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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Pinochet sera jugé pour fraude fiscale, mais pas pour sa participation au plan Condor

Un article de Christine Legrand, publié dans Le Monde daté du 9 juin 2005.

Nouveau coup de théâtre dans l' »affaire Pinochet » au Chili : mardi 7 juin, la Cour d’appel de Santiago a levé l’immunité attachée à la qualité d’ex-président d’Augusto Pinochet, ouvrant ainsi la voie à son jugement pour fraude fiscale et corruption. Dans la même journée, elle a en revanche prononcé un non-lieu concernant son inculpation pour les crimes commis dans le cadre du « plan Condor » , ce plan concerté entre les dictatures sud-américaines pour éliminer les opposants dans les années 1970-1980.

Ce non-lieu, décidé à l’unanimité des trois juges de la quatrième chambre de la Cour d’appel, a suscité l’indignation des défenseurs des droits de l’homme et des familles des victimes de la dictature militaire (1973-1990). Les magistrats ont invoqué la mauvaise santé du vieux caudillo, âgé de 89 ans, estimant qu’il souffrait « de problèmes neurologiques qui le rendent incapable de se défendre dans une procédure légale » . « Pour les juges chiliens, il est inacceptable que Pinochet soit un voleur, mais ce n’est pas important qu’il soit un assassin » , a déclaré Eduardo Contreras, avocat des familles des victimes. « C’est comme si l’argent avait plus de valeur que le sang versé par des milliers de Chiliens » , a renchéri Me Contreras, qui a annoncé un recours auprès de la Cour suprême de justice.

Le général Pinochet avait été inculpé, le 13 décembre 2004, par le juge Juan Guzman pour un assassinat et neuf disparitions dans le cadre du « plan Condor » . Pendant l’instruction, le juge Guzman avait dénoncé les pressions qui avaient été exercées sur lui, y compris par le gouvernement. Il avait déjà inculpé M. Pinochet en 2000 pour sa responsabilité dans l’enlèvement et l’assassinat de prisonniers politiques par la « Caravane de la mort » . Mais l’affaire avait été classée en 2002 par la Cour suprême qui avait invoqué « une démence légère » du général.

Le juge Guzman a pris sa retraite le 2 mai. Il a été remplacé par le juge Victor Montiglio, qui s’est toujours montré favorable à la loi d’amnistie. Juan Guzman estime « avoir accompli fidèlement la mission qui lui avait été confiée et avoir agi selon sa conscience » . « Je ne peux répondre de ce que décide un tribunal suprême » , a-t-il déclaré au Monde, mardi.

Quelques heures auparavant, la même Cour, réunie en assemblée plénière, avait décidé à une écrasante majorité ­ 21 voix contre 5 ­ de lever l’immunité de M. Pinochet en tant qu’ancien président. L’ex-dictateur pourra donc être poursuivi pour fraude fiscale et détournements de fonds à la suite de plaintes du service national des impôts et du Conseil de défense de l’Etat, organisme d’enquête autonome qui défend les intérêts de l’Etat. Les familles d’une partie des 3 000 morts et disparus de la dictature réclament aussi des indemnisations dans le cadre de ce dossier.

Le juge chargé de l’enquête, Serge Munoz, a établi qu’entre 1980 et 2004, Augusto Pinochet aurait commis des fraudes fiscales pour près de 9 millions de dollars. Le magistrat a mis sous séquestre 11 propriétés de l’ex-dictateur au Chili : des appartements et des villas à Santiago et dans les stations balnéaires de Vina del Mar et de Los Boldos. Le patrimoine du vieux caudillo est estimé à 17 millions de dollars, une fortune incompatible avec les revenus d’un ancien chef de l’Etat ou d’un ex-commandant en chef de l’armée. A son arrivée au pouvoir, après le coup d’Etat du 11 septembre 1973, M. Pinochet ne possédait qu’une modeste maison et une voiture.

L’image de probité dont jouissait l’ex-dictateur s’était effondrée en juillet 2004, quand une commission du Sénat américain avait révélé l’existence de comptes bancaires secrets détenus par M. Pinochet aux Etats-Unis. L’ex-dictateur, sa famille et des militaires ­ dont certains sont toujours en activité ­ auraient ouvert 125 comptes auprès de banques américaines, dont la Riggs, avec des dépôts évalués à quelque 13 millions de dollars. « Ceux qui pardonnaient à Pinochet d’avoir violé les droits de l’homme en estimant qu’il avait fait de bonnes choses pour le Chili sur le plan économique lui ont tourné le dos » , soulignait, en mars, à Santiago, le politologue Oscar Godoy.

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