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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

« Partez d’ici, sales nègres ! »
Mes fils sont métis, je suis en colère, obstinément

Katell Pouliquen est rédactrice en chef du magazine Elle. Mère de deux fils métis, elle est aussi Bretonne et amoureuse d'une France multiculturelle. Pourtant, le 10 février dernier, elle reçoit cet uppercut : "Partez d'ici, sales nègres", leur lance un inconnu. A 70 jours de l'élection présidentielle, elle a crié sa colère et son incompréhension sur les réseaux sociaux. 1

« Partez d’ici, sales nègres » :

mes fils sont métis, je suis en colère, obstinément

Mes enfants métis font mon bonheur et ma fierté. Je loue leur double culture, leur explique que, plutôt qu’être « moitié/moitié », ils sont 2 fois plus riches. 200% plutôt que 50. Je les éveille au monde sans les effrayer. Je leur offre la bio de Martin Luther King et aussi « Mes étoiles noires » de Lilian Thuram. Il l’avait dédicacé à mon fils aîné, qui porte le même prénom que le sien : Marcus. Comme Marcus Miller plus que l’empereur romain. Comme Marcus Garvey, émancipateur du peuple noir. Je les amène voir Swagger, et sans doute ce jour-là saisissent-ils comme ils sont privilégiés. Protégés ? On vit dans le 18ème. L’école maternelle est une ZEP qui fonctionne. Emile est ami avec Rayan, Louison, Aboudlaye. La routine. Mes enfants sont chez eux au manège des Abbesses, chez Jacky le boucher, Marie-Rose la libraire… Les rues racontent la France multiculturelle.

Celle que j’aime.

« Partez d’ici, sales nègres ». L’uppercut est donné au Leclerc de Saint Brieuc. Enfin, juste à côté, à Plérin, périphérie urbaine bien connue des sociologues. Je suis Bretonne. J’ai terriblement voulu fuir cette Bretagne que je chéris tant aujourd’hui. M’arracher à la promiscuité. J’ai choisi ma vie, j’ai choisi Paris. « Partez d’ici, sales nègres ». L’uppercut est donné par un homme d’une soixantaine d’années le 10 février 2017 en France. La même semaine, Théo se faisait violer par un policier. La même semaine, Luc Poignant, membre du syndicat Unité Police SGP-FO, estimait : « Le mot Bamboula, ça reste encore à peu près convenable ». La même semaine, le magistrat Philippe Bilger tweettait : « On a fait un drame de #bamboula. Me souviens de mes années collège où ce terme était presque affectueux ». La même semaine, Alain Avello, membre du conseil stratégique de campagne de Marine Le Pen, invitait sur Facebook à « essayer la zoophilie » avec Christiane Taubira.


« J’ai peur. Quand j’avais ton âge, toutes les personnes que je connaissais étaient noires et toutes vivaient dans cette peur violemment, obstinément », écrit Ta-Nehisi Coates dans Une colère noire. Lettre à mon fils.

11 février 2017. 70 jours avant la Présidentielle. Quelle lettre écrirai-je à mes fils ? Je suis en colère. Violemment. Obstinément.

Katell Pouliquen

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