Petite Casbah, ou les débuts de la guerre d’Algérie racontés aux enfants
par Olivier Favier pour histoirecoloniale.net
La série Petite Casbah est en ligne sur le site de France TV depuis le 28 octobre 2024. Elle est accompagnée de courts documentaires consultables sur la plateforme Lumni et intitulés Raconte-moi l’Algérie. Soixante-dix ans après la Toussaint rouge, généralement considérée comme le début des affrontements, Petite Casbah est une première tentative réussie, à la télévision du moins, pour raconter aux enfants ce qui demeure le plus important conflit mené par la France depuis 1945.
Une petite fille de 9 ans et demi, dont le demi-frère est arrivé en France à l’âge de 15 ans comme mineur non accompagné, dont la maman réalise des documentaires où la question du racisme et des conséquences de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation sont omniprésentes, et à qui son beau-papa a beaucoup parlé des rapports entre l’Europe et l’Afrique, regarde avec passion le premier épisode de Petite Casbah. Elle s’identifie sans peine à la protagoniste, Khadija, venue comme tant d’autres enfants de Kabylie, rejoindre dans la Casbah d’Alger un membre de sa famille, en l’occurrence son grand frère Malek, qui vend des fruits et des légumes au marché.
Au début du récit, qui s’étire sur six épisodes, elle découvre Lyes, un orphelin de son âge qui, comme tant d’autres dans l’Algérie coloniale, cire les chaussures des Français pour survivre. Elle assiste à la scène qui voit deux policiers, français eux aussi, traverser le marché tenu par les Algériens. L’un est discret, silencieux et impassible, l’autre se montre hargneux, provocateur et profondément raciste dans son vocabulaire. Joignant les actes à la parole, il s’en prend à une vieille dame qui a laissé tomber son panier, puis à Malek qui se précipite pour lui venir en aide. S’en suit une brève confrontation qui voit Malek trébucher et, dans sa chute, asséner malgré lui une gifle au premier policier qui jusque-là semblait subir l’inconduite de son collègue. Ce dernier profite de l’incident pour se lancer aux trousses de Malek.
Deux questions brûlent alors les lèvres de la petite fille de 9 ans et demi – cœur de cible, pour reprendre l’usage des programmateurs audiovisuels, d’un programme conçu pour les 6 – 12 ans – : « Ça veut dire quoi bicot ? », puis sur un ton mi surpris mi agacé « Mais qu’est-ce qu’ils font les Français ici ? » La première demande est rassurante – elle n’a donc jamais entendu ce mot – et nécessite quelques explications qui lui font ouvrir de grands yeux. « Il faut tout dire aux enfants » me dira d’ailleurs Amine Khaled, conseiller littéraire de la série. La seconde dit simplement les pouvoirs d’un récit incarné, qu’il soit documentaire ou fictionnel, face à une macro-histoire plus froide, dont la réalité – la concrétude des faits et leurs conséquences – peut rapidement nous échapper.
Une gifle involontaire pour raconter l’injustice du monde
Ce projet est né il y a quatre ans du désir plus ancien de la direction des programmes de France TV Jeunesse de proposer quelque chose sur l’Algérie. Puis est venue la rencontre avec Darjeelin production, tentée par l’aventure, et l’idée de confier l’écriture de la « bible » à l’écrivaine Alice Zeniter. Celle-ci a accepté le défi à condition d’être accompagnée par l’autrice et metteuse en scène Alice Carré, habituée à aborder le monde colonial et postcolonial dans ses spectacles. Au début 2019, notamment, peu avant le début de ce travail, Margaux Eskenazi crée le spectacle Et le cœur fume encore, conçu, monté et écrit avec Alice Carré et dédié à la mémoire de la guerre d’indépendance algérienne.
L’histoire racontée dans la série se situe à l’été 1955 – le projet de la placer à l’heure de la bataille d’Alger, qui s’ouvre un an plus tard, a été rapidement écarté, afin de ne pas confronter un très jeune public à une violence qu’il aurait fallu rendre de manière ni trop explicite ni trop édulcorée. « Le printemps été 1955 est une époque particulière. La guerre qui existe dans les campagnes n’est encore qu’un sujet d’inquiétude à Alger » explique Amine Khaled. Dans la série, la menace de la guerre est omniprésente dans les discussions des adultes, certains restant confiants dans le système colonial, d’autres comprenant que cette occupation désormais plus que séculaire est sur le point de s’achever. Ce n’est sans doute pas un hasard si les autrices ont inclus dans l’histoire un orage qui vient dévaster la terrasse où vivent Lyes et désormais aussi Khadija, privée du soutien de son frère, un lieu que les enfants, tous ensemble, vont réaménager à leur goût, comme une petite utopie.
« Inventer une fiction pour l’enfance et pour la télévision publique rend tout extrêmement sensible. L’épisode de la gifle devient ainsi extrêmement subversif, alors que pour Alice Zeniter et moi, au départ, il ne l’était pas tant que ça » confie Alice Carré. Arrêté, Malek est conduit à la prison de Barberousse, d’où il ressort militant du FLN – nous l’apprendrons dans l’épilogue du récit. Ce parcours est un clin d’œil à celui d’Ali la Pointe, lui aussi politisé dans la même prison. « Dans le cadre colonial, la prison c’est la fabrique de la Révolution, rappelle Amine Khaled. C’est là que les révolutionnaires se forment. »
Alger, ses habitants, ses paysages
Deux célébrités juives séfarades apparaissent dans la série, le boxeur Alphonse Halimi, l’un des rares champions du monde français, en catégorie poids coq, et la chanteuse Reinette l’Oranaise, grande figure du houzi, un genre musical populaire en Algérie, d’expression arabe et parfois française, aveugle depuis l’âge de deux ans et qui apparaît aux enfants comme une figure quasi surréelle, entre diva et pythie. Au terme de chacun des six épisodes, les enfants sont invités à découvrir quelques unes des communautés qui composent l’Algérie de cette époque, Chaouis, Kabyles, Juifs, Français, Espagnols et bien évidemment Arabes.
Cette diversité se retrouve aussi parmi la bande d’enfants qui gravitent autour de Khadija et Lyes. Chaque épisode nous amène dans un nouvel intérieur, dévoilant l’univers intime des habitants d’Alger, dans différents quartiers de la ville. On apprend ainsi que Lyes a résidé à Dar Mahieddine, alors le plus grand bidonville d’Afrique du nord, sur les hauteurs au-dessus de Bellecour, où a grandi Albert Camus. « Ce quartier est une pépinière de la révolution, explique Amine Khaled. Dans la série, quand un personnage met un pied quelque part, ce n’est jamais anodin. »
A paraître en mars 2025
Ainsi, délicatement, alors que se raconte l’aventure collective de ces enfants que la guerre, on le sait, va bientôt séparer et dont certains prendront le bateau pour la France sans retour, Alger nous apparaît dans ses réalités multiples. Pour qui voudrait prolonger ce récit, une version en bande dessinée est prévue pour mars 2025, ainsi qu’un autre volume intitulé Petite Casbah, 1965 : Philippe et Khadidja racontent leur guerre d’Algérie, qui prendra la forme d’un échange épistolaire entre Philippe, l’un des protagonistes de l’histoire, désormais à Marseille avec ses parents, et l’héroïne de la série qui étudie à l’université d’Alger. Pour un peu – et ce n’est pas la petite fille précédemment citée qui viendra me contredire -on se surprendrait à rêver d’une deuxième saison.
À voir sur France TV :
Petite Casbah 6 x 26 min. Une série créée par Alice Zeniter et Alice Carré, scénario et dialogues Marie de Banville et Jean Régnaud, réalisation Antoine Colomb, production Darjeeling avec la participation de France Télévisions.
Petite Casbah, raconte-moi l’Algérie, 6 x 5 min 30 sur Lumni.fr.