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Raoul Salan, un général colonial

par Madeleine Rebérioux - Historienne - Présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

L’essentiel de la carrière militaire de Raoul Salan s’est déroulée dans l’empire colonial français rebaptisé, sans consultation des peuples, Union française en 1946. Après avoir occupé divers postes en Indochine entre 1924 et 1937, il devient chef des renseignements au ministère des colonies. En 1942-43, il exerce des responsabilités en relation avec la France libre, notamment en Afrique. Sa participation à la bataille d’Alsace et à la libération de Toulon constitue dans sa vie une glorieuse parenthèse. Dès 1948, retour en Indochine où il devient commandant en chef en janvier 1952, après la mort de de Lattre. C’est le 1er décembre 1956 qu’il est nommé à la tête de la 10ème région militaire : l’Algérie.

Une nomination qui dépendait de Bourgès-Maunoury, ministre radical de la défense nationale dans le cabinet Guy Mollet, et irréductiblement hostile à toute négociation avec les Algériens. Massu, Aussaresses, Trinquier, Bigeard, tous sont sous ses ordres. S’il ne torture pas ou ne tue pas de ses propres mains, ses responsabilités en ce domaine sont immenses. Elles sont encore accrues lorsque, le 6 juin 1958, de Gaulle revenu au pouvoir le nomme, entre autre, délégué général du gouvernement, ce qui lui confère les pouvoirs civils exercés auparavant par Robert Lacoste.

Des travaux récents 1 permettent de connaître les notes de service, les instructions, les directives que Salan adresse aux officiers placés sous son commandement. Voici les dates des principales : 18 décembre 1956 ; 19 janvier, 11 mars (un texte essentiel), 11 avril, 27 avril, 30 avril, 11 juin 1957 ; 18 mars, 23 mars, 28 septembre 1958. Et voici les orientations principales qui s’en dégagent :

– Aucun de ces textes ne préconise la torture : le mot n’est jamais écrit. Salan condamne explicitement les viols et appelle à sanctionner « sévices et exactions » comme des « fautes contre la discipline ». En fait il n’y aura jamais de condamnation.

– « Interrogatoire poussé » ou « serré », telle est la pratique recommandée. La directive du 11 mars 1957 ordonne que  » tout individu appréhendé soit soumis à un interrogatoire aussi poussé que possible  » : en français courant cela s’appelle la torture. Inquiet, l’Etat-Major précise que cette directive est « secrète » et « ne doit en aucun cas être diffusée par écrit » …

– La toute puissance des militaires sur les civils est affirmée avec force : sur ordre de Salan les militaires peuvent garder pendant un mois, dans des centres de triage et de transit, pourvus de centres d’interrogatoires, ceux qu’ils ont appréhendés. Pas question de prisonniers de guerre puisqu’on n’est pas en guerre. Pas question de respecter la loi.

L’avènement de la 5ème République renforce le pouvoir de Raoul Salan qui, le 15 mai 1958, avait, non sans hésitation, fait appel à de Gaulle. Trinquier, Lacheroy, les théoriciens de la « guerre contre-révolutionnaire » croient qu’ils ont gagné.

Pas pour longtemps. Le 19 décembre 1958, Salan quitte l’Algérie. De Gaulle l’a piégé en lui promettant une brillante promotion : un poste d’inspecteur général de l’armée que le général … supprime en février 1959. Humilié, Salan part à Madrid.

C’est de là que, le 23 avril 1961, il rejoint à Alger les colonels et les généraux qui, deux jours plus tôt, ont pris la tête du putsch pour « l’Algérie française » et contre la république gaullienne. Salan a hésité, cette fois encore. Et il a choisi. Lorsque, le 25 avril, le putsch échoue (l’armée n’a pas suivi), il passe, avec Jouhaud, à la clandestinité et entre dans l’OAS et son cortège de rébellion et d’horreur.

Arrêté à Alger le 20 avril 1962, il est condamné à la détention perpétuelle par le Haut Tribunal militaire créé par de Gaulle, le 26 mai 1962. Il a sauvé sa tête.

Bon prince, de Gaulle rend sa liberté à Salan en juin 1968. Meilleur prince encore, François Mitterrand (pour qui il avait appelé à voter entre les deux tours de l’élection présidentielle) fait adopter en novembre 1982 une loi qui le réintègre dans le cadre de réserve ainsi que sept autres généraux putschistes. Le parti socialiste, Pierre Joxe en tête, n’a pas accepté cette politique du « pardon ». Pierre Mauroy, premier ministre, a dû employer l’article 49-3.

Privé de charisme, homme d’une envergure politique et intellectuelle plutôt moyenne, hésitant lorsqu’il fallait prendre de graves décisions, Raoul Salan a cependant su mettre en œuvre la torture, participer à un coup d’état et couvrir, au nom du rêve de l’Algérie française, le soulèvement de l’OAS.

Son nom ne semble pas s’imposer au carrefour d’une grande ville de la République française !

Madeleine Rebérioux

Septembre 2001

  1. Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001,
    Sylvie Thénault, Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
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