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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

Paul Bouaziz (Oran, 1926- Paris, 2021)
avocat et militant du parti communiste algérien
favorable dès 1955 à la cause
de l’indépendance algérienne

Paul Bouaziz, né à Oran en 1926, qui avait été, jeune membre du parti communiste algérien, favorable dès 1955 à la lutte d'indépendance nationale de l'Algérie, est décédé à Paris le 20 novembre 2021. Plusieurs articles de la presse algérienne lui rendent hommage. Ci-dessous celui publié dans Le Quotidien d'Oran du 29 novembre 2021, qui a été repris le 2 décembre par Le Soir d'Algérie. Le quotidien arabophone Elkhabar lui a consacré sur son site un article très lu, signé Djaafar Bensalah, et un autre dans son édition papier du 30 novembre, plus bref qui rend aussi hommage à son épouse, Simone, née Benamara. Des hommages sont parus également sur d'autres sites en Algérie comme celui d'Alger Républicain et sur les réseaux sociaux. Nous reproduisons aussi la notice que lui a consacré l'historien René Gallissot dans le Dictionnaire Algérie du Maitron.

Hommage – Paul Bouaziz (Oran, 1926- Paris, 2021) :
L’avocat des démunis et des résistants

le_quotidien_d_oran.pngpar Omar Bessaoud, Benamar Ichou et Hassan Remaoun, publié dans Le Quotidien d’Oran du 29 novembre 2021.
Source

Maître Paul Bouaziz est décédé le samedi 20 novembre à Paris où il s’était installé avec sa famille en 1968. Il fut l’un des fondateurs en 1972 du Syndicat des Avocats de France, dont il hébergeait le siège dans son cabinet, mais aussi de l’Association Française du Droit du Travail et de la Sécurité Sociale (AFDT), et en 1992, du Conseil National des Barreaux (CNB) dont il présidait la Commission « Accès au Droit », tout en coordonnant parallèlement les Colloques annuels du droit social.

Homme de progrès, il manifestait sa solidarité avec tous les combattants pour la liberté et le progrès en France ou ailleurs dans le monde.

Mais qui se souvient de cet Oranais, natif de la rue de Mostaganem, de milieu modeste, et qui collégien allait subir les foudres du régime de Vichy, et être renvoyé de son établissement scolaire, parce qu’il était israélite, pour n’y retourner qu’après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 ? Brillant élève du Lycée Lamoricière (devenu après l’indépendance Lycée Pasteur), il fondra en classe de philosophie le club « Cogito » (auquel participera son ami, Oranais comme lui, André Akoun – 1929-2010, le futur philosophe et sociologue, Professeur à la Sorbonne), ceci en faisant le rapprochement entre le racisme ambiant et l’oppression coloniale.

Il adhère au Parti Communiste Algérien (PCA), lors de ses études de droit à Alger, pour devenir très vite le secrétaire de la cellule des étudiants communistes, et commença à nouer des relations dans les milieux « indigènes », comme on disait à l’époque, et libéraux français, comme ce fut le cas avec André Mandouze (spécialiste de Saint Augustin et premier Recteur de l’Université d’Alger en 1963).

Progressivement, il se rapprocha des nationalistes, dont il devint à Oran, le vis-à-vis, pour les relations avec les communistes, et surtout, après on installation en 1950, comme avocat associé au cabinet de son beau-frère et bâtonnier Maitre Darmon, puis, avec le déclenchement en 1954 de la Guerre de Libération Nationale. Le passionné de débats intellectuels fondateur d’un ciné-club se retrouvera dans la lisière des 1940-1950 parmi les animateurs du Mouvement de la paix, au sein duquel se distinguaient aussi les jeunes professeurs de philosophie et d’histoire, les futurs célèbres universitaires parisiens, affectés à l’époque au Lycée Lamoricière (futur Lycée Pasteur), François Chatelet (1925-1985) et Marc Ferro (1924-2021).

Un communiste algérien favorable à la guerre d’indépendance

Il contribua de même à la fin de 1955 à la constitution de la Fraternité algérienne, dont le manifeste fut signé par quelque 200 personnes, comprenant des nationalistes, des communistes et des libéraux, et dont l’objectif était l’arrêt de la répression, l’ouverture des négociations et l’obtention d’un cessez-le-feu. Les intimidations policières feront avorter l’initiative au bout de quelques mois d’activités. Maître Bouaziz faisait par ailleurs partie d’un groupe d’avocats, toujours disponibles pour défendre les détenus politiques, avec notamment Simone Benamara (qu’il avait épousée en 1953) ainsi que Maître Mohamed Belbagra (qui sera certainement exécuté en 1957 en Espagne) et Maître Auguste Thuveny, arrêté en 1957 puis expulsé en France, avant qu’il ne soit exécuté à Rabat en novembre 1958, dans sa voiture piégée par la Main rouge1.

Paul Bouaziz et Simone son épouse sont eux-mêmes à la fin de l’année 1956 poursuivis avec d’autres militants par les forces armées d’Oran et d’Alger, et condamnés aux travaux forcés et à la saisie de leurs biens. Ils devront quitter clandestinement la France, où ils se trouvaient en déplacement, pour aller se réfugier à Prague. Ils y demeurèrent jusqu’en 1962, lui activant avec Louis Saillant (résistant et syndicaliste français) au bureau de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM), et elle en écrivant des articles dans la presse des pays de l’Est pour faire connaitre la cause algérienne en les signant du nom de Semha El Ouahrania (au moment où Abdelkader Safer signait se son côté aussi à Prague Abdelkader El Ouahrani).

A la proclamation de l’indépendance nationale, le couple reviendra à Oran, la nationalité algérienne leur est reconnue, Paul occupant même la fonction d’adjoint à la Délégation spéciale qui gérait alors la municipalité. Ils continuent tous deux d’exercer comme avocats, en défendant les plus démunis qui étaient toujours reçus avec le meilleur accueil par Mme Gilberte, la greffière du cabinet, et qui n’était autre que l’épouse du militant et ancien dirigeant communiste Paul Caballero, tous deux Oranais et morts dans l’exil. Ce cabinet était situé à proximité du théâtre d’Oran baptisé plus tard du nom de Alloula et non loin de l’actuelle place du 1er Novembre.

On les retrouvera les Bouaziz de nouveau mobilisés pour défendre à partir de 1965 les militants politiques et torturés pour s’être opposés au Coup d’Etat du 19 juin 1965. Le climat de vie étant devenu pour eux-mêmes difficile, Paul et Simone devront cependant prendre pour la seconde fois le chemin de l’exil, avec leurs enfants (Irène née à Oran en 1954) et Pierre (né en 1957 à Prague), mais gardant comme nous l’avons signalé, le souffle d’humanité, le militantisme et l’engagement pour les plus humbles, et dont ils ont toujours fait preuve.

A leurs enfants et petits-enfants, à leurs camarades,

A tous ceux qui ont participé à leurs combats, leurs confrères des barreaux d’Oran et de Paris,

A tous ceux qui les ont rencontrés et appréciés – comme c’est le cas pour les signataires de ce texte qui ont eu à échanger avec Paul Bouaziz lorsqu’il était encore dans sa ville d’Oran -,

Nous présentons nos plus sincères condoléances.

Que Simone et Paul Bouaziz reposent en paix !

Avec l’espoir qu’Oran et que leur pays l’Algérie ne les oubliera pas.



Bibliographie

– Site du Syndicat des avocats de France (SAF).

– René Gallissot, « Paul Bouaziz », in Algérie, engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb (dir.), Editions Barzakh. 2007.

– Pierre-Jean Le Foll Luciani. « De l’anti-colonialisme au droit des femmes. Les vies de Simone Benamara (1924-2011) ». In Revue Clio, femme, genre, histoire (53-2021).


Paul Bouaziz

par René Gallissot, notice publiée dans Algérie, engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb.
Source

Figure du communisme de pensée ouverte à Oran ; partisan de l’Algérie algérienne pluraliste et soutien de la lutte de libération ; avocat pour le FLN ; fait citoyen algérien après l’indépendance ; quitte l’Algérie en 1968 pour Paris.

En 1944-1945, au moment d’exaltation des idées progressistes derrière la victoire des Alliés et d’apogée de l’URSS, patrie du socialisme, porteuse d’un monde nouveau qui renvoie au néant le national-socialisme ou fascisme, voire abolit le racisme, Paul Bouaziz qui a une quinzaine d’années, après le règne de Vichy en Algérie, a repris les cours au Lycée Lamoricière d’Oran. Il se distingue déjà par sa liberté intellectuelle.

Certes il appartient au milieu juif dans une ville d’Oran ethniquement partagée en ses quartiers ; il est « Boa », chef de troupe aux Éclaireurs israélites de France ; à la troupe 5, on ne s’occupe pas de religion si on ne s’en moque, on croit que l’Algérie sera laïque et progressiste, mixte dans tous les sens du mot, mêlant ses filles et ses fils de « toute origine et de toute confession » comme dit l’écriture automatique. Plus encore au lycée, le Cogito-club qu’il a fondé en classe de philo en 1945-1946, agite les idées marxistes et commente les auteurs de pensée libre ; l’ami André Akoun qui prend Boa pour exemple, y va de son exposé sur Sade.

portrait_ok.pngOn a son témoignage (André Akoun, Né à Oran) qui vaut ensuite pour les années d’études à Alger. Paul Bouaziz est parti après le bac, s’inscrire en droit. Bachelier l’année suivante en 1947, André Akoun suit sa trace et le trouve déjà secrétaire de la cellule des étudiants communistes de la Faculté. Étudiants communistes ensemble, leur route diverge en 1949 quand la famille Akoun se retrouve à Paris. Paul Bouaziz poursuit son droit à la Faculté d’Alger. Il sera avocat à Oran, et l’avocat communiste comme on ne cessera de dire. En 1952, Paul Bouaziz épouse Simone Benamara, née à Sidi-Bel-Abbès le 30 juillet 1924, morte à Paris le 2 août 2011 ; ils auront deux enfants. Venant des milieux juifs de Sidi-Bel-Abbès à la Faculté de droit d’Alger, Simone Benamara partageait les idées de Paul Bouaziz ; communiste elle aussi et portée vers l’action sociale. Elle devient avocate en 1952 ; ils seront ensemble les défenseurs des « patriotes algériens » tant du PCA que du FLN.

Sa formation et la personnalité de Paul Bouaziz comptent dans le mouvement communiste ; il sert d’intermédiaire entre les intellectuels politisés, entre le PCA rigide et prisonnier du manichéisme de guerre froide sous l’étoile de Moscou et les nationalistes du PPA-MTLD. Il est ainsi au début des années 1950, une figure du Mouvement de la Paix à Oran auquel participent les professeurs du lycée que sont le philosophe François Chatelet, communiste, et l’historien Marc Ferro qui n’est pas membre du PC. Paul Bouaziz est par ailleurs en contact avec André Mandouze professeur à Alger qui dirige la revue Consciences algériennes qui devient Consciences maghribines (sic).

Son engagement pour qu’advienne une nation algérienne, le porte au soutien de la lutte de libération. Il est un des premiers avocats à défendre les activistes du FLN victimes de la répression. En 1955, le PCA hésite encore devant l’action armée, sauf à penser après juin, se doter de la carte de ses propres groupes armés. Si le parti s’oppose à rallier le FLN, il demande aux médecins, à ses militants de la santé et aux avocats de participer à l’aide à l’ALN-FLN.

Une longue réticence est le fait de Camille Larribère, l’ancêtre du parti communiste en Oranie qui a reçu dès les années 1920, le surnom de « Larribère le sectaire. » Dans le communisme oranais, et aussi pour les intellectuels nationalistes et plus largement, Paul Bouaziz est l’antithèse de Larribère. L’avocat se met donc au service du FLN. Les Larribère apporteront aussi un grand concours aux victimes et aux partisans de la guerre. d’indépendance. Menacés par la répression coloniale, les Bouaziz peuvent à partir de 1957 et par périodes, s’abriter à Prague, auprès de la FSM, au titre de la CGT. Tous deux font retour en Algérie à l’indépendance.

En 1963, la citoyenneté algérienne est accordée à Paul Bouaziz pour sa participation à la lutte de libération. Après le coup d’État de 1965, voyant disparaître son idéal d’une nation algérienne mixte, Paul Bouaziz se résigne à quitter l’Algérie, ce qu’il fait en 1968. Spécialiste du droit du travail auprès de la CGT, il est avocat au barreau de Paris. Paul et Simone Bouaziz pratiquent cette défense sociale dans un cabinet d’avocats associés, rue du Renard à Paris.


Sources

• Eyal Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie, Paris, Presses de Sciences-Po, 1976.
• Entretien avec Marc Ferro, décembre 2002.
• André Akoun, Né à Oran. Bouchène, Saint-Denis, Paris, 2004.

  1. Le nom donné par le Service Action du SDECE à ses opérations homicides. NDLR.
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