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Édition du 15 janvier au 1er février 2025
Hooligarou

Première condamnation d’un joueur de football pour injures racistes sur un stade

Un footballeur amateur de Lagnieu (Ain) a été condamné en juin dernier à quatre mois de prison avec sursis pour injures à caractère raciste. Il a été reconnu coupable d'avoir proféré à un joueur adverse, le 25 janvier 2009, lors d'un match de 2e division départementale : " Va doucement, on en a mis cinq dans votre cul, sale Nègre, t'as rien à dire, sale singe !" C'est la première fois en France qu'un joueur est condamné pour injures racistes. Le procès en appel s'est déroulé à Lyon. La décision du tribunal sera connue le 22 octobre prochain. « Ce procès a été le strict reflet de la réalité de la France », a souligné Alain Jakubowicz, l'avocat de Makam Traoré. Pour combattre racisme et violence dans le football, une série de courts-métrages de 2 minutes chacun, intitulée les « Insupportables», est en cours de réalisation. On y verra un père de famille se transformer en une bête assoiffée de haine, Hooligarou, quand il va voir un match de foot... 3
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Hooligarou

« Pourquoi certains ont-ils dit qu’il y avait trop de joueurs noirs en France?

Mais parce qu’il y a trop de blancs racistes. »

Aimé Césaire, Des noirs en couleur (2007)1

Un « Sale singe !» qui ne passe pas

par Mustapha Kessous, Le Monde du 1er juin 2009

La France ? Il l’aime encore, mais Makam Traoré pense la quitter. Juste un temps, le temps d’oublier qu’il n’est pas un « sale singe », un « sale Nègre ». Partir loin de son HLM de Chambéry (Savoie) pour retourner au bled, à Diataya, au Mali. Là-bas, sous le ciel de ses ancêtres, la « misère » adoucira, pense-t-il, sa douleur, celle qui le ronge jusqu’au plus profond de son ADN, celle qui l’empêche de dormir. Depuis cent vingt-huit jours, l’insomnie est devenue sa nouvelle compagne.

Depuis qu’un autre joueur lui a « craché » à la figure « sale singe », « sale Nègre », le 25 janvier, lors d’un match de football de 2e division départementale dans l’Ain, Makam Traoré, 32 ans, n’arrive pas à se relever. Ce dimanche-là, le capitaine de l’équipe de Rossillon, qui compte, entre autres, sept Africains et deux Russes, se déplaçait à Lagnieu devant une trentaine de spectateurs.

85e minute, 5 à 0 pour Lagnieu. Makam signale une faute à l’arbitre. Des personnes dans le public lancent : « Sale Nègre, ferme ta gueule ! Tu te crois où ? » Puis le capitaine jure qu’un joueur de Lagnieu, le numéro 13, lui aurait lâché : « Va doucement, on en a mis cinq dans votre cul, sale Nègre, t’as rien à dire, sale singe ! »

L’arbitre, qui a entendu les insultes, décide d’arrêter la rencontre – fait extrêmement rare. Makam pleure, « pète un plomb », secoue des grillages de rage avant d’aller porter plainte. Quelques semaines plus tard, le numéro 13 de Lagnieu, Maxence Cavalcante, 23 ans, est convoqué à la gendarmerie : il nie, mais, après une nuit en garde à vue, il avoue, s’excuse. Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Belley (Ain) pour injure à caractère raciste : c’est la première fois en France qu’un joueur se fait juger pour ces faits-là. Le procès s’est déroulé le 5 mai, et une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis a été requise. Le décision devrait être rendue mardi 2 juin.

« Et, depuis le procès, Makam ne va pas mieux », soupire sa conjointe, Kristel Favre-Rochey, 28 ans. « C’est dur. C’est la première fois que je le vois comme ça », poursuit-elle. Dans le passé, Makam ne s’était jamais fait insulter de cette manière, juste un harcèlement de la police, des contrôles incessants, des regards dans les rues de Chambéry quand le couple les arpente. « Je ne sais pas m’y prendre. On ne m’a jamais traitée de “sale Blanche” », raconte, démunie, Kristel.

Depuis ce dimanche 25 janvier, Makam est détruit. Les huit jours d’arrêt maladie pour « syndrome dépressif » ne l’ont pas apaisé. « Je me sens sale, souffle-t-il, C’est comme si on m’avait violé : j’ai honte. Je n’ai plus envie de sortir avec ma famille. » Il l’a fait, il y a quelques semaines. Dans une foire, il s’est acheté un… gorille en peluche et s’est baladé en ville avec. « Ben quoi ?, lance Makam. Il fallait bien montrer aux gens que je ne suis qu’un singe. » Il s’arrête. Silence : « Un singe et pas un Français ! » La France ? Il l’aime encore, mais il en est « dégoûté ». Makam se demande s’il ne va pas renoncer à sa nationalité acquise en 2003 après dix ans de vie dans les Alpes. […]

Mustapha Kessous

Le procès des insultes racistes joue les prolongations

par Mustapha Kessous, Le Monde du 26 septembre 2009

Le procès commence par un lapsus : « Nous allons débuter par l’interrogatoire du prévenu Makam, euh, Maxence Cavalcante », se reprend Dominique Bréjoux, le président de la 7e chambre de la cour d’appel de Lyon, jeudi 24 septembre. Makam Traoré, 32 ans, c’est le capitaine du club de football de Rossillon (Ain), traité de « sale singe » lors d’un match de 2e division départementale, le 25 janvier. Maxence Cavalcante, 24 ans, du club de Lagnieu, serait l’auteur supposé de ces « injures à caractère raciste ».

C’est un grand gaillard, fier, préférant rester debout sur ses béquilles – il est blessé à un genou – pour répondre au tribunal. Le chauffeur-livreur dément avoir lâché : « Va doucement, on en a mis cinq dans votre cul, sale nègre », au Franco-Malien qui avait signalé une faute à l’arbitre. Cavalcante n’aurait rien dit, rien vu, rien entendu. Pourtant, l’arbitre a bien entendu des insultes, des cris de singe qui jaillissaient de la tribune depuis le début de la rencontre dès qu’un joueur noir – Rossillon en compte sept – touchait la balle. Il décide de stopper le match.

Après une nuit en garde à vue, le joueur de Lagnieu a avoué et demandé pardon à son adversaire pour avoir proféré sous « la colère » ces mots avant de se rétracter. « Je voulais sortir », explique-t-il. Le grand gaillard n’a pas supporté la pression psychologique infligée par les gendarmes. Ces derniers lui auraient extorqué des aveux en le traitant de « rital », lui qui est d’origine italienne.

A la barre, Makam Traoré s’est, comme en première instance, effondré. Il est désarçonné face au mutisme glacial du prévenu, au point que son conseil, Alain Jakubowicz, lui demande de se calmer. Son avocat, qui représente aussi la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), partie civile au procès, pointe le côté destructeur de ces insultes, l’envie de son client de quitter la France… Pour la défense, Makam Traoré est peu « crédible ». Excepté lui, personne n’a désigné Maxence Cavalcante comme l’auteur des injures. « C’est la parole de l’un contre celle de l’autre », assure Me Philippe Bontems. L’avocat général, Christian Ponsard, regrette le manque de « sincérité » du jeune Cavalcante, rappelant que « le racisme n’est pas une opinion mais un délit ». Il a notamment réclamé quatre mois de prison avec sursis avec mise à l’épreuve et trois ans d’interdiction de stade. La décision a été mise en délibéré au 22 octobre.

Mustapha Kessous

Lilian Thuram : « Expliquer le racisme et éduquer les gens »2

Pour combattre le racisme, il faut tout d’abord, le comprendre sous tous ses aspects, être conscients
de la construction sociale des «races», désapprendre les préjugés hérités des générations antérieures et rompre avec la hiérarchie raciale de l’esclavagisme et du colonialisme. Nous devons nous mobiliser et aider les victimes du racisme sur le plan juridique et psychologique. En outre, on a tendance à diaboliser les racistes, avec ce qui se passe dans les stades. Certes, il faut les dénoncer, les combattre et les sanctionner. Mais avant toute chose, il faut expliquer ce phénomène et éduquer les gens. Il faut aussi que l’Etat accentue son action dans ce domaine, mais aussi les fédérations sportives.

  1. Voir le site http://www.desnoirsdanslesbleus.com/.
  2. Propos recueillis par Pascal Blanchard, publiés dans Libération le 9 octobre 2009.
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