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Pieds-noirs, Harkis, Algériens : la guerre des mémoires

La guerre d'Algérie encore et toujours. Douloureux, contradictoires, violents, les récits sur cette sale guerre que la France a dû mener au milieu du XXe siècle sur les terres de l'Afrique du Nord n'en finissent pas de resurgir. Articles de Pierre Desorgues paru dans l'édition du 7 juillet 2005 de l'hebdomadaire Réforme1

Cette dernière semaine, ce sont d’anciens membres de l’OAS qui ont ravivé les plaies. Motif ? L’érection d’une stèle à la mémoire des activistes de l’Algérie française à Marignane, là où vivent les plus gros bataillons de rapatriés et d’anciens de l’Algérie. L’hiver dernier, c’était le gouvernement lui-même qui, espérant calmer et satisfaire le besoin de reconnaissance des souffrances des rapatriés, avait ouvert un nouveau front avec la loi du 23 février 2005 qui revisite « l’œuvre de la France en Algérie ».

Reste malgré tout l’espoir d’une véritable réconciliation générale des mémoires.

A Marignane, l’OAS veut sa stèle…

Des anciens de l’OAS se battent pour installer une stèle à la mémoire des activistes de l’Algérie française. Le préfet de la région PACA a demandé l’interdiction de cette inauguration. Les tensions sont vives sur place, où l’extrême droite est bien implantée.

Plus de quarante ans après les accords d’Evian consacrant l’indépendance de l’Algérie, l’OAS bouge encore. Ainsi les anciens de l’Organisation de l’Armée secrète entendaient rendre hommage, à Marignane, « aux quatre fusillés » de l’Algérie française : Jean-Bastien Thiry, auteur de l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle, le lieutenant Roger Degueldre, chef des commandos Delta de l’OAS, Albert Dovecar et Claude Piegts, seconds de Degueldre. Les quatre hommes furent condamnés à mort par la cour militaire de justice et exécutés au fort d’Ivry entre 1962 et 1963. L’OAS fut responsable de la mort de 71 personnes en métropole. En Algérie, de la période allant d’octobre 1961 au 20 avril 1962 – date de l’arrestation du général Salan -, l’organisation terroriste serait responsable de près de 13 000 attentats et de la mort de près de 2 200 personnes, Algériens ou Français.

L’ADIMAD (Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés de l’Algérie française), fondée par le général Salan en 1967, a choisi ainsi d’ériger une stèle aux tueurs d’enseignants et de policiers avec le soutien du maire, Daniel Simonpieri, ancien du Front national et proche du couple Mégret. Le président de l’ADIMAD, Jean-François Collin, en tant qu’ancien membre de l’OAS, n’éprouve aucun remord. « Je suis désolé pour certaines des familles de victimes mais nous avions affaire à des traîtres. » Et de lâcher : « Qu’on nous fiche la paix. Qu’on nous laisse honorer nos morts. » De quoi provoquer un tollé et l’indignation des familles de victimes.

Une région d’élection du Front national

Degueldre et ses complices ont ainsi exécuté, le 15 mars 1962, six dirigeants des centres sociaux éducatifs, service de l’Education nationale. Le commissaire central d’Alger, Roger Gavoury, devait également figurer parmi les victimes des commandos de l’OAS.

Après avoir adressé une lettre au président de la République demandant une interdiction de l’inauguration de cette stèle, prévue mercredi 6 juillet, les associations antiracistes et les familles des victimes de l’OAS semblent avoir été entendues par le préfet de région qui a demandé l’interdiction du rassemblement. A la pointe du combat contre la stèle à la gloire des anciens de l’OAS, des associations, des syndicats et des institutions aussi différentes et éloignées politiquement que le MRAP, la Ligue des droits de l’homme (LDH), la FSU, la CFDT ou l’Institut Charles de Gaulle, présidé par Yves Guéna. La mairie de Marignane, qui a encouragé le projet d’installation d’une stèle en accordant un terrain à l’ADIMAD, bat en retraite et demande aujourd’hui à ses amis de reporter cette inauguration.

Cette affaire s’inscrit dans une région où l’extrême droite est fortement présente et où la communauté pied-noire est majoritairement installée dans le pays. Toulon a été administrée par une mairie Front national de 1995 à 2001. Un carrefour a été baptisé « Général-Salan » sous l’administration de Jean-Marie Le Chevallier. Le 25 juin dernier, sous la pression des associations des familles de victimes de l’OAS et de la LDH locale, le carrefour a été rebaptisé « place du Colonel-Salan ». Une nouvelle dénomination faisant plus référence au libérateur de la ville en 1944 qu’au général putschiste et chef de l’OAS. Plus au nord, Orange est toujours dirigée par Alain Bompard, membre du parti de Jean-Marie Le Pen. Vitrolles fut le fief de Bruno Mégret, chef du MNR, qui entend lutter contre « l’islamisation du pays ». Marignane, pour sa part, est dirigée d’une main de fer par Daniel Simonpierri. Même chose pour Nice, où le maire actuel, Jacques Peyrat, est un ancien du Front national. Ancien premier adjoint du couple Mégret, il a rejoint l’opposition UMP après la reconquête de la municipalité par les socialistes.

Allégeance ou compromission

« L’extrême droite est moins visible politiquement aujourd’hui. Elle cherche donc à intégrer la droite classique. C’est ainsi que Simonpieri, élu MNR, a rejoint le groupe UMP du conseil général des Bouches-du-Rhône. Un phénomène à la Peyrat. Mais, chassez le naturel, il revient au galop. L’histoire de la stèle en est un parfait exemple », explique Claude Castex, représentant de la Ligue des droits de l’homme et ancien premier adjoint socialiste de la ville de Vitrolles avant l’arrivée des Mégret. Mais, derrière le changement d’étiquette, ce sont toujours les anciens du Front national qui tiennent le terrain politique.

Signe d’allégeance ou du moins de compromission ? Le maire de Marseille et vice-président de l’UMP, Jean-Claude Gaudin, se serait rendu, selon des militants d’une association antiraciste, aux festivités célébrant les dix ans de magistrature de Daniel Simonpierri à la tête de Marignane. Jean-Claude Gaudin signifie aujourd’hui cependant qu’il ne faut « pas rendre hommage à ceux qui ont tenté d’assassiner le général de Gaulle ».

« L’extrême droite a prospéré dans certaines communes. Non pas parce que la gauche est inexistante mais parce que la droite républicaine est absorbée politiquement par l’extrême droite », ajoute Claude Castex. En effet, il ne vaut mieux pas s’afficher comme gaulliste dans la région. Un conseiller général avait cru bon ainsi d’annuler dans les sections d’Aix-en-Provence du feu RPR la commémoration du 18 juin 1940 pour ne « pas froisser la communauté des rapatriés ».

Alain Girard dirige à Vitrolles le Centre de rencontres protestant. Une association qui fut à la pointe du combat politique contre les Mégret. « La mémoire constitue un réel enjeu dans la région, et plus particulièrement sur l’étang de Berre, autour des communes de Marignane et de Vitrolles. Nous avons effectivement une réelle manie de la stèle. Je me souviens que l’ancienne mairie socialiste en avait ainsi installée une à la mémoire du leader kanak Jean-Marie Tjibaou. Au bout de 24 heures, elle a été détruite. Contrôler les lieux de mémoire, c’est démontrer, selon l’extrême droite, que l’on tient idéologiquement la ville. »

Climat passionnel

Une tradition locale qui a de quoi déconcerter les nouveaux venus sur l’étang de Berre. Iris Reuter connaît la région depuis deux ans seulement. Pasteur de l’Eglise réformée de Vitrolles, elle avoue sa surprise : « Je suis atterrée par ce projet de stèle faisant l’apologie de gens responsables de la mort d’enseignants et auteurs de nombreux attentats. Ce n’est pas comme cela que l’on rapprochera les communautés. » Rapprocher les communautés pied-noire et maghrébine ne fait justement pas partie des objectifs des anciens du Front national. Bien au contraire. Le meilleur moyen pour l’extrême droite de conserver un électorat fidèle consiste à entretenir les blessures du passé. « Les Mégret se sont emparés de la mairie de Vitrolles en jouant sur la peur des anciens rapatriés et en ghettoïsant les jeunes issus de l’immigration », estime Claude Castex. Même chose à Marignane. « L’objectif est de maintenir une tension, d’entretenir un climat passionnel en érigeant des stèles à la mémoire de l’OAS. Simonpieri est un enfant du pays. Il n’a aucune attache sentimentale vis-à-vis de l’Algérie. Mais sa municipalité est une ville de transplantés où entre 40 et 45 % de la population locale est composée de rapatriés et d’enfants de rapatriés », précise Alain Girard.

Le pasteur Pierre Cegurra, de l’Eglise évangélique pentecôtiste de Marignane, fait, lui, partie de cette communauté de rapatriés qui ne crie plus vengeance. Les raisons « d’un malaise pied-noir » sont nombreuses, selon lui. « Nous sommes dans une agglomération où il y a un véritable désert spirituel », insiste l’homme, originaire de Mostaganem.

Signe d’une véritable souffrance et d’une nostalgie certaine pour une terre perdue, le rayon de cette librairie de Vitrolles. On y vend un des best-sellers locaux. Un livre album consacré à « Nos villages et nos villes en Algérie avant 1954 ». Ce ne sont pas seulement les communautés maghrébines qui ont été ghettoïsées. Parqués dans des villes nouvelles, comme à Vitrolles où il n’existe « aucun lien social et où le modèle urbain est celui de la villa avec la piscine », entourés par des centres commerciaux, selon Alain Girard, les rapatriés, dont certains appellent leur petits-fils Jean-Bastien, ressassent encore et toujours les blessures de la guerre d’Algérie.

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La loi du 23 février 2005, « reconnaissante aux rapatriés d’Algérie »

Chez les anciens de l’OAS, on ne cache pas sa satisfaction. Amnistiés sous Mitterrand, les anciens activistes de l’Algérie française pourraient êtres indemnisés sous Jacques Chirac. « C’est une loi qui va dans le bon sens. C’est bien que des néogaullistes reconnaissent les fautes du passé », juge Jean-François Collin, ancien membre de l’OAS et président de l’ADIMAD. Et d’ajouter : « Ce texte est une bonne chose, dans le sens où il tend à réhabiliter l’œuvre de la France en Algérie. » L’œuvre de la France en Algérie, c’est la mort de 300 000 Algériens entre 1954 et 1962, selon les estimations les plus basses. Plus d’un million, selon les Algériens. Une population musulmane majoritairement analphabète en 1954 et ancrée dans le sous-développement économique. « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie dans les anciens départements français d’Algérie. […] Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés », peut-on lire pourtant dans la loi du 23 février 2005.

Les articles 5 et 12 traitent du dossier d’indemnisation des harkis. Les articles 4 et 13 sont les plus controversés. Les programmes scolaires devront en effet reconnaître « en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». A l’origine d’une reconnaissance officielle de « l’œuvre positive de la France en Algérie », l’actuel ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy. « Monsieur Douste-Blazy, comme beaucoup d’élus locaux, s’inscrit dans une logique purement électoraliste », avance Claude Castex de la Ligue des droits de l’homme. L’article 13 prévoit également une indemnité au bénéfice de « personnes […] ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie […], de condamnations ou de sanctions amnistiées […] ».

De nombreux historiens, dont Lucette Valensi, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), considérée comme étant l’une des plus grandes spécialistes françaises de cette période, refusent aujourd’hui l’enseignement d’une histoire officielle. Un collectif des historiens contre l’article 4 de la loi du 23 février s’est ainsi constitué. Il a reçu le soutien de nombreux syndicats enseignants et d’associations antiracistes comme la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme ou le MRAP. Le SNES et la FSU, syndicats d’enseignants, lors de leur dernier congrès en avril, ont clairement indiqué qu’ils mèneraient une campagne pour l’abrogation de cette loi. Au moment où le Quai d’Orsay parle de relancer un partenariat stratégique avec l’Algérie, en espérant lui vendre des avions Rafale notamment, et à l’heure du processus de Barcelone amorcé en 1992 consacrant une coopération économique entre le Maghreb et l’Union européenne, l’actuel ministre des Affaires étrangères de la République a-t-il été bien inspiré en proposant une loi réhabilitant l’œuvre coloniale française de l’autre côté de la Méditerranée ? Lors de sa dernière visite d’Etat à Paris, le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, de son côté, avait cru bon de comparer les harkis aux collaborateurs français de la Seconde Guerre mondiale. De quoi alimenter à nouveau les tensions autour de la mémoire de la guerre d’Algérie entre les deux pays.

Pierre Desorgues, envoyé spécial de Réforme à Marignane et Vitrolles

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