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Protestations contre la création d’un ministère chargé de “l’immigration” et de “l’identité nationale

A l'issue du Conseil des ministres du mercredi 30 mai 2007, le service de presse de la présidence de la République a présenté dans un communiqué les décrets définissant ou modifiant les attributions de membres du Gouvernement. Il y est précisé que « le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement prépare et met en oeuvre l'action du Gouvernement en matière d'immigration, d'asile, d'intégration des populations immigrées, de promotion de l'identité nationale1 et de codéveloppement.»2 La création de ce ministère continue à susciter des protestations : le 18 mai, jour où huit historiens et démographes ont démissionné des instances officielles du Cnhi, le collectif Ucij publiait un communiqué que vous trouverez ci-dessous, suivi de plusieurs autres prises de position analogues dont celles de l'Association française des anthropologues et du réseau scientifique Terra.
[Publié le 1er juin, mis à jour le 18 juin 2007]

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Communiqué du collectif Ucij 1

Quand l’Etat s’approprie l’identité nationale,‭ ‬la xénophobie est là

Que peut bien venir faire l‭’« ‬Identité nationale‭ » ‬dans les grands domaines d’action et de gestion de l’Etat‭ ? ‬L’appellation des ministères dessine,‭ ‬en effet,‭ ‬les principaux champs de compétences et de pouvoir du gouvernement de cet Etat.‭ « ‬Développement durable‭ »‬,‭ « ‬Travail et relations sociales‭ »‬,‭ « ‬Economie et Emploi‭ »‬,‭ « ‬Défense‭ »‬,‭ ‬etc.‭ ‬y trouvent naturellement leur place.‭ ‬Et pourquoi pas l‭’« ‬ Immigration‭ »‬,‭ ‬dans le contexte utilitariste explicitement assumé par la réforme de‭ ‬2006‭ ‬de la réglementation relative aux étrangers,‭ ‬selon laquelle le migrant est plus que jamais assimilé à une ressource parmi d’autres ‭ ?

‬Au nom de l’égalité des êtres humains et de l’universalité des droits essentiels dont ils doivent tous bénéficier,‭ ‬l’UCIJ a condamné cette réforme et rejette les notions d‭’« ‬immigration choisie‭ » ‬et d‭’« ‬ immigration subie‭ »‬.‭

‬Avec la création d’un ministère de l‭’« ‬Immigration,‭ ‬de l’Intégration et de l’Identité nationale ‭ »‬,‭ ‬M. Sarkozy avance davantage sur le chemin de la division de l’espèce humaine.‭ ‬En investissant l’Etat du pouvoir de définir l’identité nationale et de veiller à son intégrité,‭ ‬il le détourne de sa mission républicaine qui lui impose de garantir les droits de tous les résidents,‭ ‬quelle que soit leur nationalité.‭ ‬Sauf au cours des périodes les plus détestables de l’histoire de France,‭ ‬l’Etat ne s’est jamais senti responsable des seuls Français ‭ ; ‬il n’a jamais officiellement laissé entendre que les étrangers pouvaient polluer l’identité nationale.‭ ‬L’Etat ne saurait être assimilé à la nation.‭ ‬Il doit la transcender.‭

‬Fidèle à cette orientation nationaliste,‭ ‬le nouveau premier ministre,‭ ‬François Fillon,‭ ‬a affirmé,‭ ‬lors de la passation de pouvoir à Matignon le‭ ‬17‭ ‬mai‭ ‬2007,‭ ‬que‭ « ‬la plus grande force de la France,‭ ‬ce sont les Français eux-mêmes »‬,‭ ‬oubliant ainsi les résidents étrangers.‭ ‬L’omission est particulièrement paradoxale dans une période où le seul étranger recevable est celui qui sert l’économie.‭

‬L’UCIJ constate une fois de plus que la fermeture des frontières aux étrangers qui ont besoin de la France pour des raisons familiales,‭ ‬de sécurité ou de bien-être conduit inexorablement à justifier la violation des droits fondamentaux‭ ‬-‭ ‬droit de vivre en famille,‭ ‬asile,‭ ‬etc.‭ – ‬par la légitimation de vieilles et dangereuses valeurs xénophobes.‭

‬L’UCIJ condamne solennellement cette dérive.‭ ‬Elle invite la société civile à prendre garde aux risques majeurs qu’elle fait courir au principe d’égalité des êtres humains.

Paris,‭ ‬le 18‭ ‬mai‭ ‬2007

Communiqué du Conseil scientifique de Migrations Société

Un ministère pour quoi faire ?

Migrations Société, l’une des principales revues francophones dans le domaine des migrations, est éditée par le Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI) — aujourd’hui l’un des premiers centres de documentation en France sur les questions migratoires — affilié à un réseau international reconnu pour sa qualité d’expertise sur les questions migratoires, le réseau “des centres d’études G. B. Scalabrini”.

Le Conseil scientifique de Migrations Société — qui associe des chercheurs, des universitaires et des intellectuels issus d’horizons politiques, philosophiques et religieux divers — entend faire part de son inquiétude face à la création en France du ministère de « l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement ».

L’association dans un même intitulé ministériel des notions d’« immigration » et d’« identité nationale » contribue à entretenir une confusion préjudiciable à la cohésion nationale et au vivre ensemble, car elle accréditerait l’idée d’une “essence” nationale qui s’opposerait à une “essence” immigrée. Alors que l’identité nationale est une construction collective sans cesse recommencée, une telle association suggère un projet politique de promotion nationale du lien civique dont les ambiguïtés risquent d’attiser les haines identitaires. Cela serait d’autant plus dangereux à un moment où la mondialisation et la construction européenne déstabilisent l’identité nationale et entraînent le besoin de son renouvellement, dans le cadre d’une société moderne construite sur le fondement d’un projet politique éloigné de toute conception ethnique.

Aussi conviendrait-il que le nouveau président de la République renonce à un dispositif ministériel qui, loin d’améliorer le règlement des problèmes quotidiens des Français et des étrangers résidant sur notre territoire, contribue à les obscurcir.

Dans un contexte où la question migratoire risque plus que jamais d’être traitée en tant qu’enjeu politico-électoral, ce qui favoriserait la montée de courants nationalistes et xénophobes qui minent les fondements de notre démocratie, nous entendons renforcer nos activités de réflexion et d’information sur l’ensemble des questions migratoires menées depuis deux décennies dans un esprit d’ouverture, de pluralisme et d’interdisciplinarité.

Dans cette perspective, lors de notre réunion du 21 mai, nous avons décidé de mettre en place un groupe d’étude, d’observation et de réflexion chargé du suivi et de l’analyse scientifique des nouvelles décisions, mesures et réformes relatives au traitement de la population étrangère ou issue de l’immigration (accès aux droits sociaux, discrimination, etc.) et aux questions relatives aux mouvements migratoires, au séjour des étrangers et au droit d’asile.

Migrations Société rendra régulièrement compte des travaux de ce groupe.

Paris, le 22 mai 2007

Déclaration commune d’organisations qui prennent en charge la défense des étrangers

Les organisations s’opposent à l’amalgame

Peu de temps après son installation, le Ministre de l’Immigration, l’intégration, l’identité nationale et la coopération a pris l’initiative de rencontrer les organisations de défense des étrangers.

Avant tout autre chose, les organisations signataires tiennent à exprimer leur extrême répugnance à l’égard de l’apparition de l’« identité nationale » dans la dénomination du ministère entre autres chargé de l’immigration. Cette idée laisse, en effet, supposer que la sauvegarde d’une supposée « pureté nationale », polluée par les migrants, figurerait parmi les objectifs de ce ministère.

Le concept d’« identité nationale » s’inscrit, comme l’ont écrit les historiens démissionnaires de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, « dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise ».

L’invitation de M. Hortefeux aux organisations qui prennent en charge la défense des étrangers nous apparaît comme une entreprise de communication à quelques jours des élections législatives visant à endormir l’opinion publique et les médias et qui fait l’impasse sur la réalité des politiques menées et leurs conséquences humaines tragiques.

Certes, il n’est pas question de remettre en cause la légitimité d’un Président de la République, et de son gouvernement, issu d’une élection démocratique. Mais les associations rappellent que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et principes fondamentaux reconnus par les lois de la République consacrent la liberté d’association et le droit individuel et collectif des citoyens de s’opposer – et même de résister – à des politiques qui remettent en cause la tradition d’accueil des étrangers en France et leurs droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution et les engagements internationaux de la France.

Les associations dénoncent les restrictions annoncées des conditions du regroupement familial, déjà durement mis à mal par les précédentes réformes du Code des étrangers fondées sur l’opposition entre la prétendue immigration « subie » et une pseudo immigration « choisie ».

Elles refusent, dans le programme de Nicolas Sarkozy, que doit mettre en œuvre le ministère Hortefeux, l’assignation d’objectifs quantitatifs et utilitaristes à la politique française d’immigration. De tels objectifs sont notamment incompatibles avec le droit de mener une vie familiale normale et le droit d’asile.

Décider à l’avance à combien de personnes seront réservés ces droits constitue un basculement des politiques d’immigration qui nous apparaît inacceptable et contraire à la tradition républicaine en la matière.

Ce sont ces positions, portées par l’ensemble du milieu associatif, que les organisations feront connaître au ministre.

Paris, le 31 mai 2007

Organisations signataires : ACORT (Assemblée citoyenne des originaires de Turquie), AEOM (Association des étudiants d’origine malgache), ALIF sans-papiers, ATF (Association des Tunisiens en France), ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France), Autremonde, Cedetim (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), COLCREA (Association d’étudiants et créateurs colombiens en France), Collectif de soutien des exilés, Coordination des Groupes de femmes Egalité, Coordination 93 des sans-papiers, CRAN (Conseil représentatif des associations noires), COPAF (Collectif pour l’avenir des foyers), DIDF (Fédération des associations des travailleurs et des jeunes) , Femmes de la Terre, FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés), FIDL Haute Normandie, FSU (Fédération syndicale unitaire), FTCR (Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives), GISTI (Groupe d’informaton et de soutien des immigrés), IACD (Intitiatives et Actions citoyennes pour la démocratie et le développement), IPAM (Réseau Initiatives pour un autre monde), LCR (Ligue communiste révolutionnaire), LDH (Ligue des droits de l’homme), MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), PCF (Parti communiste français), PCOF (Parti communiste des ouvriers de France), RACORT (Rassemblement des associations citoyennes des originaires de Turquie), RAJFIRE (Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées), RESF (Réseau Education sans frontières), RESOVIGI (Lyon), RETSEF (Regroupement des Travailleurs Sénégalais en France), RUSF (Réseau Universités sans frontières), SUD Education, Syndicat de la magistrature, Union syndicale Solidaires


Communiqué de l’Association française des anthropologues 2

à propos de l’instauration d’un ministère
« de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement »

L’Association française des anthropologues estime très alarmante la création d’un ministère « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement » et exprime son soutien aux chercheurs démissionnaires de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI).

Certes, l’instrumentalisation par le gouvernement et de nombreux acteurs politiques des thèmes de l’immigration et de l’intégration n’est pas une nouveauté en France ; elle se traduit depuis une vingtaine d’années par une cascade de lois et circulaires. Une surenchère ininterrompue s’est mise en place, qui renforce la pression sur les étrangers, démantèle le droit d’asile, réduit les possibilités de renouvellement des cartes de séjour, produit des sans papiers, amplifie les contrôles d’identité au faciès et aboutit à fragiliser des pans entiers de la société sous prétexte de lutter contre l’immigration illégale.

Néanmoins, un tournant particulièrement inquiétant a été franchi avec l’instauration d’un ministère associant les termes d’immigration, d’intégration et d’« identité nationale », suggérant que la nation serait menacée ou polluée par l’immigration.

Nous, ethnologues et anthropologues, dont la discipline à vocation comparative fonde son corpus de connaissances sur les questions de l’altérité et de l’identité, tenons à affirmer que la notion d’identité nationale ne saurait avoir de validité scientifique. Elle est une construction sociale imaginaire qui, sous couvert d’unité, tend à renforcer les divisions, les discriminations et les inégalités.

A travers le monde et les époques, les exemples que nous observons montrent que lorsque l’État s’empare du thème de l’identité nationale, c’est partout une incitation directe au mieux à la xénophobie, au pire à des violences entre groupes d’origines différentes. De même que la loi ne dit ni ne fait l’histoire, un État qui se veut démocratique ne saurait édicter l’identité d’une nation, que ce soit en termes ethnique ou culturel, moral ou encore idéologique.

Paris, 31 mai 2007


Communiqué du réseau scientifique TERRA3

Identité nationale et immigration :
inversons la problématique !

Les huit personnalités qui viennent de démissionner du projet de Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), particulièrement compétentes sur l’histoire de l’immigration mais aussi de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie, en France, ont rappelé avec raison que la création d’un Ministère associant dans son intitulé identité nationale et immigration « s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant l’immigration et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise ». Nous approuvons également l’Association française des anthropologues qui rappelle que « lorsque l’État s’empare du thème de l’identité nationale, c’est partout une incitation directe au mieux à la xénophobie, au pire à des violences entre groupes d’origines différentes. »

L’invention d’un nouveau Ministère n’est en effet pas un acte neutre mais un acte de gouvernement à forte portée idéologique. Il institutionnalise un système de pensée, légitime les discours et les actes qui s’y réfèrent, tant des fonctionnaires que des citoyens, et active l’action publique dans un sens déterminé. De quel système de pensée procède le positionnement, au plus haut niveau de la hiérarchie symbolique et administrative de l’Etat, de l’identité nationale face à l’immigration, mais aussi face à l’intégration qui concerne tous les étrangers et leurs différences et face au codéveloppement ainsi officiellement réduit à un dispositif antimigratoire ?

Par ce cadrage idéologique et par les politiques qui en résulteront, la création de ce Ministère va enraciner plus encore dans notre culture politique l’opposition entre la question nationale et le fait migratoire. Il risque d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire, celle d’un nationalisme d’Etat et d’une xénophobie de gouvernement tendant à stigmatiser l’étranger comme un problème, un risque, voire une menace pour l’intégrité ou l’identité nationale.

Si, au contraire, la finalité politique de ce gouvernement et, plus largement, des élites dirigeantes de ce pays, est de réduire ce risque, il leur incombe alors d’examiner l’hypothèse d’une problématique inversée : s’il y a un problème entre l’immigration et l’identité nationale, il provient de la place qu’occupe aujourd’hui, au terme d’une évolution de plusieurs décennies déjà, l’enjeu national dans les débats politiques. De même que l’antisémitisme ne résultait pas d’un « problème juif », la xénophobie qui s’exprime aujourd’hui ne résulte pas d’un « problème migratoire » mais d’une montée en puissance des idéologies xénophobes dans nos cultures politiques.

Nous appelons par la présente l’ensemble des institutions d’enseignement et de recherche, y compris les professeurs d’écoles, de collèges et de lycées, les revues de sciences humaines et sociales, les journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision, les organismes de réflexion affiliés à des partis politiques, syndicats et associations à assumer leurs responsabilités intellectuelles dans un tel contexte historique.

Nous les appelons à ouvrir, organiser et animer systématiquement, selon des modalités propres à chacun, un vaste chantier national de recherche, de débat et de réflexion sur les orgines des nationalismes, xénophobies et discriminations ainsi que sur les causes de leurs réapparitions périodiques dans l’histoire de l’humanité. Dans les cinq ans qui viennent il conviendra d’analyser particulièrement le rôle que peuvent jouer les institutions publiques dans l’exacerbation de ces phénomènes sociaux.

Paris, le 1er juin 2007

  1. Le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable (Ucij) rassemble les 815 organisations signataires de la pétition « Uni(e)s contre une immigration jetable ».
  2. Association française des anthropologues,

    FMSH, 54 bd Raspail, 75270 Paris cedex 6

    http://www.afa.msh-paris.fr/. .
  3. le réseau scientifique TERRA (Travaux, Etudes, Recherches sur les Réfugiés et l’Asile) : http://terra.rezo.net/.
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