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Pas de résolution à l’Assemblée Nationale
sur le crime d’Etat du 17 octobre 1961

Le groupe Europe-Ecologie-Les Verts a déposé en mars 2023 une proposition de résolution pour la reconnaissance du massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris. Portée par la députée Sabrina Sebaihi, elle invitait à la reconnaissance par la République de sa responsabilité dans ce crime, à une commémoration officielle régulière et l'édification d'un lieu de mémoire, ainsi qu'à l'ouverture des archives à tous les citoyens. Le 5 avril, le groupe EELV a décidé son retrait, certains députés, selon Libération, ayant jugé inopportun son examen « au vu du contexte actuel ». Nous publions la résolution retirée en regrettant vivement qu'après le vote par le Sénat le 23 octobre 2012 d'une résolution comparable, l'Assemblée nationale n'en ait pas été saisie. C'est une grave erreur de négliger le travail à faire sur le passé colonial de la France et son héritage, indispensable notamment pour contrer l'essor de l'extrême droite. Toutes les forces politiques, morales et intellectuelles de la société française, ont une responsabilité à cet égard.

Les députés écolos se divisent sur le massacre du 17 octobre 1961



par Sylvain Chazot et Chez Pol, publié par Libération le 5 avril 2023.
Source

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Le groupe vert devait porter, jeudi, une proposition de résolution pour reconnaître le «crime d’Etat» du 17 octobre 1961, quand la police française avait réprimé dans le sang une manifestation d’Algériens. Face à la réticence de la majorité, les écolos ont préféré retirer leur texte.

Ça a tangué, mardi matin, en réunion du groupe écolo à l’Assemblée. Les députés verts devaient mettre un point final à l’ordre du jour de leur niche parlementaire, prévue demain. Avec une question centrale : fallait-il ou non présenter la proposition de résolution portée par la députée Sabrina Sebaihi, reconnaissant le «crime d’Etat» du 17 octobre 1961 ? C’est bien ce qui était prévu. La proposition figurait même en première position des textes portés par le groupe écolo. Las, selon nos informations et celles de 20 Minutes, les verts ont finalement décidé de retirer leur proposition. Certains ont jugé qu’il n’était pas forcément très opportun, vu le contexte actuel, de délibérer sur un massacre commis par la police française contre des manifestants algériens. A Paris, en pleine guerre d’Algérie, plusieurs milliers de personnes avaient manifesté à l’appel du FLN. Elles entendaient protester contre le couvre-feu mis en place, uniquement pour les Algériens, par le préfet de police de Paris, un certain Maurice Papon. La manifestation avait été réprimée dans le sang et certains manifestants jetés dans la Seine. Au moins 120 personnes avaient été tuées.

Pas le moment

« Les écolos n’ont pas été au rendez-vous. C’est une erreur stratégique et une faute politique », se désole un proche de Sabrina Sebaihi, qui rapporte un débat « houleux » entre écolos mardi matin. « On parle de manifestants pacifiques massacrés ou jetés dans la Seine, abonde la députée. J’aurais espéré qu’on traite ça dignement. Cela prouve que le chemin de la dignité reste encore long et que soixante-deux ans après, on invisibilise encore les victimes. C’est une violence symbolique. »

En face, on avançait d’autres arguments. Le premier concernait le temps : pourquoi perdre de précieuses minutes, dans une journée de niche parlementaire où tout est millimétré, pour porter un texte sans réelles chances d’être voté ? D’autres jugeaient encore qu’il était urgent de tempérer sur le sujet. C’est le cas de Sophie Taillé-Polian, qui s’interrogeait mardi sur « l’opportunité de porter ce débat dans une niche parlementaire». «J’ai considéré que, vu le moment de tensions que nous connaissons dans le pays, ce n’était pas le moment de porter un débat conflictuel et mémoriel», poursuit l’élue du Val-de-Marne, estimant toutefois que la France a «besoin d’avancer sur la mémoire et la guerre d’Algérie ».

Aucune chance d’être adopté

La proposition n’avait quasiment, comme on l’a dit, aucune chance d’être adoptée. La macronie était en effet opposée à son adoption, telle qu’elle était rédigée. « La majorité présidentielle s’apprêtait à voter avec le RN », se désole Sebaihi. « On a proposé au groupe écolo de la réécrire pour la déposer en transpartisan, avance-t-on du côté du groupe Renaissance. Avec une demande : retirer le sous-entendu selon lequel de Gaulle avait une responsabilité, ce qui est historiquement faux.» Et, sans les voix de Renaissance, impossible de viser l’adoption, le RN ayant peu de chances de soutenir un texte reconnaissant un crime d’État de la France contre des Algériens.

Difficile, vu le contexte actuel, de trouver l’« apaisement des mémoires » vanté par le groupe Renaissance. Mais, rappelle-t-on, le Président «s’est investi sur le sujet». En 2021, à l’occasion du soixantième anniversaire du massacre, Macron avait admis des «crimes commis sous l’autorité de Papon», « inexcusables pour la République ». Mais sans toutefois aller jusqu’à reconnaître la responsabilité de l’Etat français. Le « crime est réduit à la responsabilité de Papon. Il n’était pas un Etat dans l’Etat », avait, à l’époque, jugé le président de SOS Racisme Dominique Sopo.


La proposition de résolution retirée



ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le XX mars 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative à la reconnaissance du massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris et à la commémoration pour la mémoire des victimes,

présentée par Madame Sabrina SEBAIHI, députée.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 17 octobre 1961, plusieurs milliers d’Algériens (ils sont français à l’époque) manifestent pacifiquement, à Paris, contre le couvre-feu discriminatoire dont ils font l’objet. En effet, seuls les « français musulmans d’Algérie », tels que nommés à l’époque, y sont soumis. Dans une violence extrême, la répression menée à leur encontre, conduit à l’arrestation de milliers de manifestants, cause la mort de centaines de personnes et provoque des milliers de blessés. En l’absence de données officielles, encore classifiées et ou dissimulées après les faits, il est impossible de dresser un bilan exact des exactions commises.

Cet épisode n’est pas un événement isolé de la guerre d’Algérie. Il est considéré comme l’apogée d’une politique discriminatoire et coloniale, rendue possible par le Préfet de Police de Paris, Maurice Papon. Pour autant, la chaîne de responsabilité s’inscrit bien en amont du seul préfet de police, depuis l’administration centrale du ministère de l’Intérieur jusqu’au Président de la République lui-même.

Les mois et années qui suivent ne permettent pas la reconnaissance des témoignages, pourtant recueillis par bon nombre d’écrivains, journalistes, et historiens, qui se voient imposer la censure. Il faut attendre le début des années 1990, soit 30 ans après les faits, pour que la réalité soit librement exprimée.

Dès lors, la reconnaissance de la responsabilité de notre pays progresse. Elle est initiée en octobre 2012 par le Président François Hollande qui déclare « La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes ». Ces propos sont complétés par un communiqué du Président Macron en octobre 2021, reconnaissant que : « les crimes commis [le 17 octobre 1961] sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. »

En parallèle, plusieurs initiatives parlementaires émergent. Celle de la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat, permet l’adoption par le Sénat, en octobre 2012, d’une proposition de résolution tendant à demander à la France la reconnaissance du massacre, et qu’un lieu du souvenir à la mémoire des victimes soit érigé. Une autre proposition de loi émanant du sénateur Rachid Témal est examinée en octobre 2021 au Sénat. Réclamant la reconnaissance de la responsabilité de notre pays ainsi que l’intégration du 17 octobre dans la liste des commémorations officielles, le texte n’est finalement pas adopté.

Cette proposition de résolution vise à inviter le gouvernement à reconnaître la responsabilité des autorités de l’époque dans le massacre des manifestants algériens du 17 octobre 1961.

Elle vise également à ce que la date du 17 octobre soit inscrite comme journée nationale de commémoration, distincte de la date déjà convenue pour réunir l’ensemble des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Sans concurrence des mémoires, il s’agit de distinguer ce qui relève de la commémoration générale, de la nécessaire reconnaissance d’un événement spécifique.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Rappelant que le 17 octobre 1961, des milliers de travailleurs algériens et leurs familles manifestèrent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire que la préfecture de Paris avait imposé aux Français musulmans d’Algérie,

Rappelant que la répression, d’une violence extrême, a fait de nombreuses victimes, dont le nombre exact est aujourd’hui encore inconnu,
Rappelant la censure exercée par les pouvoirs publics sur cette tragédie et l’accès encore aujourd’hui limité aux Archives nationales,

Estimant nécessaire le rapprochement entre le peuple algérien et le peuple français dans un esprit de fraternité, soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie,

Invite en conséquence le Gouvernement à reconnaître la responsabilité de la République française dans les massacres du 17 octobre 1961, et inscrire cette date dans le calendrier des commémorations officielles,

Invite en outre à ce que soit créé un lieu du souvenir à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961,

Invite enfin à ce que l’accès libre aux archives relatives à ce crime d’Etat soit assuré pour tous les citoyens.



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