Colloque international, les 21 et 22 octobre 2008 :
Nouvelles approches sur l’histoire des harkis
dans la colonisation et ses suites
sous la direction de Gilles Manceron, historien1
La première journée, présidée par René Gallissot, professeur honoraire à l’université Paris VIII, qui avait pour thème « les supplétifs durant la guerre d’Algérie et lors de l’indépendance », a entendu les interventions suivantes :
- » Le sentiment national algérien et sa diffusion progressive mais inégale durant la guerre d’indépendance algérienne », Mohammed Harbi, professeur émérite, université de Paris VIII ;
- » Les sentiments d’appartenance et horizons identitaires dans les campagnes de l’Algérie coloniale », Omar Carlier, professeur à l’université Paris VII ;
- » Les supplétifs en Algérie pendant la guerre, mémoire, représentation et histoire », François-Xavier Hautreux, université Paris X ;
- » Les massacres d’anciens harkis entre 1962 et 1964 en Algérie, d’après les archives du Service historique de l’armée de terre », Abderrahmane Moumen, historien, chercheur associé au centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes (CRHISM), université de Perpignan ;
- » Un cas particulier : la Force de police auxiliaire de Paris (1958-1961) », Linda Amiri, centre d’histoire de Sciences Po Paris ;
- » L’idéologie des officiers de harkis, entre paternalisme et aventurisme – de Jean Servier à Raymond Montaner », Neil Macmaster, maître de conférences honoraire à l’Ecole d’études politiques, sociales et internationales de l’université de l’East Anglia (Norwich) ;
- » Peut-on parler, et dans quel sens, de l’abandon des harkis par la France? « , table ronde animée par Gilles Manceron, avec Abderrahmane Moumen et Jean-Jacques Jordi, université d’Aix-en-Provence.
Le thème de la seconde journée, présidée par Armand Frémont, géographe, ancien recteur des académies de Grenoble et de Versailles, était « la formation de la communauté harkie en France après l’indépendance de l’Algérie (1962-2008) » :
- » Eté 1962, le transfert vers la métropole des pieds-noirs et des harkis : quelle mémoire pour un des plus importants déplacements de population ? « , par Aymeric Perroy, secrétaire général adjoint et responsable scientifique de l’association French Lines ;
- » Les relations entre descendants de harkis et descendants d’immigrés en France au sein d’un même espace de résidence », par Giulia Fabbiano, socio-anthropologue, CADIS – EHSS ;
- » Un exemple de hameau de forestage : Fuveau (Bouches-du-Rhône (1963-2008) « , par Jeannette Miller, historienne, université de Pennsylvanie ;
- » L’histoire occultée et la mémoire enfouie des harkis comme b lessure emblématique des mésusages du passé », par Charles Heimberg, historien et didacticien, université de Genève ;
- » Passé sous silence », projection du film de Sofia et Malika Saa (durée 26 minutes) ;
- » Parcours et destins croisés des familles harkies et immigrées en France, la difficile rencontre entre ces deux communautés », par Marnia Belhadj, sociologue ;
- » Les processus d’assignation et d’auto-assignation identitaire chez les descendants de harkis », table ronde avec Marnia Belhadj, Giulia Fabbiano et Abdelkader Hamadi, sociologue, laboratoire Migrinter du CNRS à l’université de Poitiers ;
- » Comment dépasser les clichés et stéréotypes relatifs à l’histoire des harkis ? « , table ronde avec Catherine de Wenden, directrice de recherches au CNRS, Ghaleb Bencheikh, journaliste et écrivain, Ali Aïssaoui, médecin.
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Enseigner sur l’histoire des harkis
journée d’études pour les enseignants
sous la direction de Benoît Falaize
le 25 oct. 2008 – auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris2
Elle a rassemblé les interventions suivantes :
- » Présentation de la journée : les enjeux de l’inscription scolaire de l’histoire des harkis » par Benoît Falaize, chargé d’études et de recherches à l’INRP (Institut National de Recherches pédagogiques) ;
- « Les Algériens et l’armée française à l’époque coloniale » par Gilbert Meynier, historien, professeur émérite, université de Nancy 2 ;
- » les supplétifs dans la guerre d’Algérie et ses suites ; historiographie et enjeux mémoriels » par Gilles Manceron, historien ;
- » la place des harkis dans les manuels d’histoire du secondaire (1962-1990) par Françoise Lantheaume, université de Lyon, UMR Education et Politique (Lyon 2 – INRP) ;
- » La place des harkis dans l’enseignement aujourd’hui » par Pascal Mériaux (INRP) ;
- » L’abandon des harkis et leur perception par l’opinion : des questions en débat « , table ronde animée par Gilles Manceron et Benoît Falaize (INRP), avec Neil Macmaster, maître de conférences honoraire à l’Ecole d’études politiques, socilaes et internationales de l’université d’East Anglia (Norwich), Guy Pervillié, historien, université de Toulouse le Mirail et Abderrahmane Moumen, historien, chercheur, associé au Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes (CRHISM), université de Perpignan ;
- « Comment travailler l’histoire et la mémoire des harkis avec les élèves d’un pays en marge de la guerre d’Algérie, comme la Suisse « , par Charles Heimberg, historien et didacticien, université de Genève ;
- » Sur la production littéraire des descendants de harkis », par Giulia Fabbiano ;
- » la transmission scolaire en question – Entreprendre l’histoire des harkis au collège ; la place du témoignage à l’école « , table ronde animé par Benoît Falaize (INRP), Claire Podetti, professeure d’histoire, Malika Ouadi, professeure de lettres et Fatima Besnaci-Lancou ;
- » Quelle offre pédagogique pour ce lieu de mémoire ? » par Jean-Michel Capdet, responsable pédagogique du Musée mémorial de Rivesaltes ;
- Projection du film » Les amandiers de l’Histoire », de Jaco Bidermann, analyse et réactions par Boris Cyrulnik, psychiatre et écrivain ;
- Conclusion par Philippe Joutard, historien, ancien recteur, président du comité pédagogique de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration.
Un dossier pédagogique a été remis aux enseignants (livre Les harkis dans la colonisation et ses suites, édition coordonnée par Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, lexique, carte des camps de harkis en France, etc.).
Ces interventions ont fait l’objet de nombreux échanges. Le site de l’association Harkis et droits de l’Homme (AHDH) s’en fait l’écho, en particulier au sujet de la communication de l’historien Guy Pervillé.
Les harkis analysés au regard de la colonisation
Recul des stéréotypes et clichés
Dans le cadre de la manifestation « Français et Algériens : art, mémoires et histoire » initiée par Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association Harkis et droits de l’homme, le colloque international sur le thème « Nouvelles approches sur l’histoire des harkis dans la colonisation et ses suites » organisé les 21 et 22 octobre derniers au siège de l’Hôtel de Ville de Paris, aura constitué un des temps forts de la manifestation.
46 ans après le rapatriement de quelques dizaines de milliers de harkis en France, l’historiographie et les recherches universitaires entreprises depuis, la conscience éclairée de la génération des enfants de harkis, incarnée en la personnalité de Fatima Besnaci-Lancou, renouvellent en profondeur la vision et l’analyse du phénomène harki. La grande nouveauté réside dans le fait que la nouvelle génération a choisi d’interroger et d’interpréter l’histoire de ses parents à la lumière du phénomène colonial et de ses conséquences, plutôt que de le lire stricto sensu à l’aune de la République française. Ce qui, bien évidemment, permet de faire reculer les stéréotypes et clichés auxquels n’ont pu échappé les harkis à l’instar des immigrés algériens qui eux, heureusement, ont été revus et corrigés par les travaux sociologiques du regretté Abdelmalek Sayad. Il faut dire que la qualité des intervenants et des témoins aura largement contribué à l’émergence d’une vision nouvelle éloignée des généralités simplificatrices pour opter en faveur de la complexité du phénomène harki longtemps occultée au profit d’une approche binaire.
Le nationalisme n’a pas su penser la nation
La figure dominante de ce colloque aura été celle de l’historien Gilles Manceron qui a réuni un aréopage de chercheurs, dont certains issus de l’immigration algérienne ont eu, au hasard de leurs travaux, à étudier la question des harkis. En premier lieu, ce qui est ressorti des nombreuses interventions, tant à la tribune qu’au sein du public, c’est que, en plus de sa complexité, la communauté de harkis n’a jamais constitué un ensemble homogène uni comme un seul homme derrière une mère patrie qui serait la France…
En étudiant la colonisation et la formation nationale algérienne, René Gallissot, qui a longtemps enseigné l’histoire en Algérie, fait état d’une constante de la politique coloniale, à savoir susciter des guerres fratricides pour mieux annihiler le sentiment national. Cela a été le cas de la Hollande en Indonésie, de la Grande-Bretagne en Inde et bien sûr de la France déjà dans la guerre du Rif au Maroc en 1925-1926 puis en Indochine et en Algérie. L’idéologie coloniale va faire que ces supplétifs seront dotés d’un statut d’infériorité qui se traduit par des emplois subalternes ou des soldes inférieures à leurs pairs métropolitains. « Le recrutement des harkis, rappellera-t-il, se fera de manière massive sous la Ve République après 1958 et après que le FLN eut perdu la bataille des villes pour l’intensifier dans les campagnes. »
Mohammed Harbi, incarcéré en 1965 au camp de Lambèze, a côtoyé des harkis et les a longuement interrogés sur leurs motivations, il dira à ce sujet : « Nombre d’entre eux ont été »retournés » après qu’un massacre eut frappé leur famille. » De même certains autres n’ont endossé l’uniforme que pour des motifs de survie alimentaire. Il en conclura : « La colonisation a su instrumentaliser les fractures de la société algérienne. Si les dirigeants des maquis pensaient que l’opinion leur était acquise, il se trouverait qu’ailleurs le lignage et les appartenances claniques se sont révélés plus forts que le nationalisme ambiant. » Il insistera même sur le fait que l’épopée libératrice a beaucoup trop souffert d’avoir été rapportée en noir et blanc. Ainsi, on retiendra de cet exposé que le sentiment national en Algérie a connu une lente émergence, ce qui explique mieux le phénomène des supplétifs. Nous retiendrons également cette vérité historique, selon laquelle pour Mohammed Harbi « le nationalisme n’a pas su penser la nation, oublieux des formations sociales diverses qui coexistaient sur le territoire national ».
Omar Carlier, enseignant à Paris VII, enfoncera le clou en soulignant que c’est l’identité familiale remontant à la tribu qui définit le positionnement social. A ses yeux « le rapport généalogique est de première importance ». A travers plusieurs exemples, il fera la démonstration que l’union nationale ne s’est forgée qu’après une lutte impitoyable et fratricide. René Gallissot rebondira sur ces approches privilégiant le lignage en citant Germaine Tillion : « On ne comprend rien à l’Algérie, si on ne comprend pas le fait familial. » François-Xavier Hautreux de Paris X insistera pour sa part sur la réalité multiforme des harkis dont les motivations l’étaient également. « L’Algérie est une identité en formation ». C’est là une explication partagée par tous les historiens présents. Pour lui, la constitution des harka résulte surtout des massacres et exactions du FLN dans les campagnes.
« Comment dépasser les clichés et stéréotypes ? »
De même, n’oublions jamais qu’une grande partie de la population rurale dépendait de l’armée pour sa survie (les SAS) sans omettre ceux qui désertaient au premier coup de feu ou ceux qui rejoignaient le FLN même si en 1961 on recensait 120 000 harkis. Abderrahmane Moumen, historien à Perpignan, évoquera de son côté les massacres post-indépendance, entre 1962 et 1964, sujet à la fois douloureux et flou quant aux chiffres ou statistiques non établis. Toutefois, il nuancera son propos en rappelant aussi que nombre de supplétifs n’ont pas été touchés par des représailles (ceux du bachagha Boualem dans l’Ouarsenis par exemple). « Sans reconnaissance mutuelle, conclut-il, on ne pourra déboucher sur des mémoires apaisées. » La sociologue Marnia Belhadj enseigne à Poitiers, pour sa thèse de 3e cycle, s’est penchée sur le phénomène des cités de transit largement occulté par rapport aux bidonvilles et a inclus les enfants de harkis dans sa recherche.
A son avis, on a trop souvent oublié les camps de relégation des harkis, dont la réalité a des allures d’apartheid. Sur la communauté de destin des deux entités (beurs et harkis), elle rappellera que la marche pour l’égalité de 1983 les a regroupés sous la houlette de la figure emblématique de Toumi Djaïdja, lui-même fils de harki. Ils surent dépasser le contentieux historique, conscients qu’ils subissaient le même rejet de la France en raison de leur faciès d’Arabe. La dernière table ronde s’est interrogée « Comment dépasser les clichés et stéréotypes ? ».
Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS, a mis en lumière le fil conducteur de ses enquêtes, au terme desquelles il ressortait que les enfants de harkis revendiquaient le respect à la fois comme français et musulmans. Ainsi, ils ont été les premiers à réclamer des carrés musulmans dans les cimetières. Leurs autres revendications ont porté sur une demande de légitimité et surtout de réconciliation avec l’histoire. Ghaleb Bencheikh, aussi brillant que d’habitude, a également plaidé pour des mémoires apaisées rappelant au passage que le défunt Cheikh Abbas, son père, alors recteur de la Mosquée de Paris, a longuement intercédé auprès des autorités algériennes pour le retour au pays des harkis. Il a émis ensuite le vœu que le trauma ne soit pas transmis de génération en génération et que la France devra considérer son identité nationale comme « plurielle, composite, sédimentée, même si son socle est chrétien. »
Il plaidera également pour une meilleure reconnaissance et une meilleure place de la langue arabe et que cesse la vision binaire sur les Arabes, tantôt sauveurs du marché des pouliches à Deauville, tantôt inéluctablement imperméables à la laïcité républicaine. Ce fut donc un colloque utile et passionnant de bout en bout et que nous vous avons rapporté de manière évidemment parcellaire. Pour notre part, nous retiendrons cette certitude qu’il importe désormais de sortir du champ des mémoires pour entrer dans celui de l’histoire. L’apaisement est à ce prix.
- Voir également sur le site AHDH : http://www.harki.net/article.php?id=314.
- Voir également sur le site AHDH : http://www.harki.net/article.php?id=316.