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Édition du 1er au 15 décembre 2024
Libération, mercredi 14 juin 2006, page 5.

Publication en 2006 dans Libération d’une mise au point de la section LDH de Toulon

Après une nouvelle mise en cause de notre site internet dans un texte publié dans Libération le 8 juin 2006, qui fait suite à d'autres imputations venant de Claude Liauzu sur des thèmes divers, nous avons adressé une mise au point à Libération, qui l'a intégralement publiée dans son édition de mercredi 14 juin 2006. Nous publions cette mise au point, puis le texte auquel elle répond, signé par Daniel Hémery, Claude Liauzu et Arnaud Nanta. [Première mise en ligne, le 9 juin 2006,
mise à jour, le 14 juin 2006.]
Libération, mercredi 14 juin 2006, page 5.
Libération, mercredi 14 juin 2006, page 5.

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Mise au point de la Ligue des droits de l’homme de Toulon

Libération, mercredi 14 juin 2006, page 5.

Un article de Libération du 8 juin, de Daniel Hémery, Claude Liauzu et Arnaud Nanta (Rebonds), qui parle du «refus de publier sur un site se réclamant de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme des textes d’historiens respectés pour leurs travaux et leurs combats, Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet, sous prétexte que leur critique historique porterait atteinte à la solidarité anticolonialiste», nous impose d’apporter les précisions suivantes.

Le site Internet www.ldh-toulon.net est le site de la section de la Ligue des droits de l’homme de Toulon et non un site «s’en réclamant».

Répondant aux enjeux locaux, il a été conduit à consacrer une place importante au passé colonial.

Comme le dit sa présentation, «des articles nous sont régulièrement proposés que nous décidons en toute liberté de publier ou non».

Claude Liauzu nous a effectivement adressé par mail un texte signé de Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet pour publication sur le site, proposition à laquelle nous n’avons pas donné suite.

Les deux historiens éminents qui en sont les auteurs nous ont confirmé que, quant à eux, ils ne nous avaient jamais adressé une quelconque demande de publication.

Par ailleurs, l’idée qui nous est prêtée de refuser les débats historiographiques pour ne pas porter «atteinte à la solidarité anticolonialiste» n’est pas la nôtre, comme en témoignent de multiples textes du site.

Gilles Desnots, président,

Denise Reverdito et François Nadiras, vice-présidents,

et le bureau de la section de Toulon de la LDH.



Faire valoir le devoir d’histoire

par Daniel Hemery, Claude Liauzu et Arnaud Nanta1.
Libération, jeudi 8 juin 2006.

Par-delà la tyrannie des entreprises de mémoires et d’oublis, il faut retenir la leçon de l’historien Marc Bloch.

Marc Bloch ? Oui, qui constatait lucidement : «Chaque fois que nos tristes sociétés, en perpétuelle crise de croissance, se prennent à douter d’elles-mêmes, on les voit se demander si elles ont eu raison d’interroger leur passé ou si elles l’ont bien interrogé.» Il s’effrayait aussi du gouffre béant entre histoire savante, histoire enseignée et histoire en train de se faire, de l’ignorance envers ce qui n’était pas l’Hexagone. Lui qui refusait que l’historien juge le passé, qui rappelait que sa tâche est d’expliquer, est plus que jamais d’actualité.

Il faut redire l’inquiétude de la profession face à une avalanche de lois mémorielles, à l’exploitation du passé pour des règlements de comptes et à des fins électoralistes, dont les députés nous donnent le spectacle, les uns demandant des sanctions pour négationnisme du génocide arménien, les autres, par vindicte colonialiste, demandant l’abrogation de la loi Taubira. Ceux qui comprennent les raisons de cette loi, certes partielle et partiale, n’acceptent pas non plus qu’elle puisse être utilisée ­ ainsi qu’on a essayé de le faire ­ contre des études comme celles d’Olivier Pétré-Grenouilleau. Elle rappelle justement que l’esclavage (passé à partager par tous ceux qui vivent en métropole et dans les DOM-TOM) a été trop longtemps négligé. Elle est un révélateur et la rançon d’un fossé qui n’a jamais été aussi béant entre la discipline historique et les mémoires sociales. L’histoire n’existe pas sans ces mémoires, mais elles ne peuvent tenir lieu d’histoire. On ne peut oublier que sa fonction est aussi de contribuer à proposer un devenir commun à partir des passés parfois les plus opposés. En ayant laissé à l’abandon les enjeux actuels du passé colonial, on a facilité la constitution d’entreprises de mémoires qui pratiquent la surenchère, cultivent la concurrence victimaire et les exclusives communautaires.

C’est vrai d’un lobby de nostalgiques de l’Algérie française prétendant représenter les rapatriés. Après avoir tenté d’imposer la loi du 23 février exigeant d’enseigner le «rôle positif» de la colonisation, après avoir obtenu une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, à laquelle aucun historien digne de ce nom ne saurait participer, il s’attaque à un colloque scientifique qu’il accuse de «négationnisme» du génocide dont auraient été victimes, selon lui, harkis et pieds-noirs. Ce colloque (Lyon, juin 2006) d’histoire critique et citoyenne a pour objectif de présenter un état des connaissances, de contribuer à leur diffusion, de développer le débat entre historiens algériens et français. Des pressions sont exercées sur les organismes soutenant l’initiative. Le colloque est aussi l’objet de menaces de troubles destinés à empêcher son déroulement.

La réponse pertinente à ces pressions et à ces entreprises consiste-t-elle dans la dénonciation, dont se satisfont certains anticolonialistes «postcoloniaux», d’un prétendu colonialisme négationniste, de falsifications et instrumentalisations qui auraient, paraît-il, gagné une partie de la littérature universitaire la plus autorisée ? Doit-on se soumettre à une telle orthodoxie ? Non. Faut-il également placer les nationalismes d’Etats du Sud au-dessus de toute critique ? Ce serait renoncer aux exigences intellectuelles de la connaissance historique. Ce serait cautionner le discours de légitimité des bureaucraties civiles, militaires et religieuses qui écrasent leurs propres sociétés. Ce serait encore cautionner les zones obscures qui n’épargnent aucun mouvement, aucune révolte populaires. Et manquer à un devoir de solidarité envers ceux qui, dans des conditions difficiles, luttent contre ces dérives et contre les pouvoirs autoritaires.

Il faut aussi attirer l’attention sur les tentations antisémites qui s’affichent de plus en plus dans les échanges universitaires avec le Maghreb. Aucun historien ne peut leur rester indifférent. On se fourvoie gravement en mettant en concurrence «l’humanisme prosémite» et le combat contre tous les racismes. De même, il faut attirer l’attention sur la gravité de refus de publier sur un site se réclamant de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme des textes d’historiens respectés pour leurs travaux et leur combat, Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet, sous prétexte que leur critique historique porterait atteinte à la solidarité anticolonialiste.

Par-delà la tyrannie des entreprises de mémoire (et d’oubli), ce qu’il faut promouvoir, c’est le devoir d’histoire. La critique historique des temps coloniaux (et il ne saurait s’agir de simples dénonciations) doit occuper toute sa place à chaque échelon de l’enseignement et de la recherche. Il faut aussi refondre les programmes de l’histoire enseignée et de la recherche dans le sens d’une histoire mondiale rigoureuse, celle de toutes les civilisations, des nations, des sans-patrie, de l’histoire totale. Dans le sens encore de l’entrée dans la conscience sociale française et européenne du passé des immigrations et des migrants. Marc Bloch, reviens !

  1. Daniel Hémery, Claude Liauzu, historiens à Paris-VII et Arnaud Nanta, historien à l’EHESS-CNRS.
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