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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024
Femme portant un jilbeb.

Refus de mariage à La Seyne : le couple veut un débat sur la laïcité

Après le rejet de sa demande par le tribunal de Toulon, le couple que la mairie de La Seyne avait refusé de marier – la femme s'étant présentée partiellement voilée – veut obtenir un débat sur la laïcité devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Le président du TGI de Toulon ne s'est-il d'ailleurs pas défaussé sur la cour d'appel en invoquant un doute sur l'identité, évitant ainsi d'aborder la sur-interprétation de la loi sur la laïcité ? Ce genre d'événement rappelle la question de Pierre Bourdieu : la France est-elle décidée à accepter ses immigrés d’origine coloniale ? Ci-dessous un dossier d'Éric Marmottans sur le problème du mariage “voilé” de La Seyne, publié dans l'édition du 22 septembre 2012 de Var-matin.

Mariage refusé à La Seyne : la justice donne raison à l’adjointe

Femme portant un jilbeb.
Femme portant un jilbeb.
La justice a donné raison hier à l’officier de l’état civil qui a refusé de prononcer le mariage d’une femme portant le jilbeb1. La jeune femme avait refusé de se découvrir le haut du visage et les oreilles. Le couple de confession musulmane s’était senti heurté dans ses «convictions ».

Saad et Myriam2 ont décidé d’assigner l’État devant le juge des référés du tribunal de grande instance (TGI) de Toulon pour obtenir une injonction à prononcer le mariage. Et créer un précédent judiciaire sur la manière d’appréhender un visage (faut-il découvrir les oreilles ?).

Dans son ordonnance rendue hier, le juge François Rachou, président du TGI, a considéré que « dans la mesure où le port d’un voile dissimule le visage, même pour partie, d’un des futurs époux et ne permet pas […] de s’assurer de façon certaine de l’identité de celui-ci, il ne peut lui être reproché de refuser de célébrer le mariage ».

«Comme pour les photos d’identité»

[L’] adjointe au maire, avait en effet rapporté qu’elle a demandé d’écarter le foulard « comme on me le demande pour mes photos d’identité. » Saad et Myriam contestent cette version.

Selon eux, c’est le caractère islamique de la tenue vestimentaire – pourtant en dehors du champ de la loi sur la burqa – de la fiancée qui a motivé la position de l’officier de l’état civil. « Elle a refusé de nous marier sous couvert de la charte locale sur la laïcité. »

L’avocat du couple avait donc construit son argumentation sur le thème du respect des croyances religieuses. Un terrain sur lequel ne s’est pas aventuré le juge toulonnais.

Le couple a donc annoncé hier son intention de faire appel par la voix de Me Gilles Devers. « C’est une question de liberté fondamentale, le débat se posera en ces termes devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. »

« Incompatible avec le code civil »

La question du voile lors d’une cérémonie de mariage s’était invitée à l’Assemblée nationale en 2006. Voici la réponse (inspirée d’une circulaire de 2005) de Jérôme Clément, alors ministre de la Justice.

« Le mariage est d’abord un acte consensuel reposant sur le consentement des époux. L’officier d’état civil appelé à célébrer un mariage doit ainsi s’assurer de la réalité du consentement. Il doit surseoir à la célébration et aviser le procureur de la République […] s’il découvre dans le comportement des futurs époux des anomalies constituant des indices objectifs de nature à faire douter sérieusement de la sincérité du consentement […]. De tels indices peuvent résulter de constatations telles que l’existence de traces récentes de coups ou encore l’attitude distante voire hostile, entre les futurs époux. Le port d’un voile dissimulant le visage constitue à cet égard un obstacle à l’exercice de son contrôle […]. Ce principe implique que tout intéressé, dont au premier chef l’officier d’état civil, mais aussi les témoins et le public, doit être en mesure de s’assurer par lui-même de l’identité des époux. Le port d’une pièce vestimentaire dissimulant le visage, qu’elle ait une vocation religieuse, traditionnelle ou décorative, ne permet pas à l’officier d’état civil de contrôler la réalité du consentement des époux, faisant notamment courir le risque d’une substitution de personne. En conséquence, la circonstance que la future épouse soit voilée, de telle sorte qu’elle ne soit pas identifiable et que son visage ne puisse être vu, n’est pas compatible avec les règles du code civil. »


Des précédents en France

  • Septembre 2005

    L’adjoint au maire d’un village du Jura refuse le témoin d’un mariage parce que la jeune femme porte un voile. Le maire soutient l’officier d’état civil en soulignant qu’il doit s’assurer de l’identité des époux mais aussi celle des témoins.
  • Juillet 2010

    Un élu de Clermont-Ferrand refuse de marier une femme portant le nigab. La jeune femme finit par accepter de l’ôter.
  • Juin 2013

    Une adjointe au maire de Lyon, demande à la future mariée de retirer le voile qu’elle porte sur les cheveux, considérant qu’il s’agit d’un signe ostentatoire contraire à l’esprit de la République. La jeune femme s’exécute mais le couple n’entend pas en rester là. Me Gilles Devers attaque « l’injonction » de l’élue devant la justice et réclame 50 000 euros de dommages et intérêts au maire de Lyon. L’affaire n’a toujours pas été jugée.
  • Mars 2012

    La mairie des 9e et 10e arrondissements de Marseille met en place une « charte des bons usages » à l’adresse des futurs époux et de leurs invités interdisant le port de signes religieux. Ces signes sont laissés à l’appréciation de l’élu, indique un adjoint municipal à nos confrères de La Provence.

Me Devers : «Demander de retirer le foulard est illégal»

Dans un communiqué transmis hier, la préfecture a sobrement pris acte de l’ordonnance qui lui est favorable. Mardi, Annette Gonzales, au nom du préfet, avait en effet demandé au juge de rejeter la requête du couple en s’appuyant sur la nécessité de constater l’identité des deux futurs époux. L’avocat des deux Seynois dénonce quant à lui une décision qui « botte en touche ».

« L’opposition formée par l’adjointe était fondée sur la laïcité, et cet argument du doute sur l’identité n’est apparu que devant le tribunal, s’insurge Me Gilles Devers. En l’occurrence il n’y a aucun élément de doute sur l’identité chez ce couple. Le marié est né dans la commune, l’épouse y vit depuis trente ans et les enfants sont dans les écoles publiques. Où est le doute sur l’identité, alors qu’il n’a même pas été demandé la carte d’identité ? S’il y a un doute sur l’identité, on procède à un contrôle dans une salle à part, et la cérémonie se fait dans le respect de la volonté des époux. Demander de retirer le foulard au moment de la cérémonie est illégal et discriminatoire, et répond à des conceptions très erronées de la laïcité.»

La mairie de La Seyne-sur-Mer, représentée à l’audience par Me Mohad Bourouis, n’a pas souhaité commenter l’ordonnance du juge, préférant jouer la carte de l’apaisement.

Éric Marmottans
  1. Le jilbeb est une longue tunique qui ne laisse apparaître que le visage à l’exception du menton, des oreilles et des cheveux.
  2. Les prénoms ont été modifiés à la demande du couple.
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