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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

pétition pour l’abrogation de la circulaire MAM pénalisant l’appel au boycott

En février 2010, la ministre Michèle Alliot-??Marie, alors Garde des Sceaux, demandait par une lettre-cir­cu­laire aux par­quets d’engager des pour­suites contre les per­sonnes appelant ou par­ti­cipant à des actions de boycott des pro­duits déclarés israé­liens. S’appuyant sur un article de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, elle assi­milait ces actions à de la pro­vo­cation à la dis­cri­mi­nation ou à la haine raciale. Le col­lectif national pour une paix juste et durable entre Pales­ti­niens et Israé­liens (CNPJDPI) – dont la LDH fait partie – demande l’abrogation de cette cir­cu­laire qui attaque direc­tement la liberté d’expression et vise, en tentant de les cri­mi­na­liser, à museler des actions citoyennes et non vio­lentes contre l’impunité d’un État, Israël, qui viole en per­ma­nence le droit, notamment par la colonisation. Pour s'associer à la demande du collectif, signer la pétition en ligne. Dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 6 mars 2014, Ivar Ekeland, Rony Brauman et Ghislain Poissonnier, déclarent : «Il faut abroger la circulaire Alliot-??Marie.»
[Mis en ligne le 21 novembre 2010, mis à jour le 6 mars 2014]

Qualifiant d’«attentat juridique» la circulaire1 envoyée par Michèle Alliot-Marie aux procureurs pour qu’ils répriment le boycott d’Israël, Benoist Hurel, secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, avait contesté la notion de «discrimination» dans le cas de la campagne de boycott contre les produits israéliens et estimé «inadmissible» «l’instrumentalisation d’un texte qui visait à combattre le racisme, le nationalisme et le sexisme».

Il est désormais interdit de boycotter

La Chancellerie a eu cette idée extraordinaire selon laquelle tout appel au boycott des produits d’un pays n’était qu’une «provocation publique à la discrimination envers une nation»…

[Tribune publiée dans Libération le 19 novembre 2010]

On a les victoires qu’on peut : Michèle Alliot-Marie a, il y a quelques mois, par une simple circulaire, commis un attentat juridique d’une rare violence contre l’un des moyens les plus anciens et les plus efficaces de la contestation des Etats par les sociétés civiles, à savoir le boycott. Le 12 février, la Chancellerie a eu cette idée extraordinaire selon laquelle tout appel au boycott des produits d’un pays n’était qu’une «provocation publique à la discrimination envers une nation», punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le ministère demande aux procureurs de la République d’assurer une répression «ferme et cohérente» de ces agissements.

Soyons justes : la paternité de cette brillante initiative revient au procureur général de Paris qui avait, dans son rapport de politique pénale 2009, suggéré que «les faits de boycott ou de provocation au boycott peuvent s’analyser, selon les espèces, soit en une provocation à la discrimination, soit en une discrimination ayant pour effet d’entraver l’exercice d’une activité économique». On peut rappeler les actions de ce type dans l’histoire : boycott du Royaume-Uni en 1930 initié par Gandhi contre la colonisation, boycott de l’Afrique du Sud dans les années 70 par les militants antiapartheid, boycott, à la même époque, par la communauté homosexuelle américaine d’une marque de bière qui refusait d’embaucher les gays ou, plus récemment, boycott des produits chinois par les soutiens de la cause tibétaine et des produits israéliens par les militants palestiniens… Pour l’ex-garde des Sceaux, il ne s’agit pas là d’entreprises de protestation et d’émancipation, souhaitables en démocratie, mais d’associations de malfaiteurs en vue d’attenter à la bonne marche du commerce, donc du monde.

La notion de discrimination ne peut s’entendre que d’une différence de traitement n’obéissant à aucun but légitime. Une action collective qui viserait à ne pas consommer de produits d’une entreprise parce qu’elle licencie ou délocalise sa production, ou d’un Etat parce qu’il maltraite ses minorités ne peut être qualifiée de discriminatoire, sauf à ôter aux consommateurs leur seul pouvoir, celui de ne pas de consommer n’importe quoi et n’importe comment. Que l’on se rassure : les Etats qui décideraient d’imposer un embargo à un pays étranger n’encourront pas les foudres de la loi pénale…

L’instrumentalisation d’un texte qui visait à combattre le racisme, le nationalisme et le sexisme est inadmissible, surtout lorsqu’elle vise à faire taire l’engagement citoyen. La circulaire en question, qui a su convaincre au moins un tribunal, constitue donc, pour la société civile, une régression d’une ampleur peu commune. Cette provocation s’est pour l’instant heurtée à un mur de silence. La pénalisation de la contestation est toujours une mauvaise nouvelle pour la démocratie. L’absence de contestation de la pénalisation, lorsque celle-ci ne répond à aucun autre objectif que celui de museler les peuples, n’en est pas une meilleure.

Benoist Hurel

Secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature

Cessons de pénaliser le boycottage d’Israël

[Tribune publiée dans Le Monde daté du 6 mars 2014]

En tant que consom­mateur citoyen, je n’achète pas de pro­duits israé­liens tant qu’Israël ne res­pectera pas le droit inter­na­tional ; j’appelle aussi mes conci­toyens à faire de même afin de faire pression sur Israël pour qu’il démantèle le mur de sépa­ration et les colonies.  » Pour avoir tenu de tels propos dans la rue ou dans des com­merces, pour les avoir écrits dans des maga­zines ou sur Internet, près d’une cen­taine de per­sonnes sont tra­duites en France devant les tri­bunaux. Il s’agit de membres d’associations qui sou­tiennent la cam­pagne  » Boycott-??désinvestissement-??sanctions  » (BDS). Ces per­sonnes sont pour­suivies par les pro­cu­reurs en vertu d’un texte interne au ministère de la justice adopté le 12 février 2010, dite cir­cu­laire Alliot-??Marie, garde des sceaux de l’époque.

La cir­cu­laire ordonne aux par­quets de pour­suivre péna­lement les per­sonnes qui appellent au boy­cottage des pro­duits israé­liens. Elle affirme, sans le démontrer, que l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 sur la presse per­met­trait de réprimer les appels lancés par des citoyens ou des asso­cia­tions au boy­cottage de pro­duits issus d’un Etat dont la poli­tique est contestée. Ce texte inter­prète la loi de manière extensive, en contra­diction avec la règle de l’interprétation stricte des lois pénales.

En effet, l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 ne s’attache pas à interdire les appels au boy­cottage, mais uni­quement les pro­vo­ca­tions  » à la dis­cri­mi­nation, à la haine ou à la vio­lence à l’égard d’une per­sonne ou d’un groupe de per­sonnes en raison de leur origine ou de leur appar­te­nance ou de leur non-??appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée « .

La cir­cu­laire Alliot-??Marie a été cri­tiquée par le monde asso­ciatif au nom de la liberté d’expression. Mais éga­lement par de nom­breux juristes, uni­ver­si­taires, avocats et magis­trats, en raison de son contenu qui procède à un usage détourné de la loi prévue pour lutter contre les propos racistes et anti­sé­mites. Des pro­cu­reurs ont même refusé de requérir ora­lement la condam­nation des mili­tants de la cam­pagne BDS, en dépit des ins­truc­tions écrites de leur hiérarchie.

La cour d’appel de Paris a pro­noncé en 2012 des relaxes, consi­dérant que les propos tenus rele­vaient de la cri­tique paci­fique de la poli­tique d’un Etat. La Cour euro­péenne des droits de l’homme, quant à elle, rap­pelle très régu­liè­rement que les groupes mili­tants béné­fi­cient sur des sujets poli­tiques d’une pro­tection ren­forcée de leur liberté d’expression. Chris­tiane Taubira a même déclaré publi­quement à plu­sieurs reprises que cette cir­cu­laire contenait une inter­pré­tation de la loi qui pouvait être consi­dérée comme  » injuste  » ou  » abusive « .

L’ensemble de ces élé­ments et le chan­gement de majorité poli­tique per­met­taient de penser que la prise de conscience du caractère absurde de cette situation allait se tra­duire en acte. Or, la cir­cu­laire Alliot-??Marie de 2010 est tou­jours en vigueur et les pour­suites pénales contre des mili­tants de la cam­pagne BDS conti­nuent. Ce faisant, la France se sin­gu­larise en Europe et dans le monde : elle est le seul Etat, avec Israël, à envi­sager la péna­li­sation d’une cam­pagne paci­fique et citoyenne, demandant le respect du droit inter­na­tional. Cam­pagne paci­fique en ce sens que les actions d’appel au boy­cottage orga­nisées consistent en des mesures inci­ta­tives, qui se limitent à faire appel, par la dif­fusion d’informations, à la conscience poli­tique des consom­ma­teurs. Aucune forme de contrainte n’est exercée ni à l’égard des clients et des dis­tri­bu­teurs français, ni à l’égard des pro­duc­teurs israé­liens. En France, l’appel au boy­cottage, forme d’action poli­tique non vio­lente, s’inscrit dans le débat poli­tique répu­blicain depuis des décennies.

Mme Taubira l’a même qua­lifié de  » pra­tique mili­tante, reconnue, publique  » et admet l’avoir encouragé en son temps contre les pro­duits sud-??africains, dans le cadre d’une cam­pagne inter­na­tionale que per­sonne n’avait alors envisagé d’interdire.

Cam­pagne citoyenne en ce sens qu’elle repose sur une mobi­li­sation des sociétés civiles. La cam­pagne BDS a été engagée en 2005 à la demande de 172 asso­cia­tions et syn­dicats pales­ti­niens. Elle appelle les sociétés civiles du monde entier à se mobi­liser pour que leur gou­ver­nement fasse pression sur l’Etat d’Israël.

En France, de nom­breuses asso­cia­tions ont rejoint l’appel lancé en 2005. Les actions qu’elles conduisent dans le cadre de cette cam­pagne se situent au cœur de la liberté d’expression et d’information des citoyens français sur un sujet inter­na­tional. Ces actions ne consistent pas à dis­cri­miner les citoyens israé­liens : elles visent à boy­cotter les ins­ti­tu­tions et les pro­duits d’Israël en vue de faire changer une poli­tique d’Etat.

Cam­pagne pour le respect du droit inter­na­tional enfin, dans la mesure où le but recherché est d’obtenir le respect des réso­lu­tions des Nations unies et la fin des poli­tiques déclarées illé­gales par l’avis du 9 juillet 2004 de la Cour inter­na­tionale de justice de La Haye que sont la construction du mur de sépa­ration et la colo­ni­sation en Cis­jor­danie et à Jérusalem-??Est. La mobi­li­sation des sociétés civiles est rendue indis­pen­sable, car la plupart des Etats n’ont rien fait ou presque pour pousser Israël à se conformer à l’avis de la Cour, notamment en prenant des mesures de sanc­tions pour que le mur et les colonies soient démantelés.

Rien n’est plus faux que de laisser entendre que la cam­pagne BDS puisse être raciste ou anti­sémite. Cet amalgame relève de la même rhé­to­rique que celle parfois uti­lisée dans les années 1970 et 1980 contre les mili­tants anti-??apartheid com­parés à d’irresponsables marxistes-??léninistes ou à des racistes anti-??Blancs. Aucun des mili­tants de la cam­pagne BDS pour­suivis depuis 2010 en vertu de la cir­cu­laire évoquée ne l’a d’ailleurs été pour avoir tenu des propos ou commis des actes racistes et anti­sé­mites. Il est temps de pro­céder à l’abrogation de la cir­cu­laire Alliot-??Marie.

– Ivar Ekeland, Pré­sident de l’Association uni­ver­si­taire pour le respect du droit inter­na­tional en Palestine
– Rony Brauman, Médecin, essayiste
– Ghislain Poissonnier, Magistrat

  1. La circulaire est téléchargeable sur le blog d’Alain Gresh où on trouve de nombreux compléments d’information sur cette affaire.
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