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Édition du 15 décembre 2025 au 3 janvier 2026

Pour une journée de reconnaissance nationale des travailleurs immigrés de l’après-guerre

Dans le cadre de la Journée internationale des migrant-es, le 18 décembre 2025, un appel intitulé « Né-es ici ou venu-es d’ailleurs : pour une France de liberté, d’égalité et de solidarité » a été lancé par de nombreuses organisations, associatives et syndicales. Il appelle à cette date à une mobilisation à Paris et partout en France (voir la liste des signataires de cet appel en fin de page).

Nous relayons ici l’appel du « collectif du 1er janvier » à l’instauration d’une journée d’hommage national aux travailleurs immigrés. Il se nomme ainsi car beaucoup de travailleurs immigrés à l’époque coloniale et postcoloniale ne connaissaient pas leur date de naissance et l’administration leur en a attribué une : le 1er janvier. Il estime que cette date, devenue symbolique pour des milliers d’hommes et de femmes venus reconstruire la France, mérite d’être reconnue par la Nation. Que c’est la date la plus symbolique pour leur rendre hommage, reconnaître leurs sacrifices et inscrire leurs récits dans la mémoire nationale.

Ce collectif du 1er janvier réunit des personnes souhaitant la reconnaissance nationale des travailleurs immigrés de l’après-guerre. Elles veulent rendre visibles leur apport à l’économie française mais aussi leurs histoires et leurs récits. Pour cela, elles œuvrent dans un premier temps à la création d’une journée nationale de reconnaissance de ces travailleurs. Afin qu’ils aient la place qui leur est due dans les livres d’histoire, les établissements publics et les œuvres culturelles. Elles s’engagent aussi pour une amélioration des conditions de vie des plus précaires d’entre eux et se placent dans une posture de relais de leurs récits et non d’appropriation. Ce collectif, qui a publié dans Le Monde la tribune ci-dessous, s’exprime aussi sur son site internet.


« Le 1ᵉʳ janvier doit être une journée de reconnaissance nationale des travailleurs immigrés de l’après-guerre »

Tribune publiée par Le Monde, le 8 décembre 2025.

Source

Nous sommes dans les années 1940, 1950, 1960… Dans les gares, les aéroports, aux frontières, en bateau ou en voiture, ils sont des centaines de milliers à arriver en France après avoir quitté leur pays natal, leur famille, leurs racines. La France voit en eux des bras qui, à moindre coût, lui permettront de se relever de la seconde guerre mondiale. Eux rêvent à une vie meilleure, laquelle se résume souvent à épargner suffisamment d’argent pour un jour retourner au pays tout en envoyant de quoi faire vivre la famille restée là-bas en attendant. Il peut s’agir de grands-parents, de parents, de frères, de sœurs, d’épouses, d’enfants…

Beaucoup d’entre eux ne connaissent pas leur date de naissance. Elle a donc été établie d’office par l’administration coloniale au 1er janvier. Si tous les travailleurs immigrés connaissent souvent avec précision la date de leur arrivée en France, ils ignorent parfois celle de leur arrivée au monde.

Certains seront recrutés pour travailler dans les mines de l’est de la France, notamment par Félix Mora, d’autres se retrouvent à travailler à la chaîne, d’autres encore occupent les chantiers de construction. Ils viennent d’Afrique du Nord ou de l’Ouest, du sud de l’Europe ou de l’Asie. En 1954, 65 % des personnes actives étrangères sont des ouvriers, le taux passe à 77 % en 1975.

Oubliés des livres d’histoire

Durant des années, ces immigrés ont travaillé, souvent dans des conditions précaires, à faire des métiers pénibles, affrontant le racisme, la solitude, les blessures de l’exil, le déclassement, les désillusions aussi. Certains ont vécu ici sans reconnaissance, d’autres ont réussi à s’enraciner, à faire venir leurs proches, à élever leurs enfants dans ce pays, tout en gardant la mémoire de celui qu’ils avaient quitté.

Loin de l’image silencieuse et docile que certains ont d’eux, ils ont pu se constituer en association ou en syndicat pour faire valoir leurs droits ou protester contre les crimes racistes, notamment dans les années 1970, avec les luttes dans les foyers Sonacotra [devenue Adoma] ou avec le Mouvement des travailleurs arabes. Ils ont eu un engagement décolonial, comme en témoigne la mobilisation des « travailleurs indochinois » en pleine guerre d’indépendance.

Considéré en France comme une simple force de travail, indispensable mais invisible, comme l’a documenté Abdelmalek Sayad dans l’ouvrage posthume La Double Absence (1999), on ne parle pas souvent des travailleurs immigrés dans les livres d’histoire. Leur contribution est réduite à des chiffres, alors que leurs vies racontent un pan essentiel de l’histoire de la France contemporaine. Leurs doutes, leurs regrets, cette croyance qu’ils avaient de vouloir un jour retourner définitivement dans leur pays. Leurs descendants ont souvent reconstitué ces récits seuls – les obstacles, les rencontres ou leurs premiers jours sur le sol français –, et ont ainsi compris qu’ils faisaient partie intégrante de l’histoire nationale en dépit des stigmatisations, des discriminations et de la haine qui se propage chaque jour un peu plus.

Visibiliser leurs récits

Selon l’Insee, en 2021, plus de 7 millions de personnes en France, hors Mayotte, sont des descendants d’immigrés de deuxième génération. S’ils n’ont pas connu la migration, au moins un de leurs parents est immigré. Parmi elles, 45 % ont un parent originaire du Maghreb, 25 % d’Europe du Sud, 12 % d’Afrique subsaharienne et 11 % d’Asie (5 % pour la Turquie et le Moyen-Orient et 6 % pour les autres pays d’Asie dont 2 % d’Asie du Sud-Est).

Alors que cette génération vieillit et disparaît peu à peu, il est plus que jamais nécessaire de reconnaître officiellement leurs sacrifices et leur apport à ce pays. Le 1er janvier doit leur être consacré et considéré comme une journée de reconnaissance nationale des travailleurs immigrés de l’après-guerre.

Nous leur devons bien plus qu’une journée, mais elle permettrait de visibiliser leurs récits, de réclamer leurs droits quand c’est nécessaire. Certains vivent dans des conditions précaires en proie à la pauvreté et à l’isolement. Inscrire une telle journée, c’est aussi dire à leurs descendants que ce pays est le leur. Que leur histoire familiale et l’histoire de la République sont intimement liées. Et qu’aucun discours, d’où qu’il vienne, ne pourra remettre cela en cause. Leur dédier cette journée, déjà si symbolique et célébrée dans de nombreuses familles immigrées, c’est consacrer que la grandeur de la France a aussi été façonnée par des mains d’ouvriers immigrés.

Premiers signataires : Rachida Brakni, actrice ; Annie Ernaux, écrivaine ; Abdellali Hajjat, sociologue ; Lyna Khoudri, actrice ; Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire ; Grace Ly, écrivaine ; Latifa Oulkhouir, journaliste et militante, initiatrice de la tribune ; Maboula Soumahoro, présidente de l’association Black History Month ; Fabrice Riceputi, historien ; Naïma Yahi, historienne ; Alice Zeniter, écrivaine.

Liste complète des signataires à retrouver ici.


Voir la présentation du collectif sur Facebook


Signataires de l’Appel « Né-es ici ou venu-es d’ailleurs : pour une France de liberté, d’égalité et de solidarité »

Premiers signataires : Attac, CGT, La Cimade, Femmes Egalité, FSU, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Oxfam France, Mrap, Union syndicale Solidaires, SOS Racisme, Unef.

Autres signataires : Accueil Réfugiés Bruz (35), Accueil Solidaire Grenoble, Action catholique ouvrière (ACO), Aides, Amnesty International France, Les Amoureux au ban public, Arcolan Pau Béarn, L’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (L’Acort), Association Douba, Association des familles victimes du saturnisme (AFVS),  Association des Marocains en France (AMF), Association d’accueil des demandeurs d’asile  Mulhouse (AADA – Mulhouse), Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), Association Solidarité mamans (papas) solos, Association Unjourlapaix à Embrun, ATD Quart Monde, ATPAC Maison Solidaire, La Boutique d’écriture,  CSBE La Place Santé, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cetedim), Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), CFDT Moselle, Collectif Accès au droit, Collectif accueil migrants Barbezieux, Collectif Chabatz d’entrar Limoges, Collectif Migrants 83, Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), Collectif saint-lois d’aide aux migrants (CSLAM), Comede (Comité pour la santé des exilé.e.s), Comité Nîmois des Soulèvements de la Terre, Comité de suivi du symposium sur les Sénégalais de l’extérieur (CSSSE), CRDE – Solidarité Migrants Pau Béarn (Collectif pour le respect des droits des étrangers), La Croisée des chemins, Cuisine sans frontières, Diaconat protestant de Grenoble, Dom’Asile, Une Ecole, un Toit, des Papiers – Pays dacquois (ETP-Pays dacquois ), Elena-France,  Emmaüs France, Fédération Etorkinekin Diakité, Femmes de la Terre, Femmes Solidaires 93, France Amérique Latine (FAL), Groupe accueil et solidarité (Gas), Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es), Grève Féministe, J’en suis j’y reste – centre LGBTQIAF de Lille (JSRS), Ligue de l’Enseignement de l’Isère, Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie (LFID), Madera, Maison de l’hospitalité Martigues, Médecins du Monde, Min’de Rien, Mouvement français pour le Planning familial, Mouvement de la Paix, #NousToutes, Observatoire des camps de réfugiés, Organisation de Solidarité Trans (OST) Pau Béarn, People’s Health Movement France (PHM France), Polaris 14, Port d’attache Granville, La Pourtère,  Les P’tits Papiers, RCI- Solidarité exilés, Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes (Raar), Réseau éducation sans frontières (RESF), Réseau Féministe « Ruptures », Réseau Louis Guilloux, Roya citoyenne, Solidarité-exil, Solidarité migrants Annecy, Rosmerta, SOS Refoulement Dijon, Sous le même ciel, Soutien Asile Nord 21, Soutien Migrants Redon, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat de la Médecine Générale (SMG), Toutes et tous migrants, Toutes Pour Une, Union générale des Egyptiens de France, UniR Universités & Réfugié.e.s, Utopia 56, Watizat (Paris).


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