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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
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Réfractaires à la guerre d’Algérie

Quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, d’anciens réfractaires et des solidaires ont décidé de témoigner. Avoir envie de se rencontrer pour se raconter tant d’années après était parfaitement déraisonnable. Déraisonnables, ils avaient déjà montré qu’ils pouvaient l’être. Leur livre nous apprend comment ils ont décidé ensemble de dire non et d’attiser une conscience si actuelle, de la désobéissance civile comme forme de toute civilisation humaine... Erica Fraters, Réfractaires à la guerre d’Algérie (1959-1962), 224 pages, décembre 20055.

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La mémoire des émotions1

Que savons-nous de notre histoire ? Rien ou presque. Pourquoi ? Parce qu’elle ne nous est jamais donnée à voir qu’à travers une représentation que l’on façonne au gré d’un message intentionnellement tronqué. Parce qu’elle réfère à un passé encore présent pour beaucoup d’entre nous, la guerre d’Algérie garde, à bien des égards, encore ses mystères. Les voiles sur ces « événements » ne se soulèvent finalement que lorsque les langues de nos parents se délient. Mais il faut du temps, beaucoup de temps pour qu’ils nous livrent, lorsqu’ils le font, leur version de l’histoire : non celle du politicien, de l’historien ou du journaliste mais celle plus vibrante, ardente et éprouvante de celui qu’elle a transcendé et souvent meurtri. Et c’est cette émotion qu’ils parviennent à cristalliser dans des mots qui jaillissent parfois au détour d’un repas de famille…

C’est en apprenant que mon compagnon Luc Fiquet avait été conçu, en 1962, lors d’une « visite de Françoise à la prison où se trouvait Christian », qu’un de ces fameux voiles, qui obscurcissent notre quête identitaire, s’est ainsi levé. L’anecdote, racontée par Christian, son père, se voulait amusante et légère. Elle sema un trouble certain que personne, malgré les rires, ne parvint tout à fait à cacher. Je me souviens. J’imagine au début de son récit mon beau-père, cet « homme a priori sans histoire » sous les traits d’un malfrat incarcéré suite à un braquage qui aurait mal tourné. Et, peu à peu, je découvre, après bien plus d’une décennie de côtoiement, que c’est son refus de faire la guerre d’Algérie qui lui a valu, « mais c’était autrefois », de passer plusieurs années en prison. Je suis alors submergée d’une fierté qui vient se conjuguer à l’amour filial que je porte à Françoise et Christian. L’émotion est grande. J’en garde encore un goût de miel dans la bouche…

Djaouida Sehili, sociologue

Réfractaires à la Guerre d’Algérie,1959-1963

par Hadj Hamiani, la Nouvelle République, 24 février 2006

Un travail de mémoire

La loi du 23 février 2005, rappelons-le, dans son article 1, exprime reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés : «la nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et de l’Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.»

Cette loi a provoqué une onde de choc auprès des historiens, intellectuels, chercheurs et autres personnalités du monde politique qu’ils soient algériens ou français, et ce, même après l’intervention du président de la République française M.Jacques Chirac proposant à l’Assemblée nationale la réécriture de cette loi notamment son article 4 stipulant que « Les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la colonisation.»

A ce sujet, le président français a souligné il y a deux semaines, par rapport aux relations algéro-française, détériorées suite à ladite loi l’importance d’une « relation nouvelle, confiante et durable, qui est dans l’intérêt de tous »2.

« Le passé n’est passé que lorsque l’ont peut s’en passer » dit l’adage. En effet et coïncidence sur coïncidence Erica Fraters a édité son livre sous forme de témoignage en étroite collaboration avec l’ ACNV, Action civique non violente. Livre intitulé, Réfractaires à la guerre d’Algérie, 1959-1963 et sorti au mois de décembre de l’année dernière […] pour dire non à cette loi et « réécrire » à sa façon l’histoire de la guerre d’Algérie qu’elle a vécu en direct.

Mais qui est Erica Fraters ?

En fait c’est un nom qui n’existe pas ! Oui chères lectrices et lecteurs il s’agit tout simplement de l’anagramme du mot réfractaires qui englobe toutes ces femmes avec un grand F et tous ces hommes avec un grand H qui ont décidé de témoigner en faveur de l’histoire de la guerre d’Algérie. Il s’agit là d’une œuvre de mémoire. Les Georges Abadia, Cécile Baudonnel, Amégninore, Josette et Yvon Bel, Anita et André Bernard, Pierre Boisgontier, Nadia pour les uns ou Nicole Cheyrouze pour les autres qui n’est autre que la veuve du moudjahid Hocine Cheyrouze, décédé le 18 juillet 2004 à Alger, Geneviève Coudrais, Philippe Delord et tant d’autres qui ont toujours dit non à la colonisation « positive», et ce, depuis le déclenchement de la guerre de libération nationale qui l’ont d’ailleurs soutenue jusqu’au bout et sont restés debout avec un courage étonnant jusqu’à l’indépendance. Tous ceux-là , ont pris la décision de témoigner par écrit, en juin 2003, lors d’une rencontre sur le Causse Noir face au Larzac, prés de Millau. Soit avant même la promulgation par l’Assemblée nationale de la loi du 23 février 2005. […]

Hadj Hamiani

L’honneur des réfractaires3

Honneur à vous, les insoumis, les déserteurs, les objecteurs, les réfractaires qui avez eu le courage de « résister », de dire non, à la pacification, à la torture, aux répressions, aux camps d’internement, le courage de « désobéir aux ordres », à la loi même, aux violations des droits de l’homme, droits individuels et collectifs, droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple algérien. Honneur à vous, les insoumis qui avez su, par obéissance à des valeurs essentielles, désobéir aux ordres injustes.

Vous n’avez jamais rien demandé, ni reconnaissance du peuple algérien, ni approbation de quiconque, pas même des pacifistes car vous étiez et vous restez modestes, vous faisiez ce que vous dictait votre conscience, et vos refus étaient multiples, variés, personnels ; ils étaient riches de leur diversité. Aucun parti, aucune organisation, aucune Église ou obédience quelconque n’avait dicté vos choix. Parfois, contre vos amis, vos proches, votre famille, votre environnement, vous avez décidé seuls, et accepté la prison, pour des années souvent, refusant la fatalité de la violence, la fatalité de l’injustice, violence et injustice auxquelles vous deviez participer « au nom du peuple français ».

Peut-être avez-vous eu tort de vous taire si longtemps, de ne pas réunir plus tôt vos témoignages, vos lettres, vos documents afin qu’une mémoire puisse être écrite, une mémoire juste pour que soit connue la vérité : le contraire d’une mémoire culpabilisante imposée comme un devoir, mais une réalité à établir et à dire.

Vous avez eu raison de penser dans ce travail aux victimes de cette guerre, à leurs souffrances, aux Algériens réprimés, aux condamnés à mort, mais aussi aux rapatriés, aux harkis eux aussi victimes de cette guerre qu’on aurait pu éviter si les politiques de l’époque avaient imaginé un avenir de paix et non imposé la loi des armes.

Vous avez bien fait de ne pas dire : « Nous avons eu raison », alors que tous ceux qui avaient été mobilisés, « rappelés » ne pouvaient que taire une guerre qui les avait humiliés en les obligeant à tuer, voire à torturer, voire à assassiner pour venger ceux de leurs camarades tués à leurs côtés.

Jean-Jacques de Félice, avocat4

  1. Début de la postface de Réfractaires à la guerre d’Algérie.
  2. Déclaration de Jacques Chirac, le 10 janvier 2006, lors de la présentation des corps diplomatiques.
  3. Début de la préface de Réfractaires à la guerre d’Algérie.
  4. Militant des droits de l’homme, Jean-Jacques de Felice s’était engagé depuis les années 1950 aux côtés des militants du FLN et des objecteurs de conscience, mais aussi aux côtés de l’abbé Pierre en faveur des mal-logés, aux côtés des paysans du Larzac, des Kanak de Nouvelle-Calédonie ou des sans-papiers. Il avait été vice-président de la LDH de 1983 à 1986. Il est décédé en juillet 2008, à l’âge de 80 ans. (voir 2811).
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