Essais nucléaires français : Naissance d’un Comité vérité et justice
Des personnalités algériennes et françaises viennent de créer le Comité de soutien vérité et justice à l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) et à l’association Moruroa e tatou, ONG de droit français qui défendent les droits des personnes souffrant des effets des essais nucléaires français au Sahara algérien et en Polynésie. Parmi ces personnalités, on cite l’historien Mohamed Harbi, Mohamed Bendjebbar, président de l’association algérienne des victimes des essais nucléaires français au Sahara, ainsi que des politiques et militants français, notamment le syndicaliste et porte-parole de Via Campesina José Bové, le député Vert Noël Mamère, la générale Simone de Bollardière du Mouvement pour une action non-violente, etc. Les fondateurs de ce Comité de soutien vérité et justice exigent du gouvernement français le vote d’une loi sur le suivi sanitaire et environnemental des essais nucléaires, la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes, la création d’une commission de suivi des conséquences sanitaires et environnementales de ces essais et la levée du secret-défense sur les documents portant sur le niveau des retombées radioactives, sur la santé et sur toutes les données radiologiques des essais nucléaires de la France au Sahara et en Polynésie française, entre 1960 et 1996.
Le bilan des essais nucléaires français en Algérie
Il subsiste encore quelques traces radioactives des dix-sept explosions atomiques réalisées dans le Sahara entre 1960 et 1966…
Comme il l’avait fait pour les essais nucléaires réalisés en Polynésie, le ministère de la Défense vient de rendre publique un dossier de présentation des essais nucléaires et de leur suivi au Sahara. Le dossier, avec photos, cartes et graphiques, retrace l’historique des tirs, les mesures de sécurité, les études radiologiques aussi bien sur les lieux que sur les hommes et détaille les principaux accidents qui s’y sont produits.
La France a mené dix-sept essais nucléaires dans le Sahara algérien entre le 13 février 1960 et le 16 février 1966. Une première série de tirs a eu lieu à une cinquantaine de kilomètres au sud de Reggane, oasis située à 700 kilomètres de Colomb-Béchar qui comptait alors quelques centaines d’habitants (près de 35.000 aujourd’hui). Quatre tirs atmosphériques ont été réalisés. Gerboise bleue, le 13 février 1960 était une bombe de 70 kilotonnes (kt) disposée sur un pylône. Les suivants, les Gerboise blanche (1er avril 1960), rouge (27 décembre 1960) et verte (25 avril 1961), deux sur pylône et un au sol, étaient d’une puissance de moins de 5 kt.
La deuxième série de tirs, treize du 7 novembre 1961 au 16 février 1966, a été effectuée à un autre endroit, dans le massif du Hoggar, à proximité d’In Ekker. Ils n’étaient plus atmosphériques: les engins étaient placés au fond de galeries en forme de colimaçon de manière à ce que l’onde de choc générée par l’explosion obture la galerie et piège les produits radioactifs sous terre. Pourtant, 4 essais n’ont pas été confinés et des produits radioactifs se sont échappés.
L’accident le plus sérieux s’est produit le 1er mai 1962 lors de l’essai Béryl (moins de 30 kt). La galerie s’est ouverte et un important nuage radioactif s’est échappé. De plus, un changement de direction du vent l’a amené à passer au-dessus du poste de commandement. Une quinzaine de personnes ont ainsi été assez sévèrement exposées. Parmi elles, deux ministres, Pierre Messmer et Gaston Palewski. Ce dernier, qui décédera d’une leucémie, pensait que sa maladie était due à cette irradiation. De plus, 9 militaires ont séjourné en zone contaminée. Après décontamination, ils ont été transportés à l’hôpital Percy de Clamart et ont fait l’objet d’un suivi médical. Les huit qui sont encore en vie ne présentent pas de maladie liée à la radioactivité, dit-on au ministère de la Défense.
Des manoeuvres en zone radioactive
Il est un point dont l’armée n’est pas très fière aujourd’hui. Lors des premiers essais aériens, des exercices impliquant une centaine de militaires ont été réalisés en milieu contaminé. Des hélicoptères guidant des blindés et des fantassins, munis d’équipements de protection, ont manoeuvré en zone radioactive. Même s’il n’y a pas eu mise en danger de ces soldats au vu des doses de radioactivité rencontrées, de telles manoeuvres seraient aujourd’hui, loin de l’esprit « guerre froide » des années 1960, totalement exclues. La France a par ailleurs été accusée d’avoir utilisé des cadavres lors de ces essais pour tester l’effet de l’explosion. Ce que le ministère de la Défense réfute catégoriquement, affirmant que ce sont des mannequins revêtus, ou non, des tenues de protection qui ont été utilisés. Enfin, on reconnaît officieusement que si le nettoyage des sites et des installations au moment où les Français sont partis se faisait aujourd’hui, il serait plus rigoureux.
Que reste-t-il aujourd’hui de la radioactivité libérée par ces essais? Il subsiste bien, dans le désert, quelques zones radioactives qui pourraient poser des problèmes sanitaires. Un rapport établi par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005 relève 4 zones contaminées, autour des essais Gerboise blanche et bleue, de manière faible et localisée, et au sortir des tunnels des essais Béryl et Améthyste dans le massif Tan Afella. C’est là que la radioactivité résiduelle est la plus forte. Avant leur départ en 1966, les Français avaient construit une vaste clôture pour empêcher l’accès aux lieux des essais souterrains. Au fil des années, cette clôture s’était dégradée. Elle est actuellement en cours de réfection.
L’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) n’est pas satisfaite de ce rapport et reproche au ministère de la Défense d’entonner «à nouveau le refrain de la bombe propre». «Alors qu’il serait de la responsabilité du gouvernement français, en accord avec le gouvernement algérien, de mettre en place une surveillance de la radioactivité des sites, comme celle installée à Moruroa et à Fangataufa, de nettoyer les zones contaminées comme les Britanniques l’ont réalisé en Australie, le ministère de la Défense s’autocongratule sur l’absence d’incidence environnementale de ses essais», déplore l’Aven.
Mensonges d’Etat sur les retombées radioactives
Dans une interview à Libération, Florent de Vathaire, un chercheur de l’Inserm, demande au ministère de la Défense de déclassifier un rapport tenu secret et qui pourrait mettre en évidence «une relation statistiquement significative entre la dose totale de radiation reçue à la thyroïde du fait des essais nucléaires réalisés par la France en Polynésie.»
Le lien entre cancers de la thyroïde et essais nucléaires
français dans le Pacifique peut-il réellement être considéré comme
acquis ? La polémique enfle depuis que, vendredi 28 juillet, le
président polynésien Oscar Temaru a rendu public une lettre d’un
chercheur de l’Inserm1 affirmant qu’il pouvait apporter la
preuve de ce lien. Dans4 ce courrier, adressé le 17 juillet au
délégué à la sûreté nucléaire du ministère de la Défense, le
directeur de l’unité 605 (épidémiologie des cancers) de l’Inserm,
Florent de Vathaire, affirme avoir, dans une récente étude,
«mis en évidence une relation significative entre la dose de
radiation reçue à la thyroïde du fait des essais nucléaires
réalisés par la France en Polynésie et la prévalence des
cancers». Et, dans une interview à
Libération, le chercheur demande au ministère de la Défense
de déclassifier un rapport tenu secret sur le sujet. C’est la
première fois qu’un scientifique français établit un lien de
causalité entre les retombées des essais et l’augmentation des
cancers de la thyroïde en Polynésie observée ces vingt dernières
années. Jusqu’à présent, faute de preuves irréfutables, il fallait
s’en tenir à une simple présomption, ce qui permettait au ministère
de la Défense de rejeter les demandes de prise en charge des soins
formulées par les vétérans de Moruroa et Fangataufa, où eurent lieu
41 expérimentations aériennes entre 1966 et 1974. De passage dans
le Pacifique, Florent de Vathaire s’explique.
- Vous considérez comme «acquis» le lien entre le
cancer de la thyroïde en Polynésie et les essais nucléaires :
comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Nous avons interrogé les gens qui ont développé un cancer de la
thyroïde diagnostiqué entre 1985 et 2002 et qui sont nés au même
moment ou à quelques jours près. Nous avons interrogé ces cas
témoins sur leurs différents lieux de résidence, année par année.
Nous leur avons posé quelques questions pour estimer la dose de
radiations reçues. On a réussi à confirmer, ce qui avait déjà été
démontré en Nouvelle-Calédonie, que le risque de cancer de la
thyroïde augmente avec le nombre d’enfants, l’obésité ou une fausse
couche. Puis, en ajustant ces facteurs, on a démontré que le risque
de cancer de la thyroïde dépendait des doses de radiations
reçues.
- Parmi les 239 cas de cancer thyroïdien que vous avez
étudiés, combien sont directement liés aux essais nucléaires ?
Pour donner précisément le nombre de cancers liés aux essais, il
faudrait avoir accès à des données qui sont en possession de
l’armée : ce sont les rapports du Service mixte de sécurité
radiologique (SMSR).
L’accès à ces rapports permettrait une estimation fiable du nombre
de cancers de la thyroïde associés aux essais. Sachant que, en tout
état de cause, ce nombre ne sera pas gigantesque, car une grande
partie des cancers s’explique par le surpoids et le nombre d’enfants. On estime que les radiations ont provoqué entre une dizaine et une vingtaine de cancers de la thyroïde, ce qui est relativement peu.
- Qu’espérez-vous précisément trouver dans ces rapports
du SMSR ?
En les analysant, on pourrait conclure que les retombées ont été
supérieures à celles qui sont établies dans les rapports officiels
dont nous nous sommes servis pour faire cette étude.
- L’armée a donc rédigé deux types de rapports : les
uns officiels et, a priori, édulcorés, et les autres, officieux ?
Oui, et ce sont ces derniers que nous voulons obtenir.
- Pensez-vous que le ministère de la Défense les
déclassifiera ?
Oui, un jour où l’autre, ils seront déclassifiés. Cela avait
déjà un peu été le cas sous la gauche. Ces rapports nous
permettront de faire des estimations plus précises, de quantifier
le risque du cancer thyroïdien lié aux essais pendant la période
étudiée. Cela permettra aussi de faire d’autres études, par
exemple, sur la sursensibilité génétique.
- Si le lien entre essais nucléaires et taux
anormalement élevé de cancers thyroïdiens est désormais
«acquis», la prise en charge des soins des vétérans de Moruroa
et Fangataufa paraît légitime ?
Je ne veux pas me prononcer là-dessus, je suis un scientifique.
Notre étude de cas témoins ne porte pas sur ceux qui ont participé
aux essais, elle concerne uniquement les personnes qui étaient
enfants pendant les essais. En outre, le cancer de la thyroïde en
Polynésie-Française est essentiellement féminin. Nous n’avons donc
rien sur les anciens travailleurs de Moruroa qui sont des hommes.
Cela étant dit, il faut absolument que l’armée mette en place les
conditions pour que l’on puisse réaliser une étude sur ces anciens
travailleurs. Cela concerne environ 20 000 personnes, ce n’est donc
pas très compliqué à faire. Il faut le faire maintenant, c’est
évident.
- Pourquoi avoir communiqué les conclusions de votre
étude à Oscar Temaru avant sa publication dans une revue
scientifique ?
L’étude a été envoyée à une revue scientifique pour publication.
Mais nous avions promis au gouvernement polynésien qu’il aurait la
primeur de ces conclusions. Je tiens à préciser d’ailleurs que
cette étude n’est financée ni par l’armée ni par le gouvernement
polynésien mais, principalement, par l’Association pour la
recherche sur le cancer.