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