Des mots plutôt que des coups. Alors que, vendredi soir, le Premier ministre a reçu des jeunes de cités et que des incidents reprenaient, d’autres parlent. Des «encagoulés», des grands frères ou juste des voisins. Après une semaine de violents affrontements en Ile-de-France, ils reviennent sur les raisons de cette colère.
C’est devenu une obsession. Tous ou presque citent «Sarko». Et mettent en cause avec véhémence ses propos. Ce sont bien souvent leurs premiers mots. Avec un même sentiment à fleur de peau : le manque de «respect».
Christophe, 22 ans, étudiant dans les Hauts-de-Seine 1 : «Quand je vois ce qui se passe en ce moment, j’en reviens toujours à une image: Sarkozy à Argenteuil qui lève la tête et lance: « Madame, je vais nettoyer tout ça. » Résultat ? A force de se la jouer superhéros, supermégalo, Sarko a fait partir tout le monde en vrille. Il a montré un total irrespect envers tout le monde.»
Ludwel, 19 ans, et Warren, 18 ans, en BTS à Aulnay-sous-Bois, dénoncent cet amalgame ministériel: «Sarko a mal parlé. Même dans les cités dites extrêmement dangereuses ou violentes, il y a une variété. On a tendance à dire « la racaille » alors qu’il y a des gens qui vont bien, qui n’ont pas de problèmes.»
Rachid est plus jeune. Il est de Clichy-sous-Bois. Pour lui, il n’y a pas de doute sur l’emballement: les déclarations de Sarkozy, puis la grenade lacrymogène dans la mosquée : «En attaquant la mosquée Bilal, on a touché à un lieu de culte : on ne pardonnera pas cet acte. C’est le summum. Et personne n’a rien dit ! Cela veut dire qu’on est des laissés-pour-compte. Tout ce qu’on demande, c’est qu’ils s’excusent.» Youssef, 20 ans, éducateur à Bondy, ne dit pas autre chose : «Les jeunes ne sont pas tous pratiquants, mais tous croyants.» Mounir et Patrice, «grands frères» à Sevran, se veulent plus politiques. «Cette provocation de Sarkozy, c’était voulu, pour remettre l’insécurité sur le tapis avant les élections de 2007.»
Si tel était le cas, l’objectif est atteint. Tout s’est emballé. Entre les uns qui regardent, les plus jeunes qui s’agitent, et ceux qui tentent de limiter les dégâts. «Ceux qui foutent le feu ? Ils ont entre 14 et 22 ans. Ils retournent tout ce qui se trouve sur leur passage, raconte Mourad, 28 ans, qui habite une cité d’Aulnay. On ne sait pas vraiment qui ils sont, parce que ceux qui font ça, ils ne parlent pas. Ils se masquent le visage et ne viennent pas flamber le lendemain.» Mourad les comprend en partie : «Mais au lieu de tout niquer, ils feraient mieux de manifester ou d’aller casser sur Paris. Le soir, je suis obligé de tourner avec la voiture pour la mettre à l’abri.» Selon un groupe d’adolescents, même des habitants de la cité des 1000-1000 d’Aulnay seraient pris pour cible : «Quand ça monte, ils n’en ont plus rien à foutre. Un soir, un gamin d’ici a essayé de protéger sa voiture, ils l’ont tapé, ils ont retourné le véhicule et l’ont brûlé.»
Des reproches qui restent timides. Car la nuit, la plupart redeviennent solidaires. «Est-ce que j’y ai participé ? C’est secret défense», crâne un gamin de 13 ans qui explique : «C’est nous qui allons passer Sarkozy au Kärcher, c’est l’erreur de sa carrière.» Encore et toujours Sarkozy. Un autre, à peine 16 ans, bonnet enfoncé sur la tête et sourire d’enfant: «Il faut que Sarko ferme sa bouche, qu’il s’excuse ou qu’il démissionne au lieu de venir foutre la merde en banlieue comme Bush en Irak.» Quant aux médias, ils ne font que suivre. «Dès le départ, les médias ont été les complices de Sarkozy. Ils l’ont accompagné partout, ce qui n’était pas le cas quand Villepin était ministre de l’Intérieur. Ils font trop d’amalgame sur les jeunes = voyous et cités = islamistes. Quand vous filmez les jeunes, c’est toujours la même caricature : ils sont en train d’aboyer, on ne comprend pas ce qu’ils disent.»
Eric, 34 ans dont 24 passés à Montfermeil, essaye de prendre un peu de recul : «Les jeunes, quand ils envoient des cocktails Molotov, ils se rendent pas compte que les plus petits regardent, sans comprendre. Et puis il y a une forme de solidarité. On a un ministre qui a dit: « Vous êtes tous pareils. » Moi, je me dis non, on se dit tous non. Mais on nous renvoie « vous êtes tous pareils ». Alors, ça crée quelque chose en commun. Et maintenant, c’est plus violent dans certains endroits parce que les gens veulent attirer le regard vers eux. Ils se disent: « Si on fout la panique, ensuite ils ne nous oublieront pas, ils sauront qu’on est zone sensible. »»
Des zones hypersensibles. Car il y a aussi le reste. La vie difficile dans des cités mal foutues, des contrôles fréquents et le chômage omniprésent. Ali, 20 ans, a raté son bac : «Quand tu accumules tout, ça pète, c’est clair. C’est parti là où il y a le plus de bâtiments, où tous les immeubles sont très proches les uns des autres. A Aulnay-sous-Bois, il doit y avoir quarante bâtiments collés les uns aux autres. Les jeunes, ils sont là toute la journée, ils n’ont rien à faire. Il n’y a jamais d’emploi. Bac + 2, bac + 2, j’en ai marre d’entendre ça ! Moi, je cherche et si, dans quelques mois, je ne trouve pas, je me mettrai à faire du business, à vendre des portables ou du shit, c’est facile. Franchement, les plus petits, je sais même pas ce qu’ils vont devenir. J’ai vu un jeune de 14-15 ans, à 3 heures du matin, qui fumait, qui buvait. Mais, de toute façon, les parents, ils peuvent pas être derrière leur dos, ils peuvent rien faire.»
Samir, de Clichy-sous-Bois, n’en peut plus de ces contrôles systématiques, toujours à deux doigts de déraper : «Les policiers provoquent les médiateurs aussi. Ils m’ont arrêté parce que je courais. Je courais pour ne pas prendre de lacrymogènes, et lorsque je leur ai dit que j’étais médiateur de la mairie, leur réponse a été : « Ta gueule, t’as rien à dire. » On m’a mis par terre. On m’a fouillé. A aucun moment, on ne m’a demandé mes papiers.» Même son de cloche pour Mohammed : «Les flics de la BAC, ils cherchent toujours le rapport de force. Ils disent « bougnoules», « nique ta race ». La police d’ici, c’est une nouvelle génération. Pour un simple contrôle d’identité, ils t’insultent, au quotidien. J’ai été contrôlé dans le RER parce que j’avais les pieds sur la banquette. D’accord, il faut pas mettre les pieds sur la banquette. Mais pour ça, les policiers ont appelé des renforts. Trois voitures m’attendaient à la gare du Raincy. Les flics m’ont dit : « Pourquoi tu restes pas dans ta poubelle ? »»
La suite ? Julien, 22 ans, vendeur sur les marchés (Hauts-de-Seine), est pour le moins inquiet. «Les jeunes ne se font pas une bonne publicité. Les feux, les émeutes, ça va justifier davantage de policiers, de maltraitance en banlieue. Les jeunes ont le sentiment d’être en croisade. Moi, je ne suis pas forcément d’accord avec ça, mais, en même temps, si j’étais dans une situation sociale aussi difficile, je péterais les plombs. Quand tu n’as pas de boulot, que tu es entassé dans un bout d’immeuble, tu réfléchis moins, tu as moins de recul sur la vie. Et même si tu vas à l’école pour essayer de t’en sortir, il y a toujours à côté le copain qui fait n’importe quoi et qui gagne déjà des sous. En banlieue, il y a beaucoup de mauvais choix disponibles.»