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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

pour Uri Avnery, la revendication d’Israël d’être reconnu “État-nation du peuple juif” est absurde

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou pose comme condition absolue à la paix la reconnaissance d'Israël comme État-nation du peuple juif. Pour lui, l'obstacle principal à la paix au Proche-Orient, est «l'absence de volonté des Palestiniens d'accepter un État juif», et non la politique de colonisation israélienne dans les territoires occupés, critiquée par de nombreux responsables. Dans un article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 8 février 2014?, Uri Avnery expose l'absurdité d'une telle exigence. Ci-dessous la traduction française de cet article1.

Encore un rêve chimérique


Qu’est-ce qui ne va pas dans le fait d’exiger que la direction pales­ti­nienne recon­naisse Israël comme “l’État-Nation du Peuple Juif” ?

Eh bien, pratiquement tout.

Les États se recon­naissent mutuel­lement. Ils n’ont pas à recon­naître leur caractère idéo­lo­gique respectif.

Un État est une réalité. Les idéo­logies appar­tiennent au domaine de l’abstraction.

Lorsque les États-??Unis ont reconnu l’Union Sovié­tique en 1933, ils ont reconnu l’État. Ils n’ont pas reconnu sa nature communiste.

Lorsque l’OLP a reconnu l’État d’Israël dans le cadre des Accords d’Oslo, ainsi que dans l’échange de lettres qui les a pré­cédés, il ne lui était pas demandé de recon­naître son idéo­logie sio­niste. Lorsque Israël a réci­pro­quement reconnu l’OLP comme le repré­sentant du peuple pales­tinien, il n’a reconnu aucune
idéo­logie pales­ti­nienne par­ti­cu­lière, laïque ou religieuse.

Cer­tains Israé­liens (dont moi) aime­raient changer l’auto-définition d’Israël comme “État Juif et Démo­cra­tique”, en retirant le mot “Juif”. D’autres Israé­liens aime­raient omettre ou retirer le mot “démo­cra­tique”. Aucun d’entre nous ne pense que nous avons besoin de la rati­fi­cation des Pales­ti­niens pour cela.

Ce n’est tout simplement pas leur affaire

Je ne sais pas quelle est l’intention réelle de Néta­nyahou lorsqu’il pré­sente cette exi­gence comme un ultimatum.

L’explication qui flatte le plus son égo est que ce n’est qu’une nou­velle manœuvre pour saboter le “pro­cessus de paix” avant qu’il n’en vienne à exiger l’évacuation des colonies israé­liennes des ter­ri­toires pales­ti­niens. L’explication la moins flat­teuse, c’est qu’il y croit vraiment, qu’il est poussé par un com­plexe d’infériorité national pro­fon­dément ancré qui exige une garantie exté­rieure de “légi­timité”. La recon­nais­sance de “L’État-Nation du Peuple Juif” implique d’accepter la totalité du dis­cours sio­niste en bloc, depuis la pro­messe de Dieu à Abraham jusqu’à l’époque actuelle.

Lorsque John Kerry envisage l’éventualité de faire figurer cette exi­gence dans son Accord Cadre, il devrait y réfléchir à deux fois.

Où cela laisserait-??il son envoyé spécial, Martin Indyk ?

Martin Indyk est juif, il porte un nom yiddish (Indyk signifie dinde). Si Israël est l’État de l’ensemble de la nation juive ou du peuple juif, il en fait partie qu’il le veuille ou non. L’État d’Israël le repré­sente, lui aussi. Alors, comment peut-??il se com­porter en inter­mé­diaire honnête entre les deux parties en conflit ?

Et où cela laisse-??t-??il les mil­lions de Juifs amé­ri­cains, à l’heure où le conflit entre les gou­ver­ne­ments des États-??Unis et d’Israël se fait plus profond ? De quel côté sont-??ils ? Sont-??ils tous des Jonathan Pollards ?

La Voix américaine indé­pen­dante à l’égard d’Israël nou­vel­lement créée incite les Israé­liens de droite à ima­giner des solu­tions de plus en plus bizarres.

Le dernier exemple en est la brillante idée de Ben­jamin Néta­nyahou : pourquoi ne pas laisser les colons israé­liens où ils sont comme citoyens palestiniens ?

Cela semble tout à fait honnête à beaucoup de gens rai­son­nables, dans la meilleure tra­dition anglo-??saxonne.

L’État d’Israël compte actuel­lement 1,6 million de citoyens arabes pales­ti­niens. Pourquoi l’État de Palestine, com­prenant Jéru­salem Est, n’intègrerait-t-il pas 0,6 million de citoyens juifs israéliens ?

Les Arabes d’Israël jouissent, du moins en théorie, de tous les droits prévus par la loi. Ils votent pour la Knesset. Pourquoi ces Israé­liens ne jouiraient-??ils pas en Palestine de tous les droits prévus par la loi, ne voteraient-??ils pas pour les Majlis et ne seraient-??ils pas soumis à la loi ?

Les gens aiment la symétrie. La symétrie rend la vie plus facile. Elle réduit la com­plexité. (Lorsque j’étais une jeune recrue dans l’armée, on m’avait appris à me méfier de la symétrie. La symétrie est rare dans la nature. Lorsque l’on voit des arbres régu­liè­rement espacés, on m’avait dit que ce n’était pas une forêt mais des soldats ennemis camouflés.)

Cette symétrie-ci est fausse, elle aussi

Les citoyens arabes d’Israël vivent sur leur terre. Leurs ancêtres y ont vécu pendant au moins 1400 ans, et peut-??être pendant 5000 ans. Sa’eb Erekat s’est exclamé cette semaine que sa famille vivait à Jéricho depuis 10.000 ans, alors que son homo­logue, Tzipi Livni, est la fille d’un immigrant.

Les colons des ter­ri­toires pales­ti­niens occupés sont pour la plupart de nou­veaux immi­grants, eux aussi. Ils ne sont pas ins­tallés sur la terre de leurs ancêtres, mais sur une terre pales­ti­nienne expro­priée par la force?–?qu’il s’agisse de terres “privées” ou de “terres gou­ver­ne­men­tales”. Ces soi-??disant “terres gou­ver­ne­men­tales” étaient les réserves de terres com­mu­nales des vil­lages qui, à l’époque ottomane, étaient enre­gis­trées au nom du Sultan, et plus tard au nom de l’autorité bri­tan­nique ou jor­da­nienne. Lorsqu’Israël a conquis le secteur, il s’est emparé de ces terres comme si elles lui appartenaient.

Mais la question prin­cipale est quelque peu dif­fé­rente. Elle concerne le caractère des colons eux-??mêmes.

Le noyau dur des colons, pré­ci­sément ceux qui vivent dans les petites colonies “isolées” dans des sec­teurs qui feront dans tous les cas partie de l’État
Pales­tinien, est constitué de reli­gieux et de natio­na­listes fanatiques.

Leur choix même de quitter des maisons confor­tables en Israël pour aller vers les col­lines pier­reuses et désolées de “Judée-??Samarie” relevait de l’idéalisme. C’était pour reven­diquer cette zone pour Israël, accomplir leur inter­pré­tation du com­man­dement de Dieu et rendre défi­ni­ti­vement impos­sible un État Palestinien.

L’idée de voir ces gens devenir des citoyens res­pec­tueux des lois du même État pales­tinien est absurde. La plupart d’entre eux haïssent tout ce qui est arabe, y compris les tra­vailleurs qui tra­vaillent pour eux sans béné­ficier de salaires minimum ou de droits sociaux, et ils le disent ouver­tement à tout propos. Ils sou­tiennent les voyous du “prix à payer” qui ter­ro­risent leurs voisins arabes, ou tout au moins ne disent rien contre eux. Ils obéissent à leurs rabbins fana­tiques qui débattent entre eux pour savoir s’il est juste de tuer des enfants non-??juifs qui pour­raient, devenus adultes, tuer des Juifs. Ils pro­jettent de construire le Troi­sième Temple, après avoir fait sauter les sanc­tuaires musulmans.

Envisager qu’ils soient citoyens palestiniens est ridicule.

Bien sûr, ce ne sont pas tous les colons qui sont comme cela.

Cette semaine, une chaîne de télé­vision israé­lienne a diffusé une série d’émissions sur la situation éco­no­mique des colons. Ce fut une révélation.

Ces pion­niers idéo­lo­giques, vivant sous des tentes et des huttes en bois, ont disparu depuis long­temps. Beaucoup de colonies sont main­tenant consti­tuées d’immeubles magni­fiques, avec chacun sa piscine, ses chevaux et ses vergers?–?quelque chose que 99% des Israé­liens ne peuvent même pas ima­giner. Comme ils viennent presque tous dans les “ter­ri­toires” sans un shekel en poche, il est clair que tous ces palaces ont été construits avec l’argent de nos impôts?–?les sommes énormes consa­crées chaque année à cette entreprise.

Les grou­pe­ments de colonies urbaines près de la Ligne Verte appelés “blocs de colonies” sont une autre affaire. Ils sont sus­cep­tibles d’être réunis à Israël dans le cadre d’un “échange de ter­ri­toires”. Mais au moins deux d’entre eux posent de graves ques­tions. Ariel qui se situe à quelque 25 km à l’intérieur de l’État pales­tinien envisagé, et Maaleh Adumim, qui coupe pra­ti­quement la Cis­jor­danie en deux.

Incor­porer ces deux villes impor­tantes avec leurs habi­tants à un État de Palestine sou­verain est un rêve chimérique.

Lorsque Netanyahou a promis cette semaine qu’il ne reti­rerait pas un seul colon ni qu’il n’évacuerait pas une seule colonie, il se peut qu’il ait pensé à Charles de Gaulle qui, lui non plus, n’a pas retiré de colons ni démantelé des colonies. Il a sim­plement fixé la date à laquelle l’armée fran­çaise quit­terait l’Algérie.

Cela suffit.

Uri Avnery

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